Tunisie: Harcèlement judiciaire continu et actes d'intimidation à l'encontre de Me Najet Laabidi

OMCT - Organisation Mondiale Contre la Torture - 11/06/2018 12:30:00


L'Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et de la FIDH, a reçu de nouvelles informations et vous prie d'intervenir de toute urgence sur la situation suivante en Tunisie.


Description de la situation :

L'Observatoire a été informé par des sources fiables du harcèlement judiciaire continu et des actes d'intimidation à l'encontre de Me Najet Laabidi, avocate spécialisée dans la défense des droits humains et qui a notamment représenté plusieurs victimes de torture devant le Tribunal militaire de Tunis dans le cadre de l'affaire dite de Barraket Essahel[1].

Selon les informations reçues, le 7 mars 2018, Me Najet Laabidi a été victime d'actes d'intimidation et d'agressions verbales de la part des agents de la garde nationale au poste de police de Ben Arous. Elle s'était rendue à Ben Arous pour assister un témoin dans le cadre d'un dossier relatif à un cas de violence contre des enfants autistes dans un centre privé de prise en charge et d'éducation spécialisée à Tunis, dans lequel une des inculpés est une femme connue pour être proche du pouvoir politique tunisien. Les agents de la garde nationale ont alors encerclé Me Najet Laabidi et le témoin, ont fermé la porte du poste de police et les ont menacés verbalement alors qu'ils tenaient une arme à feu à la main.

À la suite de ces événements, Me Najet Laabidi a déposé plainte contre les agents de la garde nationale de Ben Arous, mais aucune action n'a été entreprise par les autorités à cet égard. Cependant, le 8 mars 2018, une plainte pour diffamation a été déposée à l'encontre de Me Najet Laabidi par les agents de la garde nationale de Ben Arous, à la suite de laquelle Me Najet Laabidi a été immédiatement convoquée par le procureur de la Cour d'appel de Tunis.

De plus, le 9 mars 2018 Me Najet Laabidi a été convoquée par le juge d'instruction du Tribunal militaire permanent de première instance de Tunis concernant une plainte pour « outrage à un fonctionnaire de l'ordre judiciaire », déposée à son encontre par la présidente du Tribunal militaire, Mme Leila Hammami le 26 novembre 2015, à la suite de la plaidoirie de Me Najet Laabidi dans l'affaire de Barraket Essahel (voir rappel des faits ci-dessous). Il convient par ailleurs de souligner que du 17 décembre 2015 au 9 mars 2018 ni Me Najet Laabidi ni ses avocats n'avaient eu de nouvelles concernant l'avancée de cette plainte.

L'Observatoire rappelle que Me Najet Laabidi a déjà été condamnée à six mois de prison avec sursis pour « outrage à un fonctionnaire de l'ordre judiciaire » le 11 mai 2017, en relation avec un vidéo partagé sur les réseaux sociaux où elle accusait le Tribunal militaire de partialité dans l'affaire de Barraket Essahel (voir rappel des faits ci-dessous).

L'Observatoire condamne fermement ces actes d'intimidation et le harcèlement judiciaire à l'encontre de Me Najet Laabidi, en ce qu'ils ne visent qu'à sanctionner ses activités légitimes et pacifiques de défense des droits humains. En conséquence, l'Observatoire demande aux autorités tunisiennes de mettre un terme à toute forme de harcèlement à son encontre.


Rappel des faits :

Une plainte a été déposée à l'encontre de Me Najet Laabidi à la suite de sa plaidoirie et celle d'autres avocats des victimes lors d'une audience, le 26 novembre 2015 dans l'affaire Barraket Essahel. La présidente du Tribunal militaire permanent de première instance de Tunis, Mme Leila Hammami, avait alors refusé les constitutions de partie civile et le droit aux avocats de représenter les victimes[2]. À la suite de cette audience, Mme Leila Hammami a porté plainte auprès du Tribunal militaire contre Me Najet Laabidi et Me Raouf Ayadi pour « outrage à un fonctionnaire de l'ordre judiciaire », conformément aux articles 125 et 126 du Code pénal, après que les deux avocats aient dénoncé des vices de procédures dans le procès.

