Niveau d'éducation élevé et faible taux d'activité des femmes: le FIDA et l'OIT s'attaquent au paradoxe de la condition féminine au Moyen-Orient et en Afrique du Nord

OIT- Organisation Internationale du Travail - 03/08/2017 17:05:00

Cette question a été examinée lors d'un récent forum de politique générale organisé avec l'aide d'un projet subventionné par le FIDA, axé sur le suivi et l'évaluation des progrès accomplis en termes d'égalité hommes-femmes au Proche-Orient et en Afrique du Nord.

Les taux d'instruction des femmes dans le monde arabe augmentent considérablement - facteur qui mène généralement à un accroissement des niveaux d'emploi. Alors, pourquoi le taux d'activité des femmes dans le monde arabe est-il non seulement le plus faible au monde, mais aussi en très lente progression?

C'est l'une des questions examinées lors d'un forum de politique générale sur la problématique hommes-femmes et les marchés du travail dans le monde arabe, qui s'est tenu le 3 juillet 2017 à Amman, Jordanie. Parmi les membres de ce groupe de haut niveau figuraient des fonctionnaires et des experts du ministère jordanien de la Planification et de la Coopération internationale, ainsi que des représentants de l'OIT, de la Société allemande de coopération internationale (Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit, GIZ), de l'Association jordanienne de développement des entreprises, et de l'Université du Minnesota.

Le forum s'est inscrit dans le cadre d'un cours sur l'évaluation des programmes du marché du travail animé par l'OIT, grâce à une subvention régionale du Fonds international de développement agricole (FIDA), qui portait sur le suivi et l'évaluation des progrès accomplis en termes d'égalité hommes-femmes au Proche-Orient et en Afrique du Nord. Le partenariat entre le FIDA et l'OIT, également connu sous le nom de «Taqeem Initiative », vise à compiler des données factuelles sur «ce qui fonctionne» dans les stratégies efficaces du marché du travail rural pour les femmes et les jeunes.

Ce cours de 5 jours a réuni plus de 60 participants provenant de neuf pays du Proche-Orient et d'Afrique du Nord: Algérie, Egypte, Irak, Jordanie, Liban, territoire palestinien occupé, Tunisie, Turquie et Yémen. Il a également rassemblé des partenaires financiers comme le Centre de développement de l'OCDE, l'Initiative internationale pour l'évaluation de l'impact (3ie), la GIZ, et le Forum de recherches économiques, qui a apporté son soutien financier et en nature.

Dans ces observations liminaires, Haitham Khasawneh, secrétaire général par intérim du ministère du Travail, a mis en évidence la nécessité de disposer d'éléments factuels concernant l'impact des investissements sur la création de possibilités d'emploi. Il a également relevé l'importance d'encourager les résultats positifs sur le marché du travail en Jordanie, ainsi que de s'inspirer des bonnes pratiques au moment d'élaborer des recommandations politiques.

L'exposé introductif, intitulé «La problématique hommes-femmes et les marchés du travail dans le monde arabe», a été présenté par Ragui Assaad, professeur à la Humphrey School of Public Affairs de l'Université du Minnesota, qui a expliqué ce qu'il entend par «paradoxe de MENA».

«Les jeunes femmes des zones rurales sont à la fois de plus en plus instruites et de moins en moins disposées à travailler dans l'agriculture traditionnelle», explique Ragui Assaad. «Ainsi, en raison de leur mobilité restreinte et des possibilités d'emploi moderne limitées sur leurs marchés du travail locaux, elles tendent à se retrouver de plus en plus au chômage ou à se retirer complètement de la vie active.»

Réfutant l'argument des «valeurs culturelles conservatrices qui réduisent l'offre de main-d'oeuvre», l'orateur a présenté l'idée de «conditions de travail minimales acceptables», à savoir les conditions de travail minimales qu'une femme (et sa famille) sera (seront) en mesure d'accepter.

«Dans le monde arabe, les femmes instruites sont en quête de taux plus élevés de travail rémunéré, pour autant que ce travail réponde à leurs «conditions de travail minimales acceptables», a expliqué Ragui Assaad. Dans des pays comme la Jordanie, l'Egypte et la Tunisie, cela signifie que les lieux de travail doivent se conformer à certaines obligations: protéger l'intégrité sexuelle des femmes et prévenir les risques qui peuvent nuire à leur réputation; empêcher tout contact avec des clients, propriétaires ou supérieurs masculins dans des espaces non publics; être géographiquement accessibles et pas trop éloignés des zones d'habitation; et être implantés dans des établissements stables où il n'y a pas de passants. «En général, cela signifie des lieux de travail plus vastes où de nombreuses autres femmes sont présentes», ajoute-t-il.

