"La décoration du corps humain et risques pour la santé"

Académie Nationale de Pharmacie - 03/07/2017 17:15:00

Les pratiques de décoration du corps humain (tatouages, perçage (piercing), éclaircissement des dents, pose de faux ongles, ...) se multiplient. Ainsi, parmi les techniques de décoration du corps humain, les tatouages et perçages, rares en 1990, concernaient en 2013, 10 % des français dont 20 % des moins de 35 ans [7] ; éphémères, semi-permanents, permanents (ou irréversibles) [5], ils s'adressent à des zones variées et à des surfaces corporelles de plus en plus grandes, voire au corps entier [10][13] ; en 2014, 40 % environ des personnes ayant eu recours à ces décorations le regrettent [1] et certaines sollicitent un détatouage, lui-même non dépourvu de risques [17].

Considérant que :

. malgré l'existence d'une règlementation sur les techniques de tatouage par effraction cutanée, y compris de maquillage permanent, et de perçage corporel [20],

. les techniques de tatouage et de perçage peuvent être réalisées par des personnels peu ou pas formés [8] (en France le nombre de boutiques dédiées serait passé de 400 environ en 1990 à près de 4000 en 2013 [9]), voire par les usagers eux-mêmes [2] ;

. les techniques de décoration du corps humain peuvent mettre en oeuvre des produits exclus du champ de la réglementation des produits de santé [19] et produits cosmétiques [22]. La nature de ces produits est souvent mal connue [12][16] et leur innocuité compromise par la présence d'impuretés chimiques et/ou biologiques [15][18][21]. Par exemple le « henné noir », qui contient de la paraphénylènediamine (PPD) ajoutée au henné naturel, est responsable de nombreuses allergies. Certains de ces produits ont d'ailleurs fait l'objet de retraits du marché [23].

. les produits déficients et les pratiques sont susceptibles d'entraîner des effets indésirables tels que des infections [4][14], des allergies [3][11] et des lésions tumorales [6][11]. Ils peuvent entraîner des risques particuliers en cas de pathologies cutanées préexistantes.

L'Académie nationale de Pharmacie recommande que :

. une information appropriée soit mise à la disposition des personnes (en particulier des jeunes) ayant l'intention de recourir aux techniques de tatouage ou à toute autre technique de décoration du corps humain, sur la nécessité de s'adresser à des professionnels enregistrés ; sur les risques sanitaires ; notamment en ce qui concerne le tatouage, sur le comportement des encres différent selon leur couleur en termes d'évolution dans le temps et d'effacement au détatouage ; sur l'importance de la surveillance et du suivi et sur l'obligation de déclaration d'effets indésirables ; dans le cas des tatouages permanents ou « des maquillages dits semipermanents » très proches techniquement des tatouages, sur les problèmes liés à la toxicité de certaines encres et au caractère indélébile de ces tatouages ; sur le risque d'exposition
prolongée d'un tatouage au soleil ; sur le risque d'association aux médicaments photo-sensibilisants des pratiques faisant appel aux UV ; le conseil de ne pas mâcher des produits ou aliments colorants pendant un traitement éclaircissant des dents « en ambulatoire».

Cette information pourrait être portée par :

- les pharmaciens d'officine au moyen d'affichages, vitrines, présentations, notes, dialogues ;
- les médecins (généralistes, médecins scolaires, spécialistes, médecins du travail, ...) à la faveur des consultations, campagnes d'information et de dépistage ;
- les chirurgiens-dentistes qu'ils soient ou non directement sollicités pour l'éclaircissement des dents ;
- les autres professionnels impliqués dans les pratiques de décoration (esthéticiennes, techniciens des bars à sourire et ongleries, tatoueurs, « pierceurs », ...) ;
- les infirmiers, assistantes sociales, psychologues ;
- personnels des structures en contact avec les jeunes (enseignants, encadrants, ...) ;

. les usagers, en particulier les jeunes et les professionnels, soient avertis des dangers de l'utilisation d'internet susceptible d'une part, de proposer des produits de qualité non contrôlée, voire dangereux et d'autre part, de promouvoir des pratiques à risques de décoration du corps humain ;

. une formation appropriée concernant les risques sanitaires soit assurée pour :
- les professionnels de santé (médecins, chirurgiens-dentistes, pharmaciens, infirmiers, ...) dans le cursus de leurs études et dans le programme de leur formation continue ;
- les professionnels impliqués dans les pratiques de décoration du corps humain, dans le cursus de leurs études ou le cas échéant dans le module de formation préalable à leur déclaration d'installation et de façon régulière et continue au cours de leur exercice professionnel ;
- les formateurs et encadrants (enseignants, moniteurs de colonies, éducateurs, ...) de façon ponctuelle et spécifique ;

. l'arsenal réglementaire soit complété en cas de besoin pour couvrir l'ensemble des pratiques souvent rapidement évolutives et que, si nécessaire, les inspections des professionnels impliqués dans la décoration du corps humain soient renforcées (contrôle des pratiques, de la qualité des produits utilisés et de leur traçabilité, ...) ;

. tout effet indésirable lié aux pratiques de décoration soit signalé. Il est rappelé que les tatoueurs, les professionnels de santé et les responsables de la mise sur le marché des produits de tatouage doivent déclarer sans délai les effets indésirables graves à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) ;

