Décisions. Imposition revenus hors de France - Contribution de 3 % sur les montants distribués

Conseil Constitutionnel - 16/10/2017 23:29:19


Le 6 octobre, le Conseil constitutionnel a rendu publiques les décisions :

- n° 2017-659 QPC : Époux N. [Imposition des revenus réalisés par l'intermédiaire de structures établies hors de France et soumises à un régime fiscal privilégié II]

- n° 2017-660 QPC : Société de participations financière [Contribution de 3 % sur les montants distribués]

- n° 2017-659 QPC : Époux N. [Imposition des revenus réalisés par l'intermédiaire de structures établies hors de France et soumises à un régime fiscal privilégié II]

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 10 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 410620 du 7 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour M. et Mme Jean-Marc N. par Me Laurent Roustouil, avocat au barreau de Marseille. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-659 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour les requérants par Me Roustouil et Me Antoine Malgoyre, avocat au barreau de Marseille, enregistrées le 4 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour M. et Mme Christian L. par la SCP Piwnica et Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées les 27 juillet et 16 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Malgoyre, pour les requérants, Me François Molinié, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie intervenante, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Le 1 de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 1998 mentionnée ci-dessus, prévoit :« Lorsqu'une personne physique domiciliée en France détient directement ou indirectement 10 % au moins des actions, parts, droits financiers ou droits de vote dans une personne morale, un organisme, une fiducie ou une institution comparable, établi ou constitué hors de France et soumis à un régime fiscal privilégié, les bénéfices ou les revenus positifs de cette personne morale, organisme, fiducie ou institution comparable sont réputés constituer un revenu de capitaux mobiliers de cette personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient directement ou indirectement lorsque l'actif ou les biens de la personne morale, de l'organisme, de la fiducie ou de l'institution comparable sont principalement constitués de valeurs mobilières, de créances, de dépôts ou de comptes courants.
« Pour l'application du premier alinéa, le caractère privilégié d'un régime fiscal est déterminé conformément aux dispositions de l'article 238 A par comparaison avec le régime fiscal applicable à une société ou collectivité mentionnée au 1 de l'article 206 ».

2. Selon les requérants, ces dispositions interdiraient au contribuable de prouver que l'interposition d'une entité juridique établie hors de France n'a pas pour seul objet l'appréhension de bénéfices soumis à l'étranger à un régime fiscal privilégié. Elles institueraient ainsi une présomption irréfragable de fraude et d'évasion fiscales, contraire aux principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

3. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur le premier alinéa du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts.

4. Selon l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cette exigence ne serait pas respectée si l'impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. L'article 123 bis du code général des impôts prévoit l'imposition des avoirs d'une personne physique fiscalement domiciliée en France qu'elle détient à l'étranger par l'intermédiaire d'une entité juridique dont les actifs sont principalement financiers et soumise à un régime fiscal privilégié. À cette fin, il soumet à l'impôt sur le revenu, selon des règles dérogatoires au droit commun, les bénéfices et les revenus positifs de cette entité, réputés acquis par la personne physique dans la proportion des actions, parts ou droits financiers qu'elle détient dans cette entité.

6. En adoptant l'article 123 bis, le législateur a poursuivi un but de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales de personnes physiques qui détiennent des participations dans des entités principalement financières localisées hors de France et bénéficiant d'un régime fiscal privilégié. Ce but constitue un objectif de valeur constitutionnelle.

7. Toutefois, les dispositions contestées ne sauraient, sans porter une atteinte disproportionnée au principe d'égalité devant les charges publiques, faire obstacle à ce que le contribuable puisse être autorisé à prouver, afin d'être exempté de l'application de l'article 123 bis, que la participation qu'il détient dans l'entité établie ou constituée hors de France n'a ni pour objet ni pour effet de permettre, dans un but de fraude ou d'évasion fiscales, la localisation de revenus à l'étranger.

8. Sous cette réserve, les dispositions contestées, qui ne méconnaissent ni le principe d'égalité devant la loi, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :
Article 1er. - Sous la réserve énoncée au paragraphe 7, le premier alinéa du 1 de l'article 123 bis du code général des impôts, dans sa rédaction issue de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999, est conforme à la Constitution.

Article 2. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.


Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 6 octobre 2017.

