Entretien avec Frédérique Martz cofondatrice de WOMEN SAFE

Women Safe - 17/10/2018 01:05:00


Frédérique Martz répond aux questions de Jean-François Puech au Press Club de France

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Les chiffres en matière de violence ne se basent que sur les déclaratifs de la police donc la vision est parcellaire. Il y a plus souvent des dépôts de plainte pour violences conjugales que pour inceste ou viol. Mais la parole se libère, il y a eu les hashtags, etc. et, même si on a un peu plus la perception de l'ampleur du problème, ce n'est pas pour autant qu'on est dans la réparation. Quant à l'inceste, c'est une véritable atteinte à l'intégrité des enfants mais il est difficile de mobiliser autour de cette souffrance.
Les auteurs ont la plupart du temps été victimes, et c'est en les remettant dans ce statut qu'on peut les soigner. Mais comment pouvez-vous reconstruire quand ni la justice ni la protection de l'enfance n'a pu protéger la victime/auteur ? C'est ça notre combat, pouvoir dire : les moyens n'existent plus autour de nous car les dispositifs sont saturés, mais on traite, et ce n'est pas l'absence d'argent qui va nous arrêter. C'est inenvisageable. Certains ont des parcours de vie catastrophiques et il ne faut pas écarter les opportunités que l'on peut avoir de tendre la main.
Ici, nous sommes autonomes de tout système institutionnel et les femmes ne paient rien ! Nous voulons garder nos soins pérennes, il faut dire que les hôpitaux sont en déshérence, alors le rapport avec les universités est très important. Notre rôle est de mobiliser et sensibiliser l'ensemble de ses acteurs à ce sujet des violences sexuelles qui reste tabou. Alors nous poussons les portes des universités et des écoles pour installer ce sujet comme un vrai problème de santé publique et faire évoluer la recherche. Plusieurs nous ont sollicités pour faire une conférence sur la violence où nous sommes dans l'écoute avec bienveillance et ne nous positionnons pas comme sachants. On est au début d'une aventure. La connaissance et la recherche. L'idée est que, quand on dit à une salle entière qu'une femme sur 4 est victime de violence, vous en ayez au moins 10 qui viennent nous voir à la fin de la séance, soit parce qu'elles sont ou ont été témoins, soit parce qu'elles sont ou ont été victimes. C'est important car l'université est la dernière marche de prise en charge avant l'entreprise.
Face à des publics divers, nous démontrons que la violence est un problème de société qui doit être abordé dans un contexte global et non via le prisme de son activité professionnelle (avocat ou sociologue ou soignant, etc.).

Aujourd'hui, nous sommes dans une étape de formation. Au-delà de l'Université de la Sorbonne, nous donnerons une formation à la Haute Ecole de Santé de Rennes puis dans différentes écoles supérieures à Paris, les Mines, les Beaux-Arts, etc.
Un axe important de nos recherches est basé sur la récolte de nos données à partir d'un outil que nous avons élaboré. L'exploitation de ces datas composées de nos propres éléments d'analyse permet de remettre à plat la connaissance sur les violences et d'étudier le cerveau et son mode de réparation. Nous conduisons ces recherches par voie toujours pluridisciplinaire, avec un Procureur, Luc Frémiot, des neurologues, etc.

Recevez-vous beaucoup de femmes d'origine étrangère ?

Les femmes que nous recevons sont pour beaucoup, soit d'origine étrangère installées en France, soit dans un parcours de migration parce qu'elles fuient les violences rituelles ou pour d'autres types de violences. Elles viennent chez nous car elles ont entendu que nous pratiquons la chirurgie pré et post opératoire et traitons des violences conjugales depuis 2015. Ayant la connaissance des pratiques rituelles, en les faisant parler, étant à leur écoute, nous identifions l'ethnie à laquelle elles appartiennent et leur pays d'origine. Nous les amenons à prendre conscience qu'elles sont mutilées et à comprendre les motifs des violences conjugales et de leurs douleurs physiques. C'est un tout.
Nous recueillons des jeunes filles étrangères, la plupart originaires d'Afrique, venant de l'ASE (Aide Sociale à l'Enfance) en tant que mineures isolées. Nous les prenons en charge et découvrons leurs mutilations sexuelles et d'autres pathologies (Sida, infections, etc.).
Toutes ces femmes sont en demande de discussions et veulent une protection totale. Nous avons créé des groupes de femmes étrangères pour qu'elles puissent échanger sur les pratiques des différentes communautés et pérenniser la parole autour de tout type de violences sexuelles, dont l'excision pour lequel elles disent : « je ne suis pas entière ». Si elles ne parlent pas le français, elles sont accompagnées de traductrices de la langue de leur ethnie.


