Entretien au Press Club de France avec Monsieur Chakib Benmoussa Ambassadeur du Maroc en France

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press - 13/06/2019 13:40:00

Monsieur Chakib Benmoussa est ambassadeur du Maroc en France. Nous le recevons pour un entretien au Press Club de France. Cela nous donne l'occasion d'évoquer et de mieux connaître les relations internationales du pays; de plus en plus actives, ainsi que les évolutions de la société marocaine.

Votre parcours est éclectique. En effet, vous avez occupé des fonctions tant dans le secteur public que dans la sphère privée. Pourquoi ce choix ?
La mobilité public/privé est importante et devrait être plus fréquemment pratiquée car elle permet un enrichissement mutuel. Sur divers sujets comme la gestion du temps, la responsabilité sociale et environnementale ou la culture de résultats les éclairages et les approches diffèrent même s'il y a convergence sur les fondamentaux.

Après mes études à Polytechnique, aux Ponts et Chaussées et au MIT, j'ai exercé comme consultant en matière d'analyse économique de projet puis ai intégré le Ministère de l'Equipement. J'ai eu la chance de participer au développement des infrastructures routières qui est un des grands chantiers du Maroc avec de grands projets comme le schéma national autoroutier autorisant la mise sous péage des autoroutes et leur concession. Aujourd'hui, on compte près de 1 800 kilomètres d'autoroutes contre moins d'une centaine il y a quelques années. Ceci a été accompagné par un programme de désenclavement du monde rural qui a favorisé le développement économique des territoires, avec un bénéfice économique pour les villages et populations alors éloignées des routes. Ma fonction transversale au secrétariat général du Premier Ministre m'a amené à accompagner de nombreux programmes gouvernementaux puis, après un nouveau passage dans le secteur privé, j'ai contribué au Ministère de l'intérieur