- n° 2017-660 QPC : Société de participations financière [Contribution de 3 % sur les montants distribués
LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI le 10 juillet 2017 par le Conseil d'État (décision n° 399757 du 7 juillet 2017), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour la société de participations financière par Me Nicolas Jacquot, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2017-660 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- la directive n° 2011/96/UE du 30 novembre 2011 concernant le régime fiscal commun applicable aux sociétés mères et filiales d'États membres différents ;
- le code général des impôts ;
- la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour la société requérante, par Me Jacquot, enregistrées les 31 juillet et 16 août 2017 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 28 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société F-Iniciativas, par Me Pascal Schiele, avocat au barreau des Hauts-de- Seine, enregistrées le 27 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour la société Jeff de Bruges SAS, par Me Marc Pelletier, avocat au barreau de Paris, enregistrées le 27 juillet 2017 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association française des entreprises privées et autres, par Mes Gauthier Blanluet et Nicolas de Boynes, avocats au barreau de Paris, et Me Stéphane Austry, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, enregistrées les 31 juillet et 16 août 2017 ;
- les pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Jacquot, pour la société requérante, Mes Blanluet et Austry, pour l'association française des entreprises privées et autres, Me Schiele, pour la société F-Iniciativas, Me Pelletier, pour la société Jeff de Bruges SAS, parties intervenantes, et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 26 septembre 2017 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S'EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. L'article 235 ter ZCA du code général des impôts institue une contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués. Le premier alinéa du paragraphe I de cet article, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015 mentionnée ci-dessus, prévoit :
« Les sociétés ou organismes français ou étrangers passibles de l'impôt sur les sociétés en France, à l'exclusion des organismes de placement collectif mentionnés au II de l'article L. 214-1 du code monétaire et financier ainsi que de ceux qui satisfont à la définition des micro, petites et moyennes entreprises donnée à l'annexe I au règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité sont assujettis à une contribution additionnelle à cet impôt au titre des montants qu'ils distribuent au sens des articles 109 à 117 du présent code ».

2. La société requérante et les parties intervenantes reprochent aux dispositions contestées, telles qu'interprétées par le Conseil d'État, d'instituer une différence de traitement injustifiée entre les redistributions de dividendes provenant de filiales selon que ces dernières sont établies dans un État membre de l'Union européenne, auquel cas elles sont exonérées de la contribution, ou qu'elles sont établies en France ou dans un État tiers, auquel cas elles y sont soumises. Les dispositions contestées institueraient également une différence de traitement injustifiée entre les sociétés redistribuant des dividendes reçus de leurs filiales établies dans des États membres de l'Union européenne et celles distribuant des dividendes prélevés sur leur propre profit d'exploitation. Il en résulterait une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

- Sur le fond :

3. Selon l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ». Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit.

4. Selon l'article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

5. L'article 235 ter ZCA du code général des impôts institue, à la charge des personnes passibles de l'impôt sur les sociétés, une imposition dénommée « contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués ». Cette contribution est due par la personne qui procède aux distributions de revenus, au sens des articles 109 à 117 du même code. Elle a pour fait générateur la distribution et est égale à 3 % des montants distribués.

6. Il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d'État, telle qu'elle ressort de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que les dispositions de l'article 235 ter ZCA ne peuvent être appliquées aux bénéfices, redistribués par une société mère, provenant d'une filiale établie dans un État membre de l'Union européenne autre que la France et relevant du régime mère-fille prévu par la directive du 30 novembre 2011 mentionnée ci-dessus, mais peuvent, en revanche, être appliquées à l'ensemble des autres bénéfices distribués par cette société mère.

7. Il résulte ainsi des dispositions contestées une différence de traitement entre les sociétés mères, selon que les dividendes qu'elles redistribuent proviennent ou non de filiales établies dans un État membre de l'Union européenne autre que la France. Or, ces sociétés se trouvent dans la même situation au regard de l'objet de la contribution, qui consiste à imposer tous les montants distribués, indépendamment de leur localisation d'origine et y compris ceux relevant du régime mère-fille issu du droit de l'Union européenne.

8. En instituant la contribution additionnelle à l'impôt sur les sociétés au titre des montants distribués, le législateur a entendu compenser la perte de recettes pérenne provoquée par la suppression de la retenue à la source sur les organismes de placement collectif en valeurs mobilières. Il a ainsi poursuivi un objectif de rendement. Un tel objectif ne constitue pas, en lui-même, une raison d'intérêt général de nature à justifier la différence de traitement instituée entre les sociétés mères qui redistribuent des dividendes provenant d'une filiale établie dans État membre de l'Union et celles qui redistribuent des dividendes provenant d'une filiale établie en France ou dans un État tiers à l'Union européenne. Il en résulte une méconnaissance des principes d'égalité devant la loi et devant les charges publiques.

9. Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2015, doit être déclaré contraire à la Constitution.

- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :

10. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration.

11. En l'espèce, aucun motif ne justifie de reporter les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la présente décision. Elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. - Le premier alinéa du paragraphe I de l'article 235 ter ZCA du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015, est contraire à la Constitution.

Article 2. - La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions fixées au paragraphe 11 de cette décision.

Article 3. - Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 5 octobre 2017, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, MM. Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN, Mmes Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI et M. Michel PINAULT.
Rendu public le 6 octobre 2017.