Exploitation forestière en Afrique : à quoi joue l'AFD ?

Greenpeace - 17/05/2017 10:40:00


Après la guerre qui a frappé la République démocratique du Congo (RDC) en 2002 et sous la pression de la Banque mondiale, le gouvernement congolais a suspendu les attributions de nouvelles concessions d'exploitation forestière. L'un des principaux objectifs de cette mesure adoptée il y a 15 ans était de mettre en place de nouvelles mesures pour transformer le secteur forestier en une industrie durable, capable de générer des milliards de dollars de chiffre d'affaires et des dizaines de milliers d'emplois. Or l'Agence Française de Développement (AFD) a proposé un programme qui encourage le développement de l'exploitation industrielle du bois dans le pays, à contre-courant des efforts réalisés ces dernières années.

En raison d'une incapacité à mettre en place un zonage participatif sur les potentielles zones de concessions, d'une défaillance dans l'instauration d'un plan évolutif sur trois ans indiquant le nombre, la surface et l'emplacement des concessions progressivement attribuées, et de l'absence de moyens nécessaires pour réguler, surveiller et contrôler l'exploitation forestière commerciale, le moratoire est resté en vigueur ces quinze dernières années, contribuant ainsi à la préservation de la forêt congolaise (la plus grande du bassin du Congo, second massif tropical au monde) en interdisant l'expansion des concessions d'exploitation forestière.

Une forêt menacée

Mais ce moratoire se trouve aujourd'hui lourdement menacé. Au cours des quinze dernières années, de nombreuses violations ont pu être observées, notamment par des représentants du gouvernement congolais qui, poings et pieds liés par ce moratoire, aimeraient pouvoir s'en débarrasser. Sa levée mettrait en péril l'habitat de nombreuses espèces menacées, et pourrait anéantir la possibilité pour les communautés forestières de gérer elles-mêmes leurs ressources.

En juillet 2016, Greenpeace a signalé l'attribution de concessions illégales par l'ancien ministre de l'Environnement, Bienvenue Liyota. En février 2017, elle a identifié deux autres concessions illégalement attribuées par le ministre de l'Environnement, Robert Bopolo, en poste en septembre 2016. R. Bopolo a par la suite reconnu qu'il avait signé trois contrats de concessions et a évoqué l'existence potentielle d'autres attributions illégales. Bien que le ministre Athys Kabongo Kalonji ait annoncé qu'il annulerait chacune des concessions illégales attribuées par son prédécesseur, les arrêtés d'annulation n'ont pas encore été publiés à ce jour.

On ne sait toujours pas quelles sont les autres personnes impliquées dans la dissimulation de ces concessions illégales, car aucune enquête indépendante n'a été ouverte et, par conséquent, aucune sanction n'a été infligée à l'encontre des personnes concernées. Comment est-il possible que les responsables de ces irrégularités n'aient pas été tenus de rendre des comptes et, pire encore, que certains d'entre soient promus?

Le trouble jeu de l'AFD

Les donateurs de l'Initiative pour la forêt de l'Afrique centrale (CAFI), visant à protéger la forêt du Congo en réduisant les émissions de carbone provoquées par la déforestation et la dégradation forestière, ont demandé l'annulation immédiate de ces attributions illégales. Plus de trois mois après que ces faits ont été dénoncés, le gouvernement de la RDC reste toujours indifférent.

Parmi les programmes soumis à cette initiative se trouve un programme étonnant de l'Agence française de développement (AFD), dont l'un des objectifs est de soutenir et d'accroître l'exploitation industrielle des forêts en RDC, en augmentant par exemple l'espace forestier sous concession pour l'amener à 300 000 km2, soit plus qu'un quart de la forêt du pays - une superficie équivalente à celle de l'Italie. L'AFD est l'agence de développement du gouvernement français ; elle pour mandat de financer des projets censés réduire la pauvreté dans les pays étrangers et se trouve en partie financée par les contribuables français. Or, elle a récemment pris des engagements pour éviter de financer tout projet qui contribuerait à la déforestation ou la dégradation des forêts en Afrique.