. la recherche en relation avec les pratiques de décoration du corps humain soit encouragée sur :
- les aspects anthropologiques et les considérations éthiques ;
- les aspects toxicologiques des produits mis en oeuvre et de leurs adjuvants éventuels
incluant notamment les données d'exposition (nature, quantité, ...) et de métabolisme (migration de pigments) ;
- les études de stabilité (notamment à la lumière et au laser) ;
- les aspects méthodologiques d'évaluation du risque ;
- les processus d'altération cutanée, de pathologies locales ou générales, somatiques ou neurologiques, susceptibles d'être induits à court ou long terme par les décorations réalisées sur le corps humain, associés ou non à une pratique invasive (anesthésie, intervention chirurgicale, ...) ;
- la mise en évidence, au moyen d'études systématiques, de lien de causalité entre les décorations corporelles et les pathologies soupçonnées d'être corrélées ;
- le suivi épidémiologique ;

. la publication scientifique de ces recherches soit encouragée ainsi que leur vulgarisation (presse jeune, autres magazines, sites internet, ...).

[1] AMADIEU J.L., Le regret dans la peau, Atlantico Ed., 2014
[2] AMETIS E., Tatouages : l'interdiction de certains colorants menace les tatoueurs d'un retour à la clandestinité,
Le Huffpost, 2013 ; 28-11.
[3] ASHINOFF R., LEVINE V.J., SOTER N.A., Allergic reactions to tattoo pigment after laser treatment,
Dermatol Surg 1995 ; 21 : 291-4.
[4] BARAN R., Incidents liés à la cosmétologie pour parure unguéale. Réalités thérapeutiques en dermatovénéréologie,
Cahier 2, Dermatologie esthétique 2014 ; 234 : 10-4.
[5] CAUCANAS M., El HAYDERI L., LEBAS E., RICHERT B., DEZFOULIAN B., NIKKELS A.F.,
Complications dermatologiques des tatouages définitifs et temporaires, Annales de Dermatologie et de
Vénéréologie, 2011 ; 138-2 : 161-162
[6] DUHARD E., Maquillage de l'ongle, Dermato Mag. 2016 ; 4 : 104-8.
[7] FOURNIER L.S. et RAVENEAU G., Anthropologie des usages sociaux et culturels du corps, Journal des
anthropologues, 2009 ; 112-3.
[8] HAYWOOD V.B., HEYMANN H.O., Nightguard vital bleaching, Quintessence Int. 1989 ; 20 : 173-6.
[9] KLUGER N., Pratiques de tatouage et du perçage, Presse Med. 2008 ; 37 : 1109-11.
[10] KLUGER N., Tatoués, qui êtes-vous ? Caractéristiques démographiques et comportementales des personnes
tatouées, Annales de Dermatologie et de Vénéréologie 2015 ; 142 : 410-20.
[11] KÖRNER R., PFÖHLER C., VOGT T., MÜLLER C.S. , Histopathology of body art revisited - analysis and
discussion of 19 cases, Journal der Deutschen Dermatologischen Gesellschaft 2013 ; 11 : 1073-80.
[12] KOULAOUZIDOU E., LAMBRIANIDIS T., KONSTANTINIDIS A., KORTSARIS A.H., In vitro evaluation
of the cytotoxicity of a bleaching agent., Endod Dent Traumatol 1998 ; 14 : 21-5.
[13] LE BRETON D., Génération tattoo, Science et santé 2016 ; 31 : 29.
[14] LONG G.E., RICKMAN L.S., Infectious complications of tattoos, Clin Infect Dis 1994 ; 18 : 610-9.
[15] PICCININI P., PAKALIN S., CONTOR L., BIANCHI I., SENALDI C., Safety of tattoos and permanent makeup:
Final report, European commission, JRC Science for policy report, 2016
[16] SERUP J., Tattoo Infections. Personal Resistance and Contagious Exposure through Tattooing, Curr. Probl.
Dermatol., 2017 ; 52 ; 30-41
[17] SERUP J., BÄUMLER W., Guide to treatment of Tattoo Complications and Tattoo Removal, Curr. Probl.
Dermatol., 2017 ; 52 ; 132-138
[18] TIMKO A.L., MILLER C.H., JOHNSON F.B., ROSS E., In vitro quantitative chemical analysis of tattoo
pigments, Arch. Dermatol. 2001 ; 137 : 143-7.
[19] TOMASETTI P., les produits de tatouage constituent-ils un problème de santé publique ? Composition et
risques pour l'homme, Thèse de diplôme d'état de docteur en pharmacie, Université BORDEAUX 2, 2016
[20] Décret n°2008-149 du 19 février 2008
[21] Recommendation from the Danish Environmental Protection Agency on the safety of Tattoo Ink, The Danish
Environmental Protection Agency, 2014
[22] Règlement (CE) n°1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits
cosmétiques
[23] Site de la Commission Européenne, Europa.eu.nt, Avril 2016

DÉCORATION DU CORPS HUMAIN ET RISQUES POUR LA SANTÉ
SÉANCE THÉMATIQUE ACADÉMIE NATIONALE DE PHARMACIE - 14 JUIN 2017
Recommandations adoptées par le Conseil du 21 juin 2017