Tunisie : Interview de Hafed Caïd Essebsi (HCE), directeur Exécutif de Nidaa Tounes par Guy Sitbon, ancien correspondant du Monde en Tunisie

Nidaa Tounes - 20/05/2017 10:25:00


Hafed Caïd Essebsi est aujourd'hui le directeur exécutif de Nidaa Tounès, le parti qui a gagné les élections en Tunisie et qui domine la coalition gouvernementale. Le fils du Président de la République Béji Caïd Essebsi, dirige aujourd'hui le parti fragilisé par une crise interne et une fraction de l'élite moderniste.

« Sebssi junior », comme on l'appelle aujourd'hui à Tunis, incarne  la réconciliation avec les islamistes d'Ennahda, les adversaires d'hier et entend relancer sa formation politique

 GS : Comment répondez-vous aux mouvements politiques qui souhaitent déplacer les débats dans la rue ?

HCE : La transition démocratique en Tunisie garantit à chaque tunisien le droit de manifester et d'exprimer ses opinons dans le respect des lois en vigueur. La jeune démocratie tunisienne entend plus que jamais consolider ce processus exemplaire dans le monde arabe. La Tunisie est aujourd'hui une démocratie fondée sur les élections et la volonté du peuple. En matière de libertés, il y a des acquis considérables après deux élections démocratiques  et nous travaillons à ancrer ce processus. Nous traversons une crise économique et sociale sans équivalent, il nous faut un projet porteur et une vision claire qui puisse rassurer les tunisiens.

 

GS : Comment percevez-vous les divisions à venir au sein de Nidaa Tounes ? Est-ce que vous vous placez dans une optique d'alliances, de neutralité ou d'opposition ?

HCE : A la base de ce conflit une vingtaine de personnes, entre autre d'éminents membres fondateurs du mouvement ont choisi de quitter le parti de Nidaa Tounes. Cet incident remonte aux élections législatives. En effet, nous avons mené une consultation nationale dans toutes les coordinations du parti dans le pays pour désigner les candidats figurant dans les listes électorales. Cette consultation a suscité un  désaccord entre les différents membres du parti et a créé des clivages au sein du parti. A la suite du congrès de Sousse approuvé  par le bureau Constitutif de Nidaa Tounes, j'ai été désigné directeur exécutif de Nidaa Tounes. A présent, nous connaissons nos points positifs et nos points faibles et nous travaillons ensemble afin de les améliorer. Nous avons bien conscience que tout n'est pas fixé et figé dans le marbre. Plusieurs options sont donc toujours sur la table. Mais, en demandant le report d'échéances électorales - les municipales - certains responsables politiques fragilisent les institutions.

Je crois toujours que les élections municipales qui auront lieu le 17 décembre prochain sont une date historique incontournable pour le parti et pour le pays. Lors de ce rendez-vous historique qui doit être maintenu, nous serons présents dans pas moins de 350 listes électorales et nous comptons bien motiver nos troupes et convaincre les électeurs.

 

GS : Que pensez-vous de l'alliance historique de Nidaa Tounes et Ennahdha ?

HCE : Cette coexistence repose sur la rencontre historique entre Béji Caïd Essebsi et Rached Ghannouchi le 15 Aout 2014 à Paris. Ce compromis est dû au résultat des élections législatives (Nidaa Tounes 40%, Ennahdha 30%). À présent, nous devons faire avec la réalité de la scène politique de notre pays. Aujourd'hui, cette alliance est dans notre intérêt commun, je le répète : c'est l'intérêt du pays. Il y va de sa stabilité et de sa sécurité;et c'est important pour l'économie. Bien que nous soyons actuellement le parti le moins représenté dans le gouvernement, nous continuons cependant à le soutenir, et ce afin qu'il réponde aux objectifs de la mission qui lui a été confiée par les tunisiens.

 

GS : Est-ce que Ennahdha vous a imposé des choix ?

