Entretien avec Florence BERTHOUT, maire du 5ème arrondissement de Paris

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press - 05/05/2017 13:05:00

Avec 8 femmes maires d’arrondissement de Paris sur 20, peut-on parler de parité ?

Effectivement, c’est mieux, surtout qu’en 1983 il n’y avait « aucune » maire d’arrondissement. D’une façon générale, il faudrait davantage de femmes dans notre vie politique. Il y a historiquement peu de place pour les femmes dans les fonctions exécutives. Pourtant les femmes apportent un regard plus concret, plus pragmatique. Ce qui se fait dans les arrières cuisines politiciennes ne les intéressent pas beaucoup. Ce qui est un inconvénient, car les postes exécutifs importants sont souvent distribués lors de ces conciliabules. 


Comment jugez-vous les relations entre les maires d’arrondissements et la Mairie de Paris ?

Depuis le mandat d’Anne Hidalgo, on assiste à un phénomène de centralisation dissimulé. Sous couvert d’améliorer la qualité de vie parisienne, la maire de Paris chercher à centraliser ou mettre un frein à l’autonomie déjà toute relative des mairies d’arrondissements. Politique sociale ou politique en direction des seniors, ou centre d’action sociale, ces unités étaient autonomes et présidées par les maires. Aujourd’hui, leur rôle dans ces structures a été vidé de leur substance. Ces centres fonctionnaient majoritairement grâce à des bénévoles, qui ont été écartés au prétexte qu’ils pouvaient être engagés politiquement ou inaptes. C’est ainsi que la mairie de Paris a récupéré les services administratifs.
La Maire souhaite réitérer le processus avec la caisse des écoles, normalement protégée par la loi PLM de 1982, sur les statuts particuliers des municipalités parisienne, lyonnaise et marseillaise. Cette loi dispose que les caisses des écoles fonctionnent par arrondissement et soient présidées par leur maire respectif. Bien que son projet maintienne la présidence des maires sur la caisse des écoles, son objectif n’en reste pas moins de procéder à la création d’une immense centrale d’achat.

Ce projet a pour but inavoué d’effectuer un formidable cadeau aux géants de la restauration. En effet, dans le 5ème ar, nous distribuons 140 000 repas par an. À l’échelle de Paris, le chiffre est de 24 millions. Ce serait une catastrophe pour tous les producteurs locaux et les fournisseurs intermédiaires d’être éjectés de ce marché. À la mairie du 5ème notre approvisionnement ne passe que par les filières courtes qui nous permettent de maitriser intégralement notre chaîne d’approvisionnement. En plus de resserrer le tissu économique, nous ne payons pas d’intermédiaire. Résultat : nous avons un coût de revient le moins de cher de Paris avec 7€ par assiette en moyenne. 


Le logement est un des grands enjeux dans la capitale. Avez-vous des moyens d’action ?

Il y a effectivement des enjeux majeurs dans une politique locale. La politique de logement en est un. Aujourd’hui, l’attribution de logement s’effectue selon un système de « scoring ». C’est en fonction du nombre de point de votre candidature que vous aurez un logement. Et à l’échelle parisienne, les différents échelons administratifs attribuent chacun un quota, surtout le préfet. Les maires, eux, attribuent entre 5 et 10% des logements. Le reste, c’est une attribution automatisée. En fait, ce système sert une logique clientéliste, mais extrêmement perverse. Mme Hidalgo donne donc une énorme priorité aux logement sociaux, et casse ainsi totalement l’équilibre sociologique de Paris. La mixité c’est un peu de très social, un peu de social, et du non social. Sinon vous n’avez pas d’équilibre. Et il faut impérativement le maintenir.
Dans le 5ème, l’immobilier reste très cher, ce qui a freiné la politique expansionniste de la ville en matière de préemption. Il n’en demeure pas moins qu’une partie des logements sont classés en intermédiaire. C’est-à-dire occupés par une population proche de la classe moyenne. Et les familles issues de cette catégorie ne bénéficient d’aucun avantage et ont des charges majorées. Elles sont parfois dans une situation inéquitable dans laquelle leur marge de manœuvre est plus faible que celle de familles entièrement prises en charge par l’État grâce aux allocations, dégrèvements et exemptions. La ville doit veiller à ne pas décourager les familles qui contribuent le plus à la mixité sociale qu’elle appelle si souvent de ses vœux. 


