Le Secours Catholique, un « prototype » dans l'après-guerre

Secours Catholique - 09/05/2016 16:05:00


Dans l'immense chantier de l'immédiat après-guerre, le Secours Catholique, comme les autres organisations caritatives, pallie l'impossibilité pour l'État de faire face à l'ensemble des problèmes. La toute nouvelle association veut agir en précurseur.

8 mai 1945, la France sort de la Seconde guerre mondiale meurtrie et ravagée. On compte environ 650 000 morts français. Les dégâts matériels sont d'une ampleur inédite.

« Une des particularités de 1945 par rapport à 1918, c'est l'étendue géographique des ravages, explique Danielle Voldman, historienne de la Seconde Guerre mondiale au Centre d'histoire sociale du XXe siècle (CHS). Quasiment tous les départements sont touchés, et plus fortement ceux du nord, de l'est, de la façade atlantique et de la façade méditerranéenne. »

Les chiffres sont impressionnants : 1851 communes de 64 départements ont été ravagées, certaines comme Le Havre, Caen, Saint-Nazaire sont presque entièrement rasées ; 1 900 000 bâtiments d'habitation ont été endommagés ou détruits, 120 000 établissements industriels ont été démolis, tout comme 4 000 ponts fluviaux, 7500 ponts routiers, 115 gares, 22 000 km de voies de chemin de fer ; 250 000 exploitations agricoles, soit plus de trois millions d'hectares, ont été détruites (1).

Le déficit public du pays est exorbitant et le coût de la vie est multiplié par trois par rapport à celui de 1938. Les Français subissent de plein fouet cette situation économique désastreuse.

Reconstruction et Sécurité sociale

Néanmoins, les politiques d'assistance ne sont pas à la Libération une priorité sociale et politique. Et ce pour deux raisons, explique Axelle Brodiez-Dolino, spécialiste de la lutte contre la pauvreté-précarité au CNRS (2).

D'une part, l'heure est d'abord à la reconstruction et aux nationalisations, qui mobilisent toutes les énergies. « Il fallait avant tout reconstruire, et prioritairement les biens servant l'intérêt général, précise Danielle Voldman. On allait par exemple privilégier les usines plutôt que les bâtiments d'habitation. »

En 1947, les objectifs prioritaires fixés par la planification de Jean Monnet sont l'électricité, le charbon, l'acier, le ciment, les transports ferroviaires et le matériel agricole.

D'autre part, poursuit Axelle Brodiez-Dolino, la politique sociale s'incarne avant tout dans la mise en place en 1945 de la Sécurité sociale, promise dans le programme du Conseil national de la résistance et symbole du renouveau social.

« Une fois la Sécurité sociale mise en place - davantage destinée aux couches moyennes qu'aux plus démunis - , écrit l'historienne, les mesures publiques se bornent souvent à la revalorisation des allocations, dans un contexte d'inflation galopante, tandis que le rationnement persiste jusqu'en 1949, emblème (parmi d'autres) de la difficulté à solder les séquelles du conflit. »

Collecter et répartir les dons de l'étranger

C'est dans ce contexte d'immédiat après-guerre que naît le Secours Catholique, tout comme le Secours Populaire et les Petits frères des Pauvres.

« Le Secours Catholique ne s'est pas d'emblée occupé de la reconstruction. Il l'a fait plus tard, dans les années 1950, au moment de la crise du logement », explique Luc Dubrulle, président-recteur délégué de l'Université catholique de Lille et auteur de l'ouvrage Mgr Rodhain et le Secours catholique (DDB, 2008).

Dans un premier temps, continue l'historien, le Secours Catholique est une force de collecte et de répartition des dons venant de l'étranger.

Consultant les principales oeuvres et les mouvements d'action catholique, il établit la liste des besoins les plus urgents, et se rend, avec cette liste, en Angleterre, en Irlande, en Écosse, en Espagne, au Portugal, dans presque toute l'Amérique du sud, aux États-Unis et au Canada pour recueillir des dons qu'il répartit ensuite.