HCE : Avant les élections de 2014 nous étions des adversaires d'Ennahdha. A présent, nous sommes des concurrents d'Ennahdha. Nous avons souvent eu recours à la négociation afin de trouver un consensus avant de présenter nos projets de loi à l'assemblée nationale.

GS : Pouvez-vous nous donner un diagnostic sur la situation sécuritaire actuelle du pas ?

HCE : Malgré les attaques terroristes perpétrées au Bardo et à Sousse, j'admets que la situation aujourd'hui en Tunisie est bien meilleure par rapport à celle de la première année de la révolution, en 2011.  Je salue par la même occasion les efforts déployés par nos forces de l'ordre afin de maintenir le calme dans le pays. Ceci nous aidera à booster le secteur touristique, handicapé par le terrorisme.

GS : Est-ce que la Tunisie d'aujourd'hui est orientée vers l'Occident ou l'Orient ?

HCE : Nous sommes orientés vers l'Occident et nous entretenons aussi de bonnes relations avec l'Orient au vu nos traditions communes. Nous gardons aussi nos alliances stratégiques avec la France (40% de nos échanges commerciaux s'effectuent avec la France). Nos échanges avec les Etats Unis se concentrent essentiellement sur la préservation de la paix dans la région du MENA (Middle East North Africa).

GS : Pensez-vous qu'il est temps de tourner la page de la période coloniale ?

HCE : Il faut se fonder sur la réalité. Nous avons déjà tourné la page car à présent 700.000 Tunisiens vivent en France et nous avons une importante communauté Française en Tunisie. Nous entretenons des rapports cordiaux avec la France depuis 1956.

GS : Comment répondez-vous à vos détracteurs qui affirment que vous êtes privilégié parce que vous êtes le fils du président Béji Caïd Essebsi ?

HCE : Je l'entends, et c'est un argument facile. Cependant, nul ne peut priver un citoyen dans une démocratie de ses droits les plus essentiels au nom d'une critique il est vrai, facile, de la succession qu'il est tentant de qualifier de dynastique. En démocratie, il n'y a pas le « fils de » ou le « frère de ». Chaque citoyen a des droits et des obligations. Personnellement, j'ai choisi de m'orienter vers la politique et je dirige à présent l'un des grands partis du pays et je souhaite vivement remporter avec mon parti les prochaines élections municipales en décembre 2017.

 

GS : Parlez-nous de votre parcours ?

HCE : Je suis né en 1961 et j'ai un parcours divers à cause de la carrière diplomatique de mon père. J'ai poursuivi mes études entre la France et la Tunisie. J'ai fait des études de Droit et de Relations Internationales en France  à Paris 2 ASSAS.  Je n'ai pas seulement eu un engagement politique. J'ai été un entrepreneur pendant 15 ans dans le secteur privé. Mais la politique m'a rattrapé...Ainsi que le football puisque j'ai été vice-président de « l'Espérance sportive de Tunis ».  

GS : Peut-on dire qu'il y a unité de vue en politique entre le Président de la République et vous-même ?

HCE : nous avons été en désaccord. Et nous nous sommes affrontés sur le plan politique. Ainsi, nous nous sommes opposés à l'occasion d'élections générales. Aux élections de 1989, mon père était tête de liste du RCD et j'y ai participé avec le Parti Socialiste du Progrès (PSP). Mon père a remporté les élections, et le parti que je représentais a obtenu la 3ème place. Il faut dire cependant que sous l'ancien régime, la marge de manoeuvre était très difficile. Aujourd'hui, les temps ont changé, nous sommes un exemple de démocratie dans le monde et pour répondre à votre question, on peut adhérer à un point de vue mais sur un autre sujet on peux ne pas le partager du tout.

GS : Une question plus personnelle, quelle est votre situation familiale ?

HCE : Je suis marié et père de deux enfants. Ma fille ainée fait des études de droit dans une université parisienne, tandis que mon fils, nommé Béji à la mémoire de son grand-père, s'est orienté vers les Sciences Politiques en France. Comme tout père de famille, je suis avec attention le devenir des enfants.

Guy Sitbon