Pourquoi il est vital de parler de la perte d'un bébé

OMS - Organisation Mondiale de la Santé - 15/04/2019 11:45:00


La perte d'un bébé à la suite d'une fausse couche ou d'une mortinaissance demeure un sujet tabou dans le monde entier, bien souvent source de stigmatisation et de honte. Il arrive fréquemment que les femmes dont le bébé meurt pendant la grossesse ou lors de l'accouchement ne reçoivent pas de soins appropriés et ne soient pas traitées avec respect. Cet article présente des témoignages venus du monde entier.

La fausse couche est la raison la plus fréquente de perdre un bébé pendant la grossesse. Les estimations sont variables, mais selon March of Dimes, un organisme qui travaille sur la santé de la mère et de l'enfant, il y aurait 10-15 % de fausses couches chez les femmes qui savaient qu'elles étaient enceintes. La définition de la perte de grossesse diffère d'un pays à l'autre, mais, en général, on parle de fausse couche lorsqu'un bébé meurt avant la 28e semaine de grossesse et de mortinaissance lorsqu'un bébé meurt à 28 semaines ou après. Chaque année, on dénombre 2,6 millions d'enfants mort-nés, or bon nombre de ces décès pourraient être évités. Toutefois, les fausses couches et les mortinaissances ne sont pas systématiquement enregistrées, même dans les pays développés, ce qui laisse à penser que les chiffres pourraient être encore plus élevés.

À travers le monde, l'accès des femmes aux services de santé est variable et, dans de nombreux pays, les hôpitaux et les cliniques manquent souvent de ressources et d'effectifs. Aussi diverse que puisse être l'expérience de perdre un enfant, la stigmatisation, la honte et la culpabilité sont présentes partout dans le monde. Comme en attestent ces témoignages directs, les femmes qui perdent leur bébé sont incitées à garder le silence sur leur deuil : on leur fait comprendre que les fausses couches et les mortinaissances restent très fréquentes, ou qu'elles sont inévitables.


Jessica Zucker, psychologue clinicienne et journaliste, États-Unis
« En tant que psychologue clinicienne, je suis spécialisée depuis plus d'une décennie dans la santé reproductive et la santé mentale de la mère. Ce n'est que lorsque j'ai vécu personnellement une fausse couche à 16 semaines de grossesse que j'ai vraiment compris l'angoisse et le chagrin dont mes patientes me parlaient depuis tant d'années. »

Tout cela affecte lourdement les femmes. De nombreuses femmes qui perdent un bébé pendant la grossesse développent des problèmes de santé mentale qui durent des mois ou des années, même si, par la suite, elles ont des bébés bien portants.

Les attitudes culturelles et sociétales face à la perte d'un bébé peuvent être très différentes d'un pays à l'autre. En Afrique subsaharienne, il est courant de croire que la sorcellerie ou les mauvais esprits sont la cause d'une mortinaissance.


Larai, 44 ans, pharmacienne, Nigéria
« Ma fausse couche a été traumatisante. Le personnel médical a largement contribué à mon chagrin bien que je sois moi-même médecin. Ils ont placé mon premier bébé dans un sac en plastique et l'ont posé à côté de mon lit. J'ai attrapé le sac croyant que c'était du matériel sanitaire, et j'ai vu mon bébé. Ici, la pratique consiste à remettre le bébé mort au père pour qu'il l'emporte afin de l'inhumer, mais comme mon mari et ma famille n'étaient pas autorisés à venir me voir, j'ai dû ramasser moi-même le sac contenant mon bébé et l'apporter à son père. Je n'ai jamais rien ressenti d'aussi insupportable. »

De nombreuses raisons peuvent être à l'origine d'une fausse couche ou d'une mortinaissance, notamment les anomalies foetales, l'âge de la mère et les infections, dont beaucoup sont évitables, comme le paludisme et la syphilis, mais il est souvent difficile d'en déterminer la cause exacte.

Pour prévenir une fausse couche, il est généralement conseillé d'avoir une alimentation saine, de faire de l'exercice physique, de ne pas fumer, de ne pas consommer de drogues ni d'alcool, de limiter sa consommation de caféine, de gérer son stress et de maintenir un poids santé. L'accent est mis sur des facteurs liés au mode de vie, ce qui, en l'absence de réponses précises, peut amener les femmes à se sentir coupables d'avoir elles-mêmes causé leur fausse couche.