Quelles sont les relations avec l’opposition pendant les conseils d’arrondissement?Depuis mon accession à la tête du 5ème, nous avons progressivement des positions communes sur des sujets variés. Ainsi, certains de mes vœux sont adoptés par l’opposition. Par exemple dans le domaine des transports en commun et des lignes de bus, nous avons des positions similaires. Il n’en demeure pas moins que chacune des parties ; majorité et opposition sont dans leur rôle. Il est évident qu’avec la proximité, nos conseils d’arrondissement sont des lieux de débats, et surtout de propositions.


Les maires d’arrondissement organisent souvent des manifestations culturelles. Quelle est la place de la vie culturelle dans le 5ème ?

Nous avons une situation particulière, notre vie culturelle provient de l’arrondissement lui-même. On a la plus grosse concentration de librairies et de maison d’éditions de Paris. Je me bats beaucoup pour que la SEMAPA (Société d'Économie Mixte d'Aménagement de Paris), qui rachète des rez-de-chaussée d’immeubles, les destinent à des libraires ou des espaces culturels. Elle vient d’acheter un établissement à deux pas de la place de la Contrescarpe, lieu mythique du 5ème. Après 6 mois de travaux, cela va nous permettre d’installer des librairies, des maisons d’édition, des galeries, de l’artisanat d’art. Ce qui est absolument primordial. Nous avons également la plus grosse concentration de Paris et de France de cinéma d’art et d’essai : une bonne douzaine. De plus, nous aurons prochainement un centre culturel marocain, dont nous sommes très heureux, car il est directement porté par le roi du Maroc.


Pour quelle raison ?

La vie culturelle et intellectuelle est une marque de fabrique du 5ème arrondissement. Mais mon parcours l’explique aussi. J’ai été pendant trois ans directrice générale de l'Établissement public du parc et de la Grande Halle de la Villette. Par ailleurs, je préside le FRAC (Fond Régional d’Art Contemporain), qui est un fond financé par la région d’ile de France. Le FRAC permet de dynamiser les arts contemporains, mais ils n’ont pas été suffisamment mis en valeur, et force est de constater qu’ils sont peu connus du grand public. Mais c’est un formidable moyen pour soutenir la création, de la valoriser et de sensibiliser nos élèves à l’art contemporain, qui se nourrit des beaux arts du passé. Avec Valérie Pécresse nous sommes en train de mettre en place une politique de diffusion très proactive, notamment à travers un projet qui s’appelle « Flash Collection ». Dans plus de 20 lycées franciliens notamment dans des zones prioritaires nous allons présenter à nos lycéens nos collections en vue de débats, d’échanges, d’initiatives pédagogiques. Il s’agit d’ouvrir l’horizon.


Vous évoquez les lycéens et la jeunesse. Mais quelles sont vos actions en faveur des personnes âgées ?

J’ai proposé des « estivales seniors ». Car il y a un sujet majeur, c’est celui de la solitude des personnes âgées : un mal de notre société qui traverse toutes les origines sociales. Au départ je n’avais pas un euro pour agir dans ce domaine, sur le budget de l’arrondissement. J’ai tenu à mettre en place ce dispositif en faveur des personnes âgées de l’arrondissement. Il y a des animations de grande qualité tous les jours, et je l’ai fait en utilisant mon carnet d’adresse, en proposant aux gens de donner un moment aux autres. Par exemple un cuisinier qui vient faire un atelier gastronomique, un œnologue qui vient faire une dégustation. Une majorité de nos intervenants proviennent du 5ème. Et cela n’avait jamais été fait.
Nous avons aussi mis en place un partenariat avec une école d’informatique de l’arrondissement afin que les étudiants viennent bénévolement faire de la formation dans l’arrondissement à raison de deux cours par semaine. Le directeur était enchanté de pouvoir faire découvrir à ses élèves les fondamentaux de la pédagogie, et moi ravie de pouvoir proposer aux personnes âgées une mise à niveau. Chacune des générations apporte quelque chose à l’autre. Cela participe de l’équilibre de notre société d’une façon générale et de notre 5ème arrondissement.

Entretien avec Jean-François Puech, Directeur de la Rédaction
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