Pour étayer ses arguments, Ragui Assaad se réfère aux données primaires collectées auprès de 1 000 personnes interrogées dans le cadre d'une récente étude de l'OIT sur les enjeux du marché du travail jordanien menée par Susan Razzaz. Cette étude cite, entre autres, les propos tenus par un travailleur jordanien de l'industrie manufacturière: «Tant que je serai en vie, je ne laisserai jamais ma soeur travailler dans l'industrie manufacturière. Les employeurs sont très durs. Je n'ai pas confiance en eux: qui me dit qu'ils ne se mettraient pas à crier après ma soeur ou à la harceler?» Lorsque les conditions minimales acceptables ne sont pas réunies, de nombreuses femmes restent à la maison, explique Ragui Assaad.

"Ce n'est qu'au prix d'efforts concertés et grâce à un partenariat unique, comme celui établi entre l'OIT et le FIDA au Proche-Orient et en Afrique du Nord, que l'on pourra réaliser l'objectif d'égalité entre les sexes tel qu'énoncé dans le Programme 2030.»
Ruba Jaradat, directrice du Bureau régional de l'OIT pour les Etats arabes

La sécurité et le harcèlement sont des préoccupations courantes. L'étude reprend les propos d'une chômeuse jordanienne: «J'aimerais bien travailler dans un hôtel si l'emploi répondait à des normes minimales acceptables, par exemple à la réception ou au service restauration. Bien évidemment, je ne peux pas travailler en tant que femme de ménage ou au service d'étage car c'est près des chambres.» L'étude révèle par ailleurs que les longs trajets entre le lieu de travail et le domicile posent également problème.

Cependant, il est possible de faire évoluer les choses: une initiative soutenue par le FIDA dans le cadre du Projet de gestion des ressources agricoles (phase II) en Jordanie a eu accès à la base du savoir traditionnel régional pour sensibiliser 400 petites entreprises à la question des femmes dans le sud du pays. S'appuyant sur une exploitation durable des ressources locales, ces entreprises axent leurs activités sur la transformation alimentaire, les produits laitiers, la production de cornichons et la récolte des champignons.

Des entretiens menés auprès de femmes ayant participé à l'étude montrent que, du fait qu'elles gèrent des petites entreprises générant des revenus, elles se sentent plus autonomes. Elles sont plus indépendantes, jouissent d'un meilleur statut social, et participent plus activement aux prises de décisions, aux niveaux tant communautaire que des ménages.

Au vu de ces résultats, les mesures efficaces devraient porter sur la possibilité d'améliorer les structures d'opportunités pour les femmes.

Ruba Jaradat, directrice du Bureau régional de l'OIT pour les Etats arabes en convient. «Les femmes et les hommes doivent avoir les mêmes chances dans le monde du travail, notamment dans le secteur de l'agriculture, qui représente la plus importante source d'emplois pour les femmes», explique Ruba Jaradat dans un discours prononcé en son nom par Patrick Daru, le coordonnateur de l'OIT pour la Jordanie. «Ce n'est qu'au prix d'efforts concertés et grâce à un partenariat unique, comme celui établi entre l'OIT et le FIDA au Proche-Orient et en Afrique du Nord, que l'on pourra réaliser l'objectif d'égalité entre les sexes tel qu'énoncé dans le Programme 2030 .»

En effet, la table ronde organisée à la suite de l'exposé introductif a permis de reconnaître les tendances positives et de mettre en évidence un certain nombre de facteurs qui conduisent les femmes à des taux d'activité plus élevés: niveau d'études, mariages plus tardifs, accès à des services urbains tels que l'eau et l'assainissement, accès à la technologie domestique, et accès aux marchés de biens et de services qui permettent de gagner du temps.

Cette table ronde aura aussi permis de constater qu'en incitant les employeurs du secteur privé à proposer des journées de travail plus courtes, des moyens de transport peu coûteux, ainsi que des possibilités de travail souples comme le télétravail et le travail à temps partiel, on peut faire bouger les choses. Parmi les autres changements majeurs que l'on pourrait envisager figurent la prise en charge de l'indemnité de congé de maternité par l'assurance sociale, l'obligation de fixer un salaire horaire minimum, la mise en place de systèmes de transports publics plus efficaces où les femmes se sentent en sécurité, et l'adoption de mesures visant à élargir progressivement l'éventail d'emplois considérés comme acceptables pour des femmes dans les sociétés conservatrices.

Créer un environnement propre à inciter les investisseurs à investir dans les zones rurales reculées et rendre le secteur de l'agriculture plus attractif sont des mesures qui devraient aussi être considérées comme des priorités.

Khalida Bouzar, directrice de la Division Proche-Orient, Afrique du Nord et Europ du FIDA, explique qu'«avec l'augmentation de la population et la demande croissante de denrées alimentaires, il est de plus en plus nécessaire d'investir dans l'agriculture et le développement rural. Investir dans l'agriculture est deux à quatre fois plus efficace pour réduire la pauvreté qu'investir dans tout autre secteur. Le secteur agricole est aussi une importante source d'emplois pour les jeunes, en particulier les jeunes femmes. Ainsi, créer des débouchés dans ce secteur permet d'améliorer la vie des agriculteurs pauvres et d'offrir indirectement un moyen de lutter contre les migrations vers les villes et au-delà.»

Photo. High-level panel on "What works in women's employment"