Entretien de Stéphane Troussel, Président du Département de Seine-Saint-Denis
Lors du Congrès de l'Association des Départements de France (ADF), Marylise Lebranchu a annoncé que La Loi de finance rectificative permettra d'apporter une aide sur l'année en cours à dix départements dont le vôtre. Considérez-vous cette aide suffisante ou le problème est-il plus profond ?
Faisons un peu de technique. Ce sont les départements qui assurent les principales allocations de solidarité, le RSA (Revenu de solidarité active) l'APA (Aide aux Personnes Agées) et la PCH (Prestation de Compensation du Handicap) au titre de transferts prévus par la Loi Raffarin de 2004 : or ces dépenses sociales représentent plus de la moitié des dépenses des Conseils départementaux.
Avec la crise, les demandes d'allocations et d'aide sociale par les habitants de Seine-Saint-Denis ont considérablement augmenté. Or l'Etat n'a pas compensé cette hausse des dépenses sociales par des subventions équivalentes. La différence ou « reste à charge » a été payé par les départements qui sont étranglés. L'Etat est intervenu en 2013 avec un abondement d'un million d'euros. Entre temps, les dépenses sociales ont encore progressé et c'est de 4 millions d'euros dont nous avons besoin.
Vous faites référence à l'intervention de Marylise Lebranchu. C'est effectivement une décision très importante pour venir en aide aux départements les plus défavorisés dont nous sommes. Mais cela ne règle pas le problème ; je suis favorable à une reprise par l'Etat de la gestion et du financement de ces allocations.
Le 2 décembre, Le Gouvernement a créé un fonds de solidarité pour les départements les plus en difficulté et a pris en compte la situation extrêmement difficile de la Seine-Saint-Denis ; c'est une aide d'urgence de 5, 5 millions d'euros bienvenue mais qui va tout juste couvrir le paiement du RSA en décembre. Il faut aller au-delà car la situation n'est plus tenable et renationaliser le RSA dès 2016, avec comme année de référence 2014 et arrêter de faire reposer la solidarité nationale sur les plus pauvres.
Je continuerai à plaider pour cette recentralisation. Les Départements pourront alors retrouver les marges de manoeuvre pour financer les autres politiques publiques dont nous avons la charge et pour lesquelles nous avons eu le soutien du Suffrage Universel.
Pensez - vous que ce soit l'Etat doive prendre en charge le RSA et cela pourrait-il mener à la disparition des Départements ?
Avant 2004 personne ne s'est posé la question de la disparition des Départements qui ont vu leurs compétences renforcées après leur loi de décentralisation.
Mais sous la pression de l'opinion publique, les gouvernements ont été contraints de se consacrer à la réforme des collectivités locales, l'existence des départements faisant débat, je ne crois pas que le retour à l'Etat de la gestion du RSA va entrainer la disparition des Conseils départementaux. Bien au contraire, si l'on évoque le paiement de l'allocation du RSA et l'accompagnement des allocataires, le Département n'est qu'un guichet payeur, l'Etat peut alors s'en charger directement.
Nous serons plus dynamiques pour l'accompagnement des publics, les politiques d'insertion, les politiques de formation ou l'accès au retour à l'emploi et je considère que le Département avec ses services, ses liens avec le territoire et les acteurs locaux de l'insertion est mieux à même de continuer à réaliser ces missions.
En tant qu'anciennement chargé de la rénovation urbaine, vous suivez de près la politique de la Ville ; quels sont les axes de la Seine-Saint-Denis?
Premier axe, dans le cadre du premier Plan National de Rénovation Urbaine, le Département de la Seine-Saint-Denis a mobilisé 66 millions d'euros pour la rénovation de 23 000 logements de quartiers emblématiques : les 4000 à La Courneuve, le Clos Saint Lazare à Stains, les Bosquets à Montfermeil, les Fauvettes à Neuilly-sur-Marne, une partie des Courtillières à Pantin. Nous avons aussi bénéficié du soutien de l'ANRU, ce qui a permis de financer la rénovation et l'entretien des équipements publics départementaux : des collèges, des centres de PMI, des crèches et routes départementales.
Deuxième priorité, les collèges : Le département investit dans un nouveau plan de construction et de rénovation de ses collèges « Plan Ambition Collège 2020 » (80 collèges rénovés, 11 collèges neufs supplémentaires construits). Ce programme est complété par le plan enfance et parentalité dont l'objectif est, à hauteur de 20 millions d'euros, de réhabiliter, reconstruire, rénover ses équipements petite enfance ou médico-sociaux, centre PMI circonscription d'action sociale, crèche départementale.