Le 17 décembre 2015, Me Najet Laabidi et Me Raouf Ayadi ont été convoqués à une audition devant le juge d'instruction du Tribunal militaire permanent de première instance de Tunis. Ils sont cependant restés à l'extérieur du Tribunal militaire avec d'autres avocats et sympathisants, et seul le président de section des avocats de Tunis et une délégation d'avocats ont rencontré le juge d'instruction. Alors qu'ils se trouvaient devant le Tribunal militaire, Me Raouf Ayadi et Me Najet Laabidi ont entre autres accusé le Tribunal militaire de partialité dans l'affaire de Barraket Essahel.

Suite à ces déclarations, la présidente du Tribunal militaire a de nouveau porté plainte, le 21 décembre 2015, contre Me Najet Laabidi auprès du procureur général de la Cour d'appel de Tunis, joignant dans sa plainte un rapport et un CD sur lequel les propos de Me Najet Laabidi avaient été enregistrés par le public présent devant le tribunal le 17 décembre puis partagés sur les réseaux sociaux[3].

Le procureur général de la Cour d'appel de Tunis a alors lancé des poursuites à l'encontre de Me Najet Laabidi sous le visa de l'article 128 du Code pénal, et le juge d'instruction du Tribunal de première instance de Tunis a été désigné pour instruire l'affaire.

Le 1er février 2016, Me Najet Laabidi a été convoquée par le juge d'instruction afin d'être auditionnée en lien avec cette seconde plainte, mais celle-ci a refusé de comparaître. Depuis lors, ni Me Najet Laabidi ni ses avocats n'avaient reçu de nouvelles concernant cette affaire, jusqu'à ce que Me Laabidi reçoive un appel le 24 avril 2017 du poste de police de Bab Souika qui l'a informée qu'elle avait été condamnée le 12 octobre 2016 par la 8ème chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Tunis à un an d'emprisonnement.

Ainsi, la défense n'a été informée ni de la clôture de l'instruction (en date du 27 avril 2016), ni du renvoi de l'affaire devant la 8ème chambre correctionnelle du Tribunal de première instance, ni du déroulement de l'audience de cette chambre, ni de la décision du tribunal avant cet appel du poste de police de Bab Souika. Plusieurs autres irrégularités ont par ailleurs pu être observées dans le cadre de cette procédure[4].

Informée de ce jugement le 24 avril 2017, Me Laabidi a alors fait appel de ce verdict et l'audience d'appel a été fixée au 10 mai 2017 au cours de laquelle plus d'une centaine d'avocats ont représenté Me Laabidi.

Le 11 mai 2017, la 8ème chambre correctionnelle du Tribunal de première instance de Tunis a condamné Me Najet Laabidi par contumace à six mois de prison avec sursis pour violation de l'article 128 du Code pénal[5].


Actions requises :

L'Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités tunisiennes en leur demandant de :

i. Mettre un terme à toute forme de harcèlement, y compris judiciaire, à l'encontre de Me Najet Laabidi ainsi que de l'ensemble des défenseurs des droits humains en Tunisie afin qu'ils puissent mener leurs activités de défense des droits humains librement et sans entrave ;

ii. Garantir en toutes circonstances l'intégrité physique et psychologique de l'ensemble des défenseurs des droits humains en Tunisie ;

iii. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l'Homme, adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement ses articles 1 et 12.2;

iv. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits humains ratifiés par la Tunisie.

***

Genève - Paris, le 8 juin 2018

Merci de bien vouloir informer l'Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L'Observatoire, partenariat de l'OMCT et de la FIDH, a vocation à protéger les défenseurs des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. L'OMCT et la FIDH sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l'Union européenne pour les défenseurs des droits humains mis en oeuvre par la société civile internationale.

Pour contacter l'Observatoire, appeler La Ligne d'Urgence :

· E-mail : Appeals@fidh-omct.org

· Tel et fax OMCT