Pourtant, un autre de ses objectifs consiste précisément à appuyer le gouvernement de la RDC à lever le moratoire sur l'allocation de nouvelles concessions forestières industrielles d'ici 2018, alors que la RDC n'a en aucun cas mis en place les conditions d'une gouvernance forestière à même de préserver la ressource dans la durée - et les récentes violations du moratoire que nous avons découvertes sont la preuve que nous en sommes encore bien loin.

En effet, en RDC, les marges de manoeuvre de la société civile et des communautés locales se réduisent, nombres d'opérateurs forestiers agissent sans plans d'aménagement et ne s'acquittent pas des taxes dues à l'Etat. Bien trop souvent, l'illégalité prédomine donc encore dans les forêts congolaises et le secteur n'est jamais parvenu à réduire la pauvreté dans le pays.

En RDC, les villages entretiennent une relation conflictuelle avec les entreprises forestières industrielles : absence de dialogue et restitutions financières minimales en comparaison aux chiffres d'affaires générés par l'exploitation forestière. Si la foresterie communautaire, dont nous voyons les premiers balbutiements, donne aux communautés locales et autochtones la possibilité d'assurer le contrôle et la gestion de la forêt de manière durable, la levée du moratoire souhaitée par l'AFD portera un coup d'arrêt certain à cette tentative pourtant prometteuse, car les nouvelles concessions industrielles entreront en concurrence avec les projets communautaires, trop petits pour faire face.

Climat tendu

Étonnamment, ce programme de l'AFD s'inscrit dans le cadre d'efforts internationaux de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre (GES) via la lutte contre la déforestation des forêts tropicales intitulée « Reduced Emissions from Deforestation and Forest Degradation » (REDD+).

Pourtant, en 2013, la déforestation en RDC a émis presque autant de CO2 dans l'atmosphère (0,337 Gt) que la combustion d'énergies fossiles additionnée à la production industrielle en France (et presque huit fois plus que la Norvège). L'AFD reconnaît elle-même que l'exploitation industrielle de bois est responsable de la production de GES. En effet, les études scientifiques les plus récentes démontrent qu'au minimum 4% des GES sont issus de l'extraction industrielle de bois dans les forêts tropicales. Or, le programme de l'AFD prévoit d'augmenter l'extraction de bois de manière industrielle en RDC, et va donc directement à l'encontre de l'objectif de REDD+, qui est de réduire les émissions de GES.

Un comité technique chargé d'évaluer la proposition de l'AFD a demandé que le programme soit révisé. Greenpeace et d'autres organisations de la société civile demandent que le nouveau programme abandonne l'objectif de levée du moratoire et abandonne son soutien à l'exploitation industrielle. Au contraire, l'AFD devrait soutenir la participation de la société civile et des communautés locales à l'aménagement foncier du territoire, soutenir la foresterie communautaire, renforcer les capacités du ministère en charge de l'environnement et des forêts pour assurer une meilleure gouvernance du secteur, et renforcer les capacités des autorités judiciaires pour sanctionner les infractions commises et lutter contre la corruption galopante.

Il reste encore de vastes forêts tropicales en RDC, ceci dans le continent qui a enregistré le plus grand taux de déforestation depuis 1990. Néanmoins, les forêts de la RDC sont de plus en plus menacées : le pays a perdu en moyenne 5 700 km2 de forêt chaque année entre 2000 et 2014 (soit 80 000 km2 durant cette période, une superficie égale à celle de l'Irlande). De plus, les taux de déforestation ont plus que doublé entre 2010 et 2014.

Il est temps que le gouvernement congolais, ainsi que les pays donateurs, fassent le nécessaire pour protéger ce poumon de la planète avant qu'il ne disparaisse. Et il n'est pas acceptable que l'argent des contribuables français participent d'une manière ou d'une autre à la disparition des forêts africaines.