Lisa, 40 ans, directrice marketing, Royaume-Uni
« J'ai fait quatre fausses couches. Chaque fois que ça vous arrive, c'est un morceau de vous qui meurt. La plus traumatisante a été la première. C'était la toute première fois que j'étais enceinte. Nous étions tellement heureux d'avoir un bébé. Mais lorsque nous nous sommes rendus à l'hôpital local, dans le Sud-Est de l'Angleterre, pour l'échographie de la 12e semaine, on m'a dit que j'avais fait une fausse couche sans le savoir, une « fausse couche silencieuse », ce qui signifie que le bébé était mort depuis longtemps mais mon corps n'avait montré aucun signe. »

À l'instar d'autres problèmes de santé, comme la santé mentale, encore très taboue, de nombreuses femmes disent qu'indépendamment de leur culture, de leur niveau d'instruction ou de leur éducation, leurs amis et leur famille ne veulent pas parler de la perte qu'elles ont subie. Il semble que cela soit lié au silence qui entoure le deuil en général.


Susan, 34 ans, écrivain, États-Unis
« Étant donné que je vis dans une région conservatrice des États-Unis, beaucoup de professionnels de santé m'ont dit que ma fausse couche relevait de la volonté de Dieu et m'ont demandé si je fréquentais une église. Je ne suis pas croyante, et j'ai trouvé cette remarque vraiment déplacée. Ce que je reproche aux services de santé en général, c'est qu'ils ne nous traitent pas comme des individus et qu'ils se contentent de nous renvoyer d'un service à l'autre. Un médecin qui m'avait vue plusieurs fois avec mon mari et qui m'avait même opérée ne se souvenait pas de moi.»

Les mortinaissances surviennent plus tard au cours de la grossesse, à partir de 28 semaines selon la définition de l'OMS. Environ 98 % des mortinaissances se produisent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. En raison d'un manque de soins et de surveillance pendant l'accouchement, une mortinaissance sur deux survient pendant le travail, alors qu'elles pourraient en grande partie être évitées.

Les mortinaissances surviennent plus tard au cours de la grossesse, à partir de 28 semaines selon la définition de l'OMS. Environ 98 % des mortinaissances se produisent dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. En raison d'un manque de soins et de surveillance pendant l'accouchement, une mortinaissance sur deux survient pendant le travail, alors qu'elles pourraient en grande partie être évitées. L'amélioration de la qualité des soins pendant la grossesse et l'accouchement pourrait prévenir plus d'un demi-million de mortinaissances dans le monde. Même dans les pays à revenu élevé, la qualité insuffisante des soins constitue un facteur important de mortinatalité.


Emilia, 36 ans, propriétaire d'un magasin, Colombie
« Quand j'ai mis au monde un enfant mort-né à 32 semaines de grossesse, mon bébé avait déjà un nom - Julio Cesar. Je me suis précipitée à la clinique car ma tension artérielle était très élevée. Après un bilan de santé, le médecin m'a dit de me reposer un peu et m'a prescrit un médicament pour faire baisser ma tension, mais il ne m'a donné aucun autre conseil. À la pharmacie, ils m'ont donné beaucoup plus de conseils au sujet des aliments à éviter, de la consommation de sel, du repos et de la façon de s'allonger - j'étais vraiment surprise que le médecin ne m'ait rien dit de tout cela. »

La façon dont les femmes sont traitées pendant leur grossesse est liée à leurs droits sexuels et reproductifs, sur lesquels beaucoup de femmes dans le monde n'ont pas de prise.

Dans de nombreuses régions du monde, la pression sociétale peut conduire les femmes à tomber enceintes alors qu'elles ne sont pas prêtes sur le plan physique ou mental. Même en 2019, 200 millions de femmes qui voudraient éviter une grossesse n'ont pas accès à des moyens de contraception modernes. Et lorsqu'elles sont enceintes, 30 millions de femmes n'accouchent pas dans un établissement de santé et 45 millions de femmes ne reçoivent pas ou peu de soins prénatals, ce qui expose la mère et le bébé à un plus grand risque de complications et de décès.

Les pratiques culturelles telles que les mutilations sexuelles féminines et le mariage des enfants sont extrêmement préjudiciables à la santé sexuelle et reproductive des filles et à la santé de leurs enfants. Avoir des enfants trop tôt peut être dangereux tant pour la mère que pour l'enfant. Les adolescentes (âgées de 10 à 19 ans) sont beaucoup plus susceptibles de souffrir d'éclampsie ou d'infections utérines que les femmes âgées de 20 à 24 ans, ce qui peut augmenter le risque de mortinaissance. Les enfants dont la mère a moins de 20 ans sont également plus susceptibles d'avoir un poids de naissance insuffisant, d'être prématurés ou de souffrir d'affections graves au cours du premier mois.

