Riad Sattouf : "La langue française est mon pays préféré"

Franck RIESTER Ministère de la Culture - 19/03/2019 18:55:00


Auteur de "L'Arabe du futur" et des "Cahiers d'Esther", deux immenses succès de librairie, Riad Sattouf est le parrain de la Semaine de la langue française et de la Francophonie, consacrée, à partir du 16 mars, aux métamorphoses de l'écriture. L'occasion pour nous d'en apprendre davantage sur la manière dont la bande dessinée a façonné son rapport à la langue française

L'édition 2019 de la Semaine de la langue française et de la francophonie, dont vous êtes le parrain, porte sur « les métamorphoses de l'écriture ». Pouvez-vous nous donner des exemples de formes créatives d'écriture qui vous ont marqué, dans la bande dessinée ou ailleurs ?
J'ai appris à lire le français en lisant Tintin : un français très respectueux, très bien écrit, avec des typo lisibles et claires. Puis à l'adolescence, mon grand choc a été la découverte des bandes dessinées de Philippe Druillet. Il explosait les cases, il explosait les textes, les typos, ses dialogues prenaient parfois deux pages, il me semblait libre de tout faire et cela a été libérateur. J'avais commencé à aimer le français pour son côté strict et là, je l'aimais encore plus en découvrant qu'il était possible de jouer avec lui, avec ces sons qu'on peut écrire de plusieurs manières différentes, avec ces lettres qui peuvent avoir plusieurs sons... Graçe à Druillet, je me suis rendu compte qu'écrire pouvait être un jeu, un domaine d'exploration libre ! Moebius aussi m'a fait ça. Quelques années plus tard, La disparition de Perec, ce livre entier écrit sans la lettre E m'a procuré un choc comparable.


Et vous, quelles libertés aimez-vous prendre, en tant qu'auteur, avec l'écriture et le langage ?
Je suis obsédé par l'orthographe, peut-être parce que j'ai encore l'angoisse de la dictée ! Depuis que je suis édité par Allary Éditions, j'ai la meilleure correctrice du monde. Je ne supporte pas qu'il reste la moindre faute dans mes livres. Si quelqu'un trouve une faute dans l'un des volumes d'Esther ou de L'Arabe du futur, je lui envoie tout de suite un exemplaire dédicacé !
Cette obsession pour l'orthographe ne m'empêche pas d'aimer retranscrire le langage parlé de façon phonétique, de transformer plusieurs mots en un seul, de déformer les lettres, les mots, d'inventer des orthographes alternatives etc... J'adore ce jeu avec les mots, c'est pour moi une sorte de drogue !

L'apparition soudaine de nouveaux mots, de nouvelles expressions, de nouveaux tics me semble être la définition même d'une "langue vivante"


Dans vos dernières séries de bande dessinées, l'Arabe du futur et les Cahiers d'Esther, vous vous intéressez à l'évolution de l'enfance, qui bien souvent, va de pair avec une modification de notre rapport à la langue française orale et écrite...
Oui, j'aime beaucoup observer et retranscrire les différentes formes que peut prendre la langue française. La langue de l'enfance, de l'adolescence, de l'âge adulte, les langues des différentes classes sociales, des différentes régions, les accents, les mollesses, les préciosités, les tics de langage, les nouveaux mots... Esther, qui existe réellement, grandit, et avec elle sa maîtrise de la langue. C'est très intéressant à observer et à décrypter. Cela dit beaucoup de la société, et de ce que les gens en comprennent. J'adore découvrir qu'elle utilise de nouveaux mots, de nouvelles expressions, de nouveaux tics qui apparaissent soudainement, sans même qu'elle s'en rende compte... Cela me semble être la définition même d'une "langue vivante".


Votre propre relation à la langue a-t-elle évolué au fil de votre pratique ?
Oui, beaucoup ! Je me sens de plus en plus libre avec elle. Le français me semblait tellement difficile quand j'étais jeune, si strict, plein de règles complexes. Les auteurs qui la maniaient parfaitement m'impressionnaient, me semblaient indépassables. C'était très intimidant.

Mais écrire des bandes dessinées comiques m'a aidé à me libérer car je pouvais faire semblant de ne pas trop prendre au sérieux toutes ces règles et pouvais même me permettre de les bousculer, de jouer avec elles. C'est ainsi que j'ai commencé à "habiter" le français. Plus je vieillis et plus je me rends compte que la langue française est vraiment mon pays préféré !