Entretien avec Jean Paul Guevara Avila Ambassadeur de Bolivie en France

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press - 14/03/2017 13:25:18


En quoi l'arrivée d'Evo Morales a-t-elle introduit des changements en Bolivie ?

Pour la Bolivie, tout le paysage politique du pays a changé. Evo Morales a commencé à construire un Etat plurinational de droit, démocratique, participatif, qui reconnaît les différentes cultures de la Bolivie. Et cela a aussi changé le sens, la fonction de l'Etat. La Bolivie essaie de construire un État plurinational sans chercher à réaliser une homogénéisation des cultures, c'est-à-dire leur négation. 64% de la population se reconnaît comme appartenant à une culture antérieure à la colonisation.

Contrairement à la France qui a harmonisé sa langue sur l'ensemble de son territoire, nous avons des populations et des langues, Quechua, Aymara et Guarani, qui véhiculent un véritable sentiment d'appartenance aux cultures originelles. Derrière chaque culture et chaque langue, il y a des particularités institutionnelles héritées de la période précoloniale que la Bolivie souhaite reconnaître, promouvoir et léguer à ses générations futures.

Est-ce la raison pour laquelle vous avez mis en place des autorités indigènes paysannes autonomes ? Et quelle envergure auront-elles ?

Comme en Europe, nous avons plusieurs niveaux d'administration. Le premier, relativement habituel, est le niveau communal, et le pays est divisé en 336 communes. Il existe ensuite 9 départements. Quant aux régions, elles servent d'intermédiaire entre les niveaux d'autonomies évoquées précédemment.

Vous évoquez les autorités indigènes. Leurs institutions traditionnelles sont reconnues. Avant la conquête du pays par les Espagnols, elles étaient présentes dans l'ensemble du pays. La Bolivie postcoloniale les a longtemps négligées. Ce n'est qu'en 1952 que les indigènes acquièrent la citoyenneté et ce alors qu'ils sont les habitants originels de leur propre pays.
Mais si l'État Bolivien les reconnait, les autorités conditionnaient cette accession à la disparition des cultures ancestrales. Ils étaient certes boliviens mais ne pouvait plus être quechuas, aymaras ou guaranis. C'est pourquoi Evo Morales dès son accession au pouvoir a relancé les institutions traditionnelles qui étaient restées en sommeil. Aujourd'hui, l'État Bolivien reconnaît ces institutions et tente de reconstruire un État avec cette particularité comme fondation.
Grâce à cette politique, les indigènes sont reconnus par l'ensemble de la société. Je vous donne une anecdote édifiante. Il y a dix ans, on ne pouvait pas encore rencontrer d'indigènes dans les restaurants, en costume traditionnel. Le changement de mentalité va prendre beaucoup de temps, ce n'est plus le cas aujourd'hui.

Pourquoi est-ce si difficile d'expliquer les raisons du troisième mandat d'Evo Morales au reste du monde ?

Il y a sans doute un défaut d'explication. C'est une question de droit constitutionnel. La constitution a été modifiée en 2005 et le président a terminé un mandat antérieurement à l'amendement constitutionnel. Dans le cadre du nouveau texte il ne s'agit que du renouvellement du mandat. Mais cela a l'air compliqué pour les journalistes européens.
Evo Morales souhaite achever la transformation du pays qui est essentielle pour la stabilité politique à long terme et pour garantir la reconnaissance égalitaire des peuples indigènes et toute la place qui leur est due

Quelle est la situation économique en Bolivie actuellement ?

Je réponds toujours avec humour à cette question. Nous avons construit notre révolution comme « la révolution culturelle démocratique ». Et les meilleurs résultats sont sur le terrain économique ! Les résultats économiques n'ont jamais été aussi bons en Bolivie dans toute son Histoire. Nous avons beaucoup de ressources naturelles : du gaz, du pétrole, de l'eau, ce qui constitue un atout considérable pour le développement du pays. Pendant longtemps les bénéfices de l'exploitation étaient portés au crédit des multinationales dans le ratio de 80% en leur faveur et 20% pour l'État. Avec la nationalisation de la collecte de ressources naturelles - nous n'avons pas touché à l'outil de production - et grâce à la création de la compagnie nationale YPFB, un rééquilibrage des bénéfices a été opéré.

Grâce à ses nouvelles ressources, le gouvernement a pu mener une politique de redistribution qui dynamise très fortement l'économie dans l'ensemble du pays. La Bolivie a atteint les 20% d'exportation. Avant l'arrivée de l'État, plus de 60% de la population était en situation d'extrême pauvreté, maintenant l'extrême pauvreté est de 20% et la pauvreté à 36%, selon les critères de la Banque Mondiale. Le niveau de vie augmente peu à peu grâce aux redistributions et aux investissements dans de nouvelles infrastructures : de nouvelles routes, des aéroports, etc. La consommation intérieure représente un levier important de la croissance économique. L'année dernière, la croissance était de 4,5%. Cette année, elle devrait être aux alentours de 5%, d'après les organismes internationaux.

Le processus de transformation des matières première est-il envisagé en Bolivie pour créer plus d'activité que la simple vente des ressources brutes ?

Nous nous inscrivons en effet dans ce processus industriel, car les ressources ne sont pas infinies. Concernant le gaz, nous avons déjà construit deux grandes usines de liquéfaction. Nous avons aussi quatre centrales thermoélectriques qui nous permettent de produire et vendre de l'électricité aux pays voisins.

La Bolivie possède plus de la moitié des réserves mondiales de lithium. Malheureusement les constructeurs automobiles français ne se sont pas installés dans notre pays, la taille du marché bolivien étant insuffisante. La détention des ressources naturelles n'entraine pas automatiquement l'implantation des unités de production. C'est pourquoi nous avons commencé à produire des batteries en lithium.
Notre politique sollicite de plus en plus le transfert des compétences et des savoir-faire des entreprises qui viennent investir. Par ailleurs de nombreux étudiants partent se former à l'étranger et nous réussissons à les faire revenir par le développement du pays. Le Président Morales l'a bien souligné : « On cherche des partenaires, pas des patrons ».

Quelles sont vos relations avec la France sur le plan économique, touristique ?

La France et la Bolivie entretiennent d'excellentes relations bilatérales. Evo Morales et François Hollande échangent fréquemment.

La Bolivie a acheté des hélicoptères et des avions de combat à la France. Nous venons aussi de passer un contrat pour des radars de contrôle aériens. Cependant la balance commerciale est déficitaire avec la France, mais les négociations commerciales et diplomatiques se passent très bien.

Comment mieux faire connaître la Bolivie et ses atouts touristiques ?

Le ministère de la Culture et du Tourisme tente de promouvoir le pays et son patrimoine. Les français sont d'ailleurs les touristes européens les plus nombreux à visiter la Bolivie. Mais il s'agit encore pour la plupart de « touristes sac-à-dos ». Les groupes hôteliers français commencent à s'installer. Je vais aussi faire découvrir la Bolivie à un groupe de députés français prochainement. Un groupe de sénateurs est déjà venu. La démocratie parlementaire est importante car elle est plus libre, c'est « la diplomatie du peuple ».

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press