Les enjeux de la loi contre la manipulation de l'information

Françoise NYSSEN - Ministère de la Culture - 05/07/2018 15:05:00


Les deux propositions de loi contre la manipulation de l'information ont été adoptées dans la nuit du 3 juillet au 4 juillet à l'Assemblée nationale. "Je me réjouis de l'adoption d'un texte équilibré, efficace et à la hauteur de l'enjeu, un texte qui sera un outil précieux pour mieux protéger notre démocratie", s'est félicité la ministre de la Culture.

"Une menace qui a su faire sa place dans nos vies quotidiennes, qui s'est presque banalisée, et qu'il faut d'urgence affronter, avant que notre vigilance ne retombe : cette menace [contre la démocratie], c'est la montée en puissance des fausses informations". En s'exprimant ainsi le 22 mai devant les commissions des affaires culturelles et des lois de l'Assemblée nationale, la ministre de la Culture est revenue sur la profonde nécessité des deux propositions de loi sur la lutte contre la manipulation de l'information.

Alors que les fake news ont récemment pollué plusieurs scrutins électoraux, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Catalogne, cette nécessité s'impose aujourd'hui à toutes les grandes démocraties. C'est pourquoi plusieurs d'entre elles ont décidé d'agir : le Parlement britannique a mis en place une commission d'enquête ; le parlement allemand a légiféré ; les autorités italiennes ont mis en place une plateforme de signalement des fausses nouvelles.

Alors que les fake news ont sévi récemment aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Catalogne, la nécessité de lutter contre la désinformation s'impose à toutes les grandes démocraties

Pourquoi une loi sur les fake news ?

En France, il existe déjà un important arsenal juridique destiné à combattre la propagation des fausses nouvelles, qui sont reconnues comme telles dans le droit national. Plusieurs infractions pénales ont été créées pour lutter contre les fausses informations qui créent un préjudice : l'article 37 de la loi de 1881 vise celles qui troublent la paix publique ; l'article L 97 du code électoral réprime celles qui altèrent la sincérité du scrutin (amende de 45 000 euros).

Alors, pourquoi une loi sur les fake news est-elle aujourd'hui nécessaire ? Si les fausses nouvelles ont toujours existé, c'est le changement d'échelle de leur diffusion, permis par les outils numériques, qui en fait une menace pour nos démocraties. "Les fausses informations ne sont pas nécessairement plus nombreuses qu'avant, mais elles sont relayées plus rapidement et plus massivement. Elles se propagent jusqu'à six fois plus vite que les informations vérifiées. Elles font donc plus de dégâts qu'avant", a précisé Françoise Nyssen.

Un changement d'échelle dans la diffusion des fausses nouvelles

L'enjeu est donc d'adapter nos outils juridiques à ces nouveaux modes de diffusion. Parmi ces vecteurs de fausses nouvelles, on relève plusieurs catégories : les médias contrôlés par des Etats étrangers ; les plateformes numériques, qui se retranchent derrière leur statut de simples "hébergeurs de contenus" pour ne prendre aucune responsabilité sur les contenus qu'elles diffusent, alors qu'elles sont l'outil de viralité des fausses nouvelles.

La responsabilisation des plateformes dans la lutte contre les fausses informations s'inscrit dans ce mouvement. Les propositions de loi visent à compléter notre arsenal juridique dans trois directions : créer un devoir de coopération pour les plateformes vis-à-vis de tous ceux qui s'engagent en France contre les fausses informations à savoir les pouvoirs publics, la presse et la société civile (les parlementaires ont proposé que le contrôle de ce devoir de coopération soit confié au CSA) ; renforcer les obligations de transparence des plateformes vis-à-vis de leurs utilisateurs ; donner aux autorités compétentes des moyens d'action adaptés à la rapidité de propagation des fausses informations.

Le cas des campagnes électorales

Dans une démocratie, les campagnes électorales sont des périodes privilégiées pour la propagation des fausses nouvelles. A cette fin, il faut concentrer rapidement les outils juridiques sur le vrai danger, c'est-à-dire les tentatives d'influencer les résultats des élections.

Pour cela, il faut se doter d'outils juridiques de réaction rapide adaptés aux vecteurs de diffusion. Pour la TV, il faut permettre au CSA de suspendre les télévisions contrôlées par des États étrangers. Pour les plateformes, l'enjeu est double. Ce qui définit ces moyens de diffusion, c'est la rapidité. Le recours au juge des référés permet de répondre à cette rapidité. De plus, ce qui définit également ces moyens de diffusion, c'est leur opacité. La création d'une obligation de transparence pour les contenus sponsorisés des plateformes permettra d'apporter une réponse à ces campagnes de désinformation.

Quatre gardes-fous de la loi contre la manipulation de l'information

> La loi ne touche pas à la loi de 1881 ni à ses principes ;

> Elle n'enfreint aucune garantie des libertés fondamentales : liberté d'expression, protection des sources des journalistes ;

> Elle est plus protectrice qu'une situation non encadrée par la loi, où les plateformes censurent d'elles-mêmes les contenus (cf. le modèle allemand), sans être tenues d'expliquer les critères de cette censure ;

> Les actions rapides ne sont permises qu'en période électorale et de manière très encadrée (la fausse nouvelle doit être manifeste, être diffusée massivement et de manière artificielle, et doit conduire à troubler paix publique ou sincérité du scrutin). La loi ne vise donc que les tentatives volontaires de manipulation, et n'aura aucun impact sur le travail journalistique qui peut consister à révéler, à tout moment, des informations sur des questions d'intérêt public.