Entretien avec Alain BILLEN, primé aux AWARD Journalism 2016 de la presse au Rwanda

Blog d'Alain Billen - 24/11/2016 17:19:31

Alain BILLEN, Journaliste - éditorialiste belge, vivant au Rwanda depuis plusieurs années, a obtenu un « Award - Journalism 2016 ».

C'est la première fois qu'un journaliste francophone reçoit ce prix au Rwanda, pays essentiellement anglophone.

Nous avons voulu lui demander ses premières impressions

Votre réaction après l'annonce de votre AWARD 2016 dans la catégorie « On Line - Articles de fonds » ?
Je dois vous avouer que je ne m'y attendais pas du tout car la très grande majorité des articles diffusés dans le pays sont écrits en anglais et en kinyarwanda.
Après avoir repris mes esprits, j'ai été envahi par une énorme émotion, non pas en tant que « meilleur », mais du fait que ce prix me soit attribué par mon pays d'accueil, le Rwanda. C'est un magnifique cadeau que j'apprécie à sa juste valeur, celle du coeur !

Que pensez-vous des critiques que l'on entend quant à la situation de la presse au Rwanda ?

Je suis content de pouvoir m'exprimer sincèrement sur ce sujet. Trop souvent la presse occidentale diffuse des clichés qui ne reposent pas assez sur une analyse approfondie.

Tout d'abord, il est inexact de dire que les média rwandais n'ouvrent pas leurs portes à ceux qui ne partagent pas les idées ou les décisions du pouvoir en place. Pour ne citer qu'un seul exemple, je me réfère au débat concernant le dernier référendum pour l'amendement de la Constitution qui devait permettre au Président Paul KAGAME de se représenter pour un troisième mandat. Les partis de l'opposition ont eu une large place dans les médias nationaux. Ils n'ont jamais eu peur de critiquer le référendum et ont même utilisé les différents recours prévus par la loi pour le faire échouer. Les responsables de ces partis se sont exprimés en radio, télévision et dans la presse écrite sans aucune crainte d'exposer leurs opinions et leur opposition à ce troisième mandat.

Le deuxième point que je me dois de signaler et pour lequel je demande aux journalistes occidentaux un peu plus d'analyse, c'est la référence à l'histoire même de ce pays.

Il faut être conscient du rôle joué par les média rwandais lors de la préparation du génocide perpétré contre les Tutsi en 1994, notamment la « Radio Mille Collines » et le périodique « KANGUKA ». Ces médias propageaient des messages de haine en diffusant même la liste des « cafards* » (*Tutsi) à éliminer. Ils demandaient à leurs auditeurs d'aller « travailler » et d'exécuter ceux qui se trouvaient à proximité. Durant des mois avant le génocide, ces médias ont conditionné la pensée de la masse populaire afin de les amener à l'impensable ; exterminer leurs voisins, leurs amis, ou même certains membres de leurs propres familles. Sans le soutien de ces médias, les concepteurs de ce génocide n'auraient pas pu mettre à exécution, avec autant de violence, leur plan diabolique.
N'oublions pas que le Président HABYARIMANA, lors d'une Conférence de Presse à Paris en 1991, avait fait face à des critiques au sujet de médias tels la Radio des mille collines et il avait justifié leur existence au nom de "la liberté d'expression dorénavant garantie au Rwanda.". Vous connaissez la suite !

Des appels à la dissension, à la division fondée sur la différence entre les communautés existent encore en 2016. On les retrouve dans certains écrits d'opposants actuellement établis à l'étranger. Ils procèdent d'une négation des évènements qui est insupportable.

Vous comprenez donc que ces messages de haine n'ont pas disparu. Dernièrement encore, je suis tombé sur une page « web » énumérant une liste de personnalités à éliminer. Qui prendrait le risque aujourd'hui de laisser une totale liberté d'expression au Rwanda, seulement 22 ans après le chaos ? On ne joue pas avec le feu !

Lorsque je parle aujourd'hui encore à certains rwandais des médias de l'époque, plusieurs d'entre eux m'affirment avoir encore du stress rien qu'en entendant le nom « Radio Mille Collines ». Les Tutsi étaient également à l'écoute, ils priaient le ciel que leur nom ne figure pas dans cette liste des « condamnés à mort ».