Enfin, compte tenu des enjeux de désenclavement et de desserte des quartiers par les transports collectifs, nous avons décidé de soutenir les prolongements de lignes de métros, la création de lignes de tramways et de participer au projet du Grand Paris Express. Nous venons de signer un accord de financement de 64 millions d'euros pour le prolongement de la ligne 11 et nous sommes en co-maîtrise d'ouvrage avec la RATP pour le financement de deux lignes de tramway (T1 et T4).
Vous participez au projet de Najat Vallaud Belkacem de mixité sociale dans les établissements scolaires au niveau national ?
J'ai accepté de participer au travail de la Ministre sur la réflexion pour le renforcement de la mixité dans les établissements scolaires parce que je crois que c'est bénéfique pour la société française.
C'est pourquoi le Département a décidé un plan exceptionnel d'investissement de 700 millions d'euros prolongé par un Plan Ambition Collège 2020 de 600 millions d'euros pour que les enfants de Seine-Saint-Denis disposent de collèges dignes du 21ème siècle.
Néanmoins, je pose un certain nombre de questions, de conditions et de garanties : en matière de langue, d'offre pédagogique nouvelle, de projet d'établissement, de profil de chef d'établissement, etc. Par exemple, la question des langues étrangères peut être déterminante pour certaines familles : quel accompagnement supplémentaire, quelle carte des langues en Seine-Saint-Denis?...
Pouvez-vous évoquer l'invitation que vous avez faite à Barack Obama de venir en Seine-Saint-Denis pendant la Cop21 ?
En tant que Président de ce Département, je veux démontrer que nos quartiers possèdent des énergies et des talents que nous n'utilisons pas.
Barrack Obama est un symbole pour les jeunes de Seine-Saint-Denis de par son parcours, son histoire personnelle, sa jeunesse, son métissage et une partie de l'Histoire des Etats-Unis. Les familles de nos jeunes sont ici depuis deux, trois générations et souhaitent bâtir une société commune.
Cette jeune génération, directement concernée par les enjeux de la Cop 21, devra affronter les conséquences d'un modèle dépassé si nous n'agissons pas dès à présent.
C'est aussi pourquoi, nous avons organisé le 10 novembre dernier un Forum des Métiers Verts pour présenter des filières de formation, des gisements d'emploi et de création d'activité pour les jeunes de Seine-Saint-Denis. Nous avons aussi une politique de soutien.
Des équipements structurants, par exemple l'autoroute A1 ont été implantés en Seine Saint Denis à une époque où la dimension écologique n'était pas ou peu prise en compte. Comment souhaitez-vous mettre à profit cet événement ?
La Cop 21 est en effet une tribune pour évoquer l'environnement et son impact sur le terrain. Je souhaite profiter de cet événement pour débattre et reposer cette question de l'Autoroute A1 qui coupe la ville et ses quartiers. C'est aussi l'occasion de plaider pour un certain nombre de grands projets de reconquête urbaine.
La Seine-Saint-Denis a été directement touché par les attentats du Vendredi 13 novembre, quelle a été votre réaction, avez-vous prévu des mesures particulières pour répondre à cette situation ?
Mes pensées vont bien sûr aux 130 victimes de ces attentats, aux nombreux blessés et à tous leurs proches qui ont été la cible de ceux qu'une idéologie de mort conduit aux pires atrocités.
Je tiens également à saluer le travail des forces de l'ordre, des secours et de tous les services publics qui sont particulièrement mobilisés depuis le 13 novembre pour répondre à la situation d'urgence. Dès le lendemain des attentats, j'ai mis l'ensemble des psychologues du département aux services des habitants.
Aujourd'hui, à ces actes de « guerre » sans précédent, nous devons répondre avec sang-froid et détermination dans la lutte contre les terroristes et leurs réseaux sur le sol national comme à l'extérieur.
Initialement prévu sur l'ensemble du mandat, nous anticipons, en Seine-Saint-Denis, le plan de renforcement de la sécurité dès les prochains mois. L'autre réponse, sans doute la plus importante que nous nous devons d'apporter au défi terroriste revient à chacune et chacun d'entre nous, tout simplement en continuant à vivre comme avant sans aucune complaisance pour les dérives de quelques individus en ne cédant pas à la tentation facile des amalgames et sans se laisser entraîner sur des chemins de haine.
Enfin, aussi déterminantes que les mesures de sécurité, il faut combattre le terrorisme par l'éducation et la culture.
Propos recueillis par Alexia Lecomte - News Press - 20 octobre 2015
Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press jfpuech@newspress.fr