Charité effective

L'association se positionne ainsi comme une force de coordination et d'harmonisation des actions des milliers d'organismes existants. « Le Secours catholique n'est pas une oeuvre de plus, il veut simplement se mettre au service des charités », souligne son fondateur l'abbé Jean Rodhain.

« Le mot "charité" n'était pas utilisé dans le sens un peu péjoratif qu'on peut lui prêter aujourd'hui, précise Luc Dubrulle. On parlait d'une "charité inventive". »

Dans une tribune publiée quelques années plus tard dans La Croix (édition du 20 novembre 1960), le fondateur du Secours Catholique sera assez explicite à ce sujet :

« Un bal de charité, un thé de charité ont été peut-être, en 1880, des aspects d'une activité secourable. En 1960, ce n'est pas de la charité, c'est de la pure mondanité, et pas autre chose (...) La Charité véritable ne distribue pas des moissons toutes faites ou des gâteaux tous cuits. Plutôt que de distribuer cent pommes, elle préfère planter un pommier. Elle enseigne à planter, à bâtir, à instituer. Elle soigne l'affamé de 1960, mais lui apprend à cultiver pour qu'il sache récolter en 1970 (...) Enseigner la Charité aujourd'hui au gamin de 10 ans, c'est déjà illuminer l'an 2 000 et préparer la justice sociale de l'âge atomique. »

Une force de mobilisation

Le Secours Catholique se conçoit aussi rapidement comme une force d'information, de sensibilisation à la charité, au partage fraternel, et de mobilisation, à travers des campagnes thématiques.

La première est annoncé à Noël 1946, prévue pour la période de carême 1947. Elle porte sur les malades (photo). « Plus d'un million de français - dont 400 000 tuberculeux - souffrent des conséquences de cinq années de privations, de captivité, de déportation », justifie l'association.

Elle sera suivie en 1948 de la Campagne des berceaux, le berceau symbolisant plus largement l'enfance.

« Les naissances sont nombreuses à cette époque qualifiée plus tard de "baby-boom" : 200 000 naissances de plus par an qu'avant-guerre, écrit Luc Dubrulle dans son ouvrage. La mortalité infantile est de 67 pour mille, dont 42 à cause du froid et de la mauvaise nourriture (...) Un communiqué du Fonds international de secours à l'enfance annonce que, durant l'hiver 1947-1948, en Europe, six enfants sur sept auront faim. »

Précurseur

Dans l'immense chantier de l'immédiat après-guerre, les organisations caritatives pallient l'impossibilité pour l'État de faire face à l'ensemble des problèmes existants. Si elle existe de fait, cette complémentarité n'est pas pensée comme telle.

« Il va y avoir des premiers ponts jetés avec le monde politique à l'occasion de la Campagne des vieillards de 1949, mais l'idée d'une articulation volontaire avec l'action de l'État viendra plus tard », explique Luc Dubrulle.

« Et puis, poursuit l'historien. Parler de complémentarité signifierait que les associations venaient compléter l'oeuvre de l'État, alors que le Secours Catholique se concevait à l'époque comme un précurseur de ce que l'État pourrait faire, mettant en place des prototypes. »

« Une oeuvre charitable peut prendre des initiatives qu'un gouvernement ne prend pas, expliquera Jean Rodhain, en 1971, lors d'une interview réalisée par une équipe du Jour du Seigneur. C'est plus léger, c'est plus spontané, c'est plus adapté... quitte à disparaître au bout de vingt ans, et que l'État reprenne ensuite ces organisations-là. C'est un rôle d'invention, un rôle d'imagination. L'État n'a jamais d'imagination, les structures sont toujours lourdes. Il faut des petites flammes, des petites flammèches qui courent devant. C'est le rôle de la charité. »

(1) Source : « Relever la France dans les après-guerres : reconstruction ou réaménagement ? », de Bernard Vayssière, Guerres mondiales et conflits contemporains, 2009.
(2) Source : Combattre la pauvreté, d'Axelle Brodiez-Dolino, CNRS Éditions, 2013.