Les femmes qui sont dans un parcours migratoire peuvent se trouver, soit dans des camps de migrants, soit sur le sol français ayant échappées à tout contrôle. Dans les camps de réfugiés, il y a une majorité d'hommes mais, et on n'en parle pas, les femmes qui s'y trouvent et qui sont venues avec leurs enfants, sont en situation de grande souffrance car victimes de violences sexuelles au sein du camp. Elles peuvent aussi être enceintes, pas toujours de leur conjoint mais d'un homme du camp. En effet, le fait d'être enceinte leur donne le sentiment d'un ancrage social et d'un sens à leur vie.
Quant aux femmes qui ont échappé à tout contrôle, l'OFPRA ne comprend pas qu'elles soient sur le territoire français. Mais c'est un fait. Elles ont échappé au cordon sanitaire et ne sont pas protégées. Elles peuvent être malades, elles finissent dans la rue, tombent dans la prostitution. Puis elles viennent nous voir pour se reconstruire.

Quelle est votre action à l'international ?


Nous participons au projet Daphné qui réunit la France, la Belgique et l'Italie autour d'un sujet commun : « la migration et les mutilations sexuelles ». Chacun des pays apporte son expertise. L'Italie est centrée sur l'accueil des migrants, la Belgique sur l'accompagnement des femmes victimes d'autres types de violences que celles que nous traitons, la France a la chance d'avoir un savoir-faire en accueil, réparation et prise en charge pluridisciplinaire. Bien qu'elle ait été au premier plan du problème migratoire, l'Italie est en retard sur les techniques d'écoute des femmes victimes de violences sexuelles en les considérant comme des violences à part entière.
Ce projet démontre que les pays européens doivent travailler ensemble.
Par ailleurs, certains pays d'Afrique nous demandent de venir, s'intéressant à la réparation des femmes victimes de violences sexuelles par le biais de la médecine qui aide les femmes. Malgré cela, nous réalisons que les femmes sont dans des contextes médicaux très violents où les hommes ne respectent pas leur corps lors des consultations.
Nous rencontrons dans les ministères et autres organismes des femmes militantes. Mais elles sont « hors-sol », ont calqué leurs discours et leurs éléments de langage sur ceux des occidentaux et, en dehors des ministères, il y a peu d'actions concrètes. En définitive, les pays d'Afrique auxquels nous rendons visite ne comprennent pas, de façon générale, que la chirurgie et l'accompagnement des soins sont indispensables pour réactiver chez la femme la partie d'elle-même endormie, enfouie.
Notre discours comprend deux axes principaux. D'une part faire la démonstration médicale que l'excision a des conséquences sur tout le corps des femmes. D'autre part dire : « gardez vos femmes chez vous et militez pour cela. Nous ne pouvons pas les accueillir dans de bonnes conditions ! »


Quelles sont les solutions pour qu'il y ait un recul de ces pratiques ?


Pour une femme qui se fait « réparer », il y a un avant et un après. Après, elle devient militante et protège ses enfants puis part parfois pour lutter contre ces pratiques dans son pays. Néanmoins, ce sujet est paradoxal car l'excision est un signe d'appartenance à une ethnie dont on est fier de se réclamer.
Maintenant, on peut se demander si l'on peut forcer un Etat à agir. Il y a bien le Protocole de Maputo, signé en Ethiopie en 1995 qui porte sur le droit des femmes en Afrique. La France devrait travailler avec les pays engagés dans la lutte contre l'excision.
Même si le levier politique est insuffisant, il existe le relai social par l'éducation et la sensibilisation des enfants car tout passe par eux.

Dans certains pays, on apprend aux enfants les principes d'anatomie et de fonctionnement du corps. En France, l'éducation sur le sujet des violences n'est pas homogène. De toute façon, cette éducation doit venir de professionnels extérieurs et non des maîtres ou des professeurs.
Il est aussi essentiel que nos enfants se construisent avec des connaissances et qu'ils soient protégés. Ce qui n'est pas le cas des enfants en migration. S'ils ne sont pas rapidement intégrés dans la société, les risques de radicalisation sont immenses ; ce sont des bombes humaines en devenir.
Notre marraine est Florence Foresti. Elle est très investie dans cette cause et contribue à la mise en valeur des problématiques qui sont les nôtres.
En effet, ce sujet des violences faites aux femmes ne peut rester une variable d'ajustement de la société mais doit au contraire devenir un sujet à part entière tout comme le fait qu'une juste place doit être accordée à la femme sans qu'elle ait à la revendiquer. Il est aussi indispensable d'apporter aux enfants toute la protection et les connaissances nécessaires. Les enfants sont notre avenir.

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