Question prioritaire de constitutionnalité / Saisine du Conseil / Délit de consultation habituelle des sites internet terroristes

Conseil Constitutionnel - 29/12/2017 15:36:01


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 octobre 2017 par le Conseil d'État d'une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'article 421-2-5-2 du code pénal, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

Ces dispositions ont rétabli, sous une nouvelle rédaction, le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes dont le Conseil constitutionnel avait censuré une première rédaction par sa décision n° 2016-611 QPC du 10 février 2017. L'article 421-2-5-2 du code pénal, dans cette nouvelle rédaction, sanctionne d'une peine de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait de consulter de manière habituelle, sans motif légitime, un service de communication au public en ligne faisant l'apologie ou provoquant à la commission d'actes de terrorisme et comportant des images ou représentations d'atteintes volontaires à la vie. Ce délit a pour objet de prévenir l'endoctrinement d'individus susceptibles de commettre ensuite de tels actes.

Il était notamment soutenu que la liberté de communication était méconnue par ces dispositions dès lors que l'atteinte portée par la disposition contestée n'était ni nécessaire, compte tenu des dispositifs juridiques déjà en vigueur, ni adaptée et proportionnée.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel rappelle sa jurisprudence constante déduisant de l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services pour la participation à la vie démocratique et l'expression des idées et des opinions, la liberté de communication implique la liberté d'accéder à de tels services. Sur le fondement de l'article 34 de la Constitution, il est loisible au législateur d'édicter des règles de nature à concilier avec l'exercice du droit de libre communication et de la liberté de parler, écrire et imprimer la poursuite de l'objectif de lutte contre l'incitation et la provocation au terrorisme sur les services de communication au public en ligne, qui participe de l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de prévention des infractions. Toutefois, la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi.

S'agissant de la conformité des dispositions contestées au regard du principe de nécessité des peines, le Conseil constitutionnel relève, comme il l'avait fait par sa décision du 10 février 2017 précitée, que, d'une part, la législation comprend un ensemble d'infractions pénales autres que celle contestée et de dispositions de procédure pénale spécifiques ayant pour objet de prévenir la commission d'actes de terrorisme et que, d'autre part, le législateur a également conféré à l'autorité administrative de nombreux pouvoirs afin de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Au recensement des dispositions législatives en vigueur précédemment opéré dans sa décision de février et repris aux paragraphes 7 à 11 de la décision de ce jour, le Conseil constitutionnel ajoute que, depuis l'entrée en vigueur des dispositions contestées, le législateur a complété les pouvoirs de l'administration en adoptant, par la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, de nouvelles mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance aux fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme. Il en déduit qu'au regard de l'exigence de nécessité de l'atteinte portée à la liberté de communication, les autorités administrative et judiciaire disposent, indépendamment de l'article contesté, de nombreuses prérogatives, non seulement pour contrôler les services de communication au public en ligne provoquant au terrorisme ou en faisant l'apologie et pour réprimer leurs auteurs, mais aussi pour surveiller une personne consultant ces services et pour l'interpeller et la sanctionner lorsque cette consultation s'accompagne d'un comportement révélant une intention terroriste, avant même que ce projet soit entré dans sa phase d'exécution.

S'agissant des exigences d'adaptation et de proportionnalité requises en matière d'atteinte à la liberté de communication, le Conseil constitutionnel relève que, si les dispositions contestées prévoient que, pour tomber sous le coup du délit qu'elles instaurent, la consultation doit s'accompagner de la manifestation de l'adhésion à l'idéologie exprimée sur les sites consultés, cette consultation et cette manifestation ne sont pas susceptibles d'établir à elles seules l'existence d'une volonté de commettre des actes terroristes. Ces dispositions répriment donc d'une peine de deux ans d'emprisonnement le seul fait de consulter à plusieurs reprises un service de communication au public en ligne, sans que soit retenue comme élément constitutif de l'infraction l'intention terroriste de l'auteur de la consultation. En outre, si le législateur a exclu la pénalisation de la consultation lorsqu'elle répond à un « motif légitime », la portée de cette exemption ne peut être déterminée en l'espèce, faute notamment qu'une personne adhérant à l'idéologie véhiculée par ces sites paraisse susceptible de relever de l'un des exemples de motifs légitimes énoncés par le législateur. Il en résulte une incertitude sur la licéité de la consultation de certains services de communication au public en ligne et, en conséquence, de l'usage d'internet pour rechercher des informations.

Le Conseil constitutionnel déduit de tout ce qui précède que les dispositions contestées portent une atteinte à l'exercice de la liberté de communication qui n'est pas nécessaire, adaptée et proportionnée. Il les déclare dès lors inconstitutionnelles en donnant effet immédiat à cette déclaration.