Les mutilations sexuelles féminines augmentent le risque de dystocie et de travail long, d'hémorragie, de déchirement grave et d'accouchement nécessitant l'utilisation d'instruments. L'enfant est nettement plus susceptible d'avoir besoin d'une réanimation à la naissance et court un risque élevé de décès pendant le travail ou après la naissance.

Mettre les femmes au centre de leurs soins est vital pour que la grossesse soit une expérience positive - les aspects biomédicaux et physiologiques des soins doivent être associés à un soutien social, culturel, émotionnel et psychologique.

Pourtant, même dans les pays développés qui disposent des meilleurs services de santé, de nombreuses femmes reçoivent des soins inadéquats après avoir perdu un bébé. Le discours sur les fausses couches et la mortinatalité peut être traumatisant en soi - la mention d'une « béance cervico-isthmique » ou d'un « ovule dégradé » peut être douloureuse.


Andrea, 28 ans, styliste et chanteuse, Colombie
« Quand j'étais enceinte de 12 semaines, je suis allée faire un bilan de santé et j'ai passé une échographie. Le médecin m'a dit que quelque chose n'allait pas sans préciser de quoi il s'agissait. Le lendemain, en me réveillant, j'ai remarqué que les draps étaient tachés de sang. Je n'ai reçu aucune information sur les raisons de ma fausse couche. Le médecin a été très gentil avec moi, mais il n'a fourni aucune explication. Les infirmières, en revanche, étaient très froides et désagréables et se comportaient comme s'il s'agissait d'un problème purement médical. De tout le personnel de l'hôpital, le seul qui témoignait d'un peu d'humanité était le médecin. Il m'a rassurée plus tard en me disant que je pouvais essayer à nouveau de tomber enceinte. Sinon, personne ne m'a apporté de soutien. »


Andrea, 28 ans, styliste et chanteuse, Colombie

« Quand j'étais enceinte de 12 semaines, je suis allée faire un bilan de santé et j'ai passé une échographie. Le médecin m'a dit que quelque chose n'allait pas sans préciser de quoi il s'agissait. Le lendemain, en me réveillant, j'ai remarqué que les draps étaient tachés de sang. Je n'ai reçu aucune information sur les raisons de ma fausse couche. Le médecin a été très gentil avec moi, mais il n'a fourni aucune explication. Les infirmières, en revanche, étaient très froides et désagréables et se comportaient comme s'il s'agissait d'un problème purement médical. De tout le personnel de l'hôpital, le seul qui témoignait d'un peu d'humanité était le médecin. Il m'a rassurée plus tard en me disant que je pouvais essayer à nouveau de tomber enceinte. Sinon, personne ne m'a apporté de soutien. »

Il arrive que l'hôpital ait pour politique de traiter le corps des bébés comme un déchet clinique et de l'incinérer. Parfois, lorsqu'une femme apprend que son bébé est décédé, elle doit le porter pendant plusieurs semaines avant de pouvoir accoucher. Même si ce délai peut s'expliquer par des raisons cliniques, la situation est éprouvante pour la femme et son partenaire. Même dans les pays développés, il arrive qu'une femme accouche de son bébé mort dans une maternité, entourée de femmes dont le bébé est en bonne santé, ce qui peut être douloureux et la confronter brutalement à la réalité de sa perte.

Les hôpitaux et les cliniques ne peuvent pas tous adopter de nouvelles politiques ou proposer davantage de services. Cette situation est imputable au fait que les systèmes de soins de santé sont surchargés. Pourtant, il ne coûte rien de faire preuve d'une plus grande sensibilité à l'égard des couples endeuillés et de briser le tabou et la stigmatisation liés au fait de parler de la perte d'un bébé. On le constate dans certains des témoignages présentés ici.

Le personnel de santé peut faire preuve de sensibilité et d'empathie, concevoir ce que ressentent les parents, fournir des informations claires et comprendre que les parents peuvent avoir besoin d'un soutien spécifique tant pour faire face à leur perte que pour essayer d'avoir un autre enfant. Si l'on veut dispenser des soins de qualité aux mères et aux nouveau-nés, il faut que ces soins soient fondés sur les droits humains, qu'ils tiennent compte des réalités socioculturelles, qu'ils soient respectueux et dignes, car ces aspects sont tout aussi indispensables que la compétence clinique.