Vous qui vivez au Rwanda depuis plusieurs années, que pensez-vous des propos relatifs à l'exemplarité du pays. On parle du « Miracle Rwandais »

Je vais vous surprendre et comme je l'avais déjà développé dans un de mes éditos, je ne crois pas à la notion de « Miracle Rwandais ». Pour moi, un miracle ne peut pas se reproduire indéfiniment. En revanche, je crois à la reproductivité des modèles ou des bonnes pratiques, ce sont ces bonnes pratiques qu'elles concernent l'individu ou la personne morale privée ou publique qui par leurs multiplification font la réputation de celui ou bien de l'entreprise, de l'institution publique qui en est l'auteur. On peut donc parler de « Modèle Rwandais » dans la mesure où il peut être adapté à n'importe quelle autre nation, pour autant que les pouvoirs publics en place se donnent les moyens de mettre en oeuvre des politiques publiques qui auront été initiées avec succès au Rwanda.


Le Rwanda sort du chaos, de l'épouvante en 1994. A l'époque la quasi totalité du budget dépend de l'aide internationale et le Rwanda escompte d'ici quelques années ne plus dépendre de quiconque. Si le Rwanda est devenu aujourd'hui un pays exemplaire qui reçoit la visite de délégations du monde entier pour comprendre ses "recettes"; c'est aussi et surtout grâce à une volonté politique insufflée par son Président Paul KAGAME. Paul Kagamé a une vision du pays, elle est perceptible dans de nombreuses instances internationales. Le développement du pays est unanimement reconnu, sa réputation est remarquée; Les nouvelles fonctions du Président au sein de l'Union Africaine, qui a reçu récemment le roi du Maroc au moment où ce pays réintègre l'organisation panafricaine l'attestent. J'aime à dire que la chance des Rwandais c'est d'avoir pu bénéficier d'une personnalité de l'envergure de Paul KAGAME qui tire vers le haut la société et l'économie de ce pays.Mais comme dit le philosophe, la chance n'est pas seulement dûe au hasard, ce sont des circonstances qui rencontrent la préparation et font émerger une personnalité.

Dans ce contexte que pensez-vous du traitement de l'information concernant le Rwanda dans des médias « occidentaux » ?

Il n'est pas toujours objectif. Pour mes collègues qui ne connaissent pas l'Afrique, je leur proposerais volontiers une petite tournée à travers différents pays africain et de terminer leur périple par le Rwanda. Le choc sera terrible, et le soir même de leur arrivée ils seront conquis par cette nation et ses habitants.
Après je leur demanderai de visiter le Mémorial de Gisozi pour s'imprégner de l'histoire du Génocide perpétré contre lesTutsi. Personne ne ressort de là indifférent. Après ce passage obligé, où l'on découvre combien ce peuple a été abandonné par la Communauté Internationale, ils sentiront ce malaise qui va les envahir. Ils vont comprendre que c'est trop injuste de voir certains « pays riches » qui, parce qu'ils ont failli à leurs obligations humanitaires, tentent de se disculper en vilipendant le pouvoir en place d'un « pays pauvre ».

A peine 24 heures après leur arrivée au pays, les professionnels de la presse qui auront fait le déplacement comprendront aisément pourquoi les rwandais veulent à tout prix garder au pouvoir (selon l'Institut de sondage IPSOS : 92%) celui qui seul, avec ses troupes du FPR, a pu stopper le génocide, a prôné la réconciliation et l'unité, est devenu le garant d'une paix qui dure depuis plus de 22 années, et a développé son pays pour le sortir de la pauvreté.

Le Rwanda est classé en septième place des pays les mieux gérés au monde selon des classements de la Banque mondiale. Ce sont des informations comme celles-ci que mes confrères occidentaux pourraient évoquer, à condition que la totale indépendance dans le choix ou le traitement des sujets existe sans obstacle dans le média pour lequel ils travaillent ! Que voulez vous personne n'est parfait ..................

Hermeline Garancière
Editorialiste reconnu, Alain BILLEN est un observateur de cette partie de l'Afrique. Fin connaisseur du Rwanda, il partage son temps entre Bruxelles et Kigali où il réside. abillen2@gmail.com