Vers une stratégie de dépistage optimisée du VIH en Afrique de l'Ouest

IRD Institut de Recherche pour le Développement - 08/12/2017 14:25:00

Les stratégies de dépistage de l'infection par le VIH sont-elles optimales en Côte d'Ivoire pour enrayer l'épidémie de Sida ? C'est dans le cadre de cette interrogation que l'étude ANRS DOD-CI a exploré les stratégies de dépistage du VIH en Côte d'Ivoire, via une large enquête nationale auprès de 4 000 personnes en population générale et des observations de consultations médicales.

Les premiers résultats de cette étude montrent des réticences et des difficultés de la part des soignants à proposer un test en consultation médicale, dans ce pays où une personne sur deux n'a jamais fait de test de dépistage au cours de sa vie. Ils mettent également en évidence que plus d'un tiers de ces personnes auraient pu être dépistées lors d'une consultation qui s'y prêtait ou en allant au bout d'une démarche personnelle.

Le dépistage est le premier maillon de l'objectif 90-90-901 fixé par l'OMS pour aider à mettre fin à l'épidémie de Sida. Pour améliorer son accès, la Côte d'Ivoire a décidé en 2009, en suivant les recommandations de l'OMS, de proposer un test de dépistage de l'infection par le VIH à tous les patients se présentant en consultation médicale et ce, quel que soit le motif de cette consultation. Depuis 2013, des stratégies de dépistage plus ciblées tendent à se mettre en place. C'est dans ce contexte qu'a été menée en Côte d'Ivoire l'étude ANRS DOD-CI, coordonnée par Mariatou Koné (Institut d'Ethnosociologie de l'Université Félix Houphouët Boigny d'Abidjan) et Joseph Larmarange (IRD) en partenariat avec le site ANRS Côte d'Ivoire (programme PACCI) et l'École Nationale Supérieure de Statistique et d'Économie Appliquée d'Abidjan.

Cette étude a réuni une équipe de recherche pluridisciplinaire pour réaliser six enquêtes complémentaires visant à explorer les différentes stratégies de dépistage en place dans le pays . Les premiers résultats de ces travaux sont présentés à la 19e édition de la conférence de l'ICASA qui se tient du 4 au 9 décembre 2017 à Abidjan en Côte d'Ivoire.

Les difficultés des soignants à proposer un test de dépistage à tous les patients

Une étude qualitative a été réalisée entre juin 2015 et avril 2016 dans trois services de médecine générale de Côte d'Ivoire. Plus de 200 consultations ont été observées. Des entretiens sur l'expérience du dépistage ont été réalisés auprès de 37 professionnels de santé. Seul un patient sur cinq s'est vu proposer un test de dépistage lors de sa consultation.

Ce peu de proposition s'explique par la crainte des soignants de voir les patients refuser le test, se méfier de leur médecin ou fuir la consultation. Le dépistage du VIH fait l'objet de procédures très spécifiques (registres dédiés, ordonnances séparées, conseil pré- et post-test, recueil du consentement, ...). C'est pourquoi il est vécu comme une surcharge de travail. Cette surcharge est perçue comme n'étant ni reconnue ni valorisée.

Enfin, le test VIH est perçu par les soignants comme non prioritaire et ne se justifiant pas en consultation de médecine générale hormis en cas de suspicion clinique. Au final, quand il est réalisé, le test est plus souvent prescrit sans information préalable que proposé explicitement aux patients.

Des opportunités manquées et des démarches inabouties

Le projet ANRS DOD-CI comprenait également une vaste étude quantitative présentée sous forme d'enquête téléphonique qui a été menée sur un échantillon représentatif de la population ivoirienne. 3 882 personnes ont été interrogées entre février et novembre 2017. La moitié d'entre elles avait réalisé de test de dépistage pour le VIH au cours des 5 dernières années. L'initiation du test par un professionnel de santé reste sous-optimale dans certaines situations qui devraient davantage inciter à proposer un dépistage.

Ainsi, seul un quart des hommes et des femmes ayant déclaré avoir consulté pour une infection sexuellement transmissible ont reçu une proposition de test VIH. Aussi, seules 74 % des femmes en consultation prénatale et 34 % des hommes les accompagnant se sont vu proposer un test. Cette étude a également montré que 15 % des personnes enquêtées avait déjà, au cours de leur vie, entamé une démarche volontaire de dépistage qui n'a pas abouti. Ces démarches non abouties étaient principalement liées à une peur du résultat mais également parfois à un manque de temps ou une file d'attente trop longue. Ainsi, plus d'un tiers des personnes de cette étude n'ayant jamais été dépistées auraient pu l'être lors d'une consultation qui s'y prêtait ou en allant au bout d'une démarche personnelle.

Les résultats de l'étude ANRS DOD-CI mettent en évidence que les obstacles au dépistage se situent à plusieurs niveaux, tant sociaux et politiques que structurels et organisationnels. Selon le Pr François Dabis, directeur de l'ANRS, "ces résultats montrent qu'en dépit d'un effort certain de mettre en place une stratégie de dépistage optimale pour mettre fin à l'épidémie de Sida, des obstacles subsistent dans de nombreux pays notamment en Afrique Sub-Saharienne. Ces données doivent inciter à poursuivre et intensifier des actions d'information et de sensibilisation à destination des professionnels de santé ainsi qu'à simplifier les conditions de réalisation du dépistage de l'infection par le VIH." Pour Joseph Larmarange, "il est également nécessaire de s'assurer du fait que lorsque des personnes entrent dans une démarche de test elles puissent aller jusqu'au bout, afin d'être prises en charge médicalement ou bénéficier de conseils sur la prévention."