Entretien avec Robert Beugré MAMBE, Ministre auprès du Président de la République en charge des Jeux de la Francophonie Abidjan 2017

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press - 24/10/2017 00:00:00

Retour sur la 8ième édition qui s'est déroulée dans la capitale Ivoirienne du 20 au 31 juillet 2017 et qui a rassemblé 4000 sportifs et artistes de 54 pays. Avec l' « architecte des Jeux », l'entretien se concentre sur les aspects relatifs à l'organisation, un enjeu toujours crucial pour tous les évènements internationaux. Pour une grande partie des observateurs, l'impression qui domine est celle d'une édition réussie et qui dépasse nettement celle de Nice 2013. Les Jeux ont franchi une nouvelle étape.

L'échange avec le Ministre Robert Beugré MAMBE, qui est également à la tête du District - c'est-à-dire le grand Abidjan - évoque les enjeux, les risques, les succès et les perspectives pour l'avenir.

Si nous évoquons l'aspect organisationnel des Jeux quel est le sens du rattachement de la structure et de a chaine de responsabilité à la présidence de la République ivoirienne ?

Initialement, les Jeux devaient être organisés par trois différentes structures étatiques, tant étaient nombreuses les problématiques : les équipements à construire ou à rénover, les compétitions ; la culture, l'accueil-hôtellerie tourisme, la sécurité les transports....

Ainsi avions nous un Comité de pilotage avec à sa tête le premier ministre et qui incluait plusieurs ministères. Le Comité était épaulé par la Commission technique composée de fonctionnaires ministériels et qui était chargée des problèmes organisationnels. Enfin, il était prévu une dernière commission, la commission technique en charge de la préparation quotidienne du festival.

Mais la multiplicité de ces structures ralentissait l'organisation. Très vite des doublons sont apparus, les emplois du temps et les attributions sont apparus compliqués, la chronologie était fragilisée. Donc, le président Ouattara a finalement décidé de confier toute l'organisation à un ministre dédié à la Francophonie, moi-même. Sur le plan pratique, l'organisation des évènements sur le seul territoire du District renforçait cette logique de concentration mais qui accélérait le flux des décisions et leur mise en place, clarifiait les rôles. En ce qui me concerne, J'étais en charge de rendre des comptes au Président et au Premier ministre. J'ai travaillé avec tous les autres ministres, et la collaboration fut excellente.

Je dois vous avouer que cette responsabilité a été exaltante et que J'ai été passionné par ce projet que l'on m'a confié, aussi bien au niveau de l'aspect du génie civil que dans les domaines de l'organisation pratique. L'organisation elle-même a permis de faire intervenir à la fois des acteurs ivoiriens, mais aussi des acteurs de la Francophonie, et le travail fourni a été remarquable. Les Jeux sont ainsi l'exemple d'un travail en commun, de combinaisons entre entreprises de plusieurs pays, d'associations, d'échanges d'expériences.

Quelles étaient les principales difficultés que vous appréhendiez au moment de votre nomination ?

La première difficulté, c'était la construction, la rénovation ou la remise à niveaux des infrastructures à temps et selon les dispositions des cahiers des charges établis par l'Organisation Internationale de la Francophonie.

Ensuite, s'est présenté le problème du logement des athlètes car il avait été initialement prévu de les loger sur le campus universitaire, mais cette possibilité a été abandonnée. Une solution alternative a été trouvée grâce à l'Institut National de la Jeunesse et des Sports qui disposait de suffisamment d'espace en son sein pour accueillir de nouveaux bâtiments. Par ailleurs, il y avait une cohérence avec la finalité des Jeux car l'institut disposait aussi d'équipements utiles pour les athlètes Nous pouvions concentrer dans un même lieu l'accueil mais aussi l'accréditation, l'enregistrement, les unités médicales pour nos hôtes. Nous avions aussi prévu une zone de loisirs avec une discothèque, des présentations de nos productions artisanales, (ainsi que celles d'autres pays naturellement). N'oublions pas le grand restaurant collectif. Bref tout ce qui fait un village où les jeunes participants des Jeux peuvent échanger leur vécu leurs expériences, tout ce qui fait la diversité et lui donne une réalité concrète.

Enfin, il est vrai que les détails de l'organisation pratique ont pu soulever quelques craintes, car le Diable se cache dans les détails. Il y a toujours des surprises, des problématiques nouvelles, des changements de cap, des solutions impératives à trouver. J'évoquais le changement de site pour le village des Jeux. Il y alors tout une machinerie à mettre en place. Il faut alors redoubler de vigilance, et accélérer le tempo. J'ai travaillé avec mes collaborateurs en flux tendu pour ne négliger strictement aucun aspect dans l'organisation. Maintenant on peut prendre un peu de recul.

Quels sont les obstacles que vous avez réussi à surmonter ?

Tout d'abord sur le plan financier, il a fallu que l'État mette en place un budget dédié à la prise en charge de la construction des sites d'hébergement des athlètes. L'ensemble des postes budgétaires devaient être identifiés clairement avec une programmation maîtrisée

Il a fallu aussi mobiliser la population ivoirienne pour qu'elle comprenne l'utilité de l'organisation des Jeux de la Francophonie, l'importance de l'accueil de nos hôtes dans tout Abidjan, dans les hôtels, dans les magasins, dans les taxis. Les opérateurs économiques, les fédérations professionnelles ont joué pleinement le jeu,

Il a également fallu résoudre les problèmes relatifs à la circulation urbaine des athlètes. La circulation, une préoccupation qui nous est très vite apparue primordiale car nous avons de nombreux enjeux de ce point de vue à Abidjan. Mais nous avons organisé un service de priorité pour les bus, minibus et voitures.

Pour chacune des difficultés, des stratégies ont été mises en place, qui se sont la plupart révélées efficaces. Cependant nous avons identifié des axes d'amélioration qui seront grâce à l'expérience acquise, très utiles pour notre grand rendez de la Coupe d'Afrique des nations que la Côte d'Ivoire accueille en 2021.

Sur quels points avez-vous été amené à trancher ?

Le schéma de travail que j'avais mis en oeuvre avec mon équipe m'avait permis de m'assurer à chaque étape du bon déroulement des projets, et j'ai pu trancher pour tous les problèmes organisationnels qui m'étaient présentés. En revanche, certaines décisions ne relevaient pas de mon ministère. Par exemple pour le financement, la décision appartenait au ministre des Finances, au ministre du Budget, au Premier Ministre et ainsi de suite. Mais la grande mobilisation du gouvernement autour de ces Jeux a permis de contourner toutes les difficultés, quelles qu'elles aient été. Le rôle pilote imparti à mes équipes a joué pleinement son rôle. Cela sera utile pour l'avenir. Il est important d'en faire le bilan car le pays est de plus en plus être confronté, et va l'être encore davantage, à l'administration, la gestion de grands événements qui de plus en plus nombreux sont à l'agenda de la capitale. Abidjan a vocation - ce qu'elle est déjà d'ailleurs - à être un des grands sites d'accueil de manifestations et congrès internationaux.

Quel impact économique les Jeux de la Francophonie ont ils eu sur la Côte d'Ivoire ? Comment allez-vous faire en sorte de « transformer l'essai » ?

Tout d'abord, l'impact économique a été mesuré au niveau du tourisme. Les hôteliers, m'a-t-on dit, sont satisfaits, car le taux d'occupation des hôtels étaient très élevés. Les restaurants ont été complets en permanence pendant toute la durée des Jeux. Ils ont été fréquentés par les nombreuses délégations de tous les pays. C'était aussi l'occasion pour tout un chacun de découvrir les richesses de la cuisine ivoirienne. A cet égard au sein du village, les athlètes qui disposait de leur centre de restauration ont pu aussi découvrir notre alimentation locale fournie par des circuits cours. Les commerces ont bénéficié un regain d'activité qu'il est encore trop tôt de mesurer exactement.

La sécurité a été au rendez-vous ; C'est un point important car nous souhaitions que nos invités se sentent en toute sérénité. C'est toujours un aspect important en termes d'image, qui peut parfois être déformé. Je considère que la critique est aisée dans ce domaine. On nous reprochera ce qui ailleurs passe pour chose habituelle. La mobilisation des fonctionnaires de police et de sureté a été payante. Une réelle sécurité a été offerte par le pays lors du transport des athlètes, et ce malgré les embouteillages à Abidjan. De même dans les espaces publics et sur les sites des compétitions. Je reconnais que nous étions si je puis dire attendu au tournant, car notre histoire récente a été mouvementée comme vous le savez et le contrat est rempli. N'en déplaise aux contempteurs, l'objectif a été atteint.

En termes d'équipements publics les Jeux nous ont permis de relancer l'entretien de certains sites sportifs et culturels qui restent pour la population de la capitale et élargit notre offre culturelle et sportive. il y a eu une véritable occasion de se mobiliser. Tout ce qui a été conçu et construit va être réutilisé pour le quotidien des habitants d'Abidjan. Nous avons aussi « retrouvé » notre lagune avec la coopération d'entreprises du Maroc, qui ont oeuvré pour sa revalorisation et de la sorte, nous avons à cette grande occasion remis en route les navettes maritimes sur la lagune, ce qui a été très apprécié et pour nous une véritable satisfaction.

Et concernant un facteur toujours important, l'emploi ?

Plus de 5000 emplois ont été créé à l'occasion des Jeux d'Abidjan. Beaucoup de jeunes ivoiriens ont été heureux et fiers d'avoir contribué à la construction du village des Jeux Akwaba et sur les autres chantiers avec un programme de rénovation sans précédent : une dizaine de sites dont nos stades Robert Champroux et Houphouët Boigny. Nous avons inauguré le Musée National des Civilisations de la Côte d'Ivoire à la suite de près de 2 ans de travaux et de mise aux normes internationales pour en faire un des grands musées du continent. A cela s'ajoutent tous les emplois indirects dans le secteur des services notamment. Cela a permis à nos travailleurs de gagner en expérience et de renforcer leur envie de participer au développement de leur pays.

Quel est l'impact des Jeux d'Abidjan en direction des Investisseurs et de la Communauté internationale ?

Le fait d'avoir organisé ces Jeux a donné un signal fort à la communauté internationale. La Côte d'Ivoire a été mise en avant et a prouvé au monde entier que ce pays francophone est capable de prendre en main l'organisation d'un tel évènement.

La Côte d'Ivoire acquiert un statut de grande place internationale. Dans la suite de l'attribution des Jeux à la Côte d'Ivoire, de grandes rencontres ont été annoncées ou confirmées : le grand sommet Union Africaine Union Européenne qui réunira 89 chefs d'État et plus de 5000 délégués, la grande conférence sur le SIDA avec 10 000 délégués. Nous accueillons également au mois de décembre le championnat du monde de Taekwondo. En effet, beaucoup d'organisateurs de conférence souhaitent réutiliser nos infrastructures construites pendant ces Jeux. Et la Coupe d'Afrique des Nations que nous avions accueillie en 1984 et qui revient dans notre pays en 2021.

Nous témoignons aussi de notre volontarisme de développement économique. Ces Jeux ont été un réel instrument pour arriver à l'émergence en 2020. Ils donnent aux investisseurs une assurance et leur a prouvé que notre pays est un pays paisible, accueillant, un pays qui veut s'inscrire dans une géographie mondiale.

Vous projetez donc la Cote d'Ivoire vers l'avenir ?

Nous avons confiance dans notre avenir et nous donnons confiance en l'avenir de la Côte d'Ivoire

Entretien avec Jean François Puech directeur de la rédaction de NEWS Press