Rivières intermittentes : leur rôle dans les émissions globales de CO2 démontré

IRSTEA - 28/05/2018 14:50:00

Les cours d'eau intermittents se révèlent peu à peu occuper une place à part entière, tant dans le fonctionnement des réseaux hydrologiques, qu'en termes de biodiversité et de services écosystémiques qu'ils représentent. Initié à Irstea, le projet de recherche participative « 1000 rivières intermittentes » en fournit une nouvelle preuve en montrant le rôle substantiel de ces rivières dans les émissions globales de dioxyde de carbone (CO2). De quoi alimenter les études sur le changement climatique largement favorisé par les émissions de CO2. Ces résultats sont publiés dans la revue Nature Geoscience.

Selon les estimations actuelles, les rivières intermittentes, c'est-à-dire qui cessent de s'écouler ou s'assèchent une partie de l'année, représentent la moitié des cours d'eau de la planète. Même certains des plus grands fleuves comme le Nil, le Rio Grande ou le fleuve Jaune en font partie. En dépit de leur proportion dans le réseau hydrographique mondial, le fonctionnement hydrologique, biogéochimique et écologique de ces cours d'eau, longtemps considérés comme anecdotiques, est mal connu.

C'est pour pallier ce manque de données que Thibault Datry, chercheur au centre Irstea de Lyon (unité RIVERLY), et quatre collaborateurs ont lancé en 2014 le programme 1000 rivières intermittentes : un projet inédit de recherche participative visant à créer un réseau international de chercheurs volontaires pour qu'ils contribuent à collecter des données et notamment des échantillons de litières de rivières asséchées, partout dans le monde. Deux ans plus tard, grâce à un protocole simple et standardisé, ce sont des échantillons de 212 rivières intermittentes prélevés par une centaine de chercheurs et provenant de 22 pays qui sont parvenus au laboratoire Irstea de Lyon...

La litière accumulée en période d'assec dans les rivières intermittentes pour la première fois quantifiée et analysée
Dotés de cet énorme échantillonnage jamais réalisé, les chercheurs ont pu s'attaquer aux nombreuses questions que posent les rivières intermittentes. À commencer par élucider leur fonctionnement écologique et biogéochimique, et définir en quoi il diffère des rivières permanentes. « Lorsqu'elle tombe dans les cours d'eau, la végétation du pourtour des rivières (feuilles, bois) fournit une matière organique qui est utilisée par les microorganismes aquatiques comme source d'énergie, et qui contribue ainsi à l'écosystème des rivières pérennes. Nous avons voulu savoir ce qu'il advient de cette matière organique lors des périodes d'assec et de remise en eau, qui caractérisent les rivières intermittentes », explique Thibault Datry.

À partir des données issues des quelques 200 rivières sondées à travers le monde, les chercheurs ont mesuré la quantité de matière organique accumulée lors des phases asséchées et défini les facteurs qui influencent sa composition et sa quantité (climat, végétation rivulaire, largeur du cours d'eau, durée de la phase sèche, régime d'écoulement...). Puis ils ont analysé la qualité de cette matière organique en mesurant son taux de carbone et d'azote, et sa réactivité biologique. « Nous avons réalisé au laboratoire des tests standardisés de remise en eau des échantillons de litières récoltés, pour simuler la remise en eau d'une rivière. En réactivant ainsi les communautés bactériennes et les champignons contenus dans les litières, nous avons pu évaluer leur capacité de respiration et ainsi déduire le potentiel de dégagement de dioxyde de carbone (CO2) au moment de cette remise en eau », explique le chercheur.

Un rôle notable des rivières intermittentes dans les émissions de CO2
Par extrapolation de cette évaluation expérimentale du dégazage de CO2 lors de la remise en eau des litières, les chercheurs sont parvenus à un résultat pour le moins remarquable : les émissions quotidiennes mondiales de CO2 provenant des cours d'eau seraient augmentées de 7 à 152 % si les rivières intermittentes étaient inclues dans le calcul du CO2 émis par les cours d'eau. Ainsi, une seule remise en eau annuelle de l'ensemble des rivières intermittentes (certaines se remettent en eau plusieurs fois par an) pourrait augmenter de 10 % les émissions de CO2 attribuées aux cours d'eau...

« S'ils doivent être affinés, notamment par l'étude des autres phases de fonctionnement des rivières intermittentes (à sec et en eau) et par l'élargissement de la couverture géographique de nos échantillons, nos résultats mettent en évidence un rôle potentiellement substantiel des rivières intermittentes dans la contribution des cours d'eau aux émissions globales de CO2. Ils prouvent qu'il n'est plus possible, comme c'est le cas jusqu'à présent, d'ignorer ces rivières dans les études des émissions de CO2 et du cycle du carbone, à l'échelle globale », précise Thibault Datry. Publiés dans la revue Nature Geoscience1, ces résultats semblent d'autant plus importants que le phénomène démontré pourrait prendre davantage d'ampleur dans le contexte du changement climatique : un climat plus sec et des demandes en eau plus élevées risquent en effet d'augmenter l'assèchement des rivières et la proportion de rivières intermittentes...

Des rivières asséchées mais bien vivantes
Les recherches menées sur les rivières intermittentes visent aussi à mieux connaître la biodiversité spécifique de ces milieux inconstants. Elles prennent notamment appui sur un outil unique en son genre au niveau mondial : une base de données en libre accès dédiée à la biodiversité des rivières intermittentes1. Un outil constamment enrichi au travers des projets tels que le projet 1000 rivières intermittentes ou le projet européen SMIRES2 dont le but est de mieux comprendre la biodiversité et le fonctionnement des rivières intermittentes pour permettre leur prise en compte dans la législation européenne relative à la gestion des cours d'eau.

1 - A global analysis of terrestrial plant litter dynamics in non-perennial waterways. Nature Geoscience. 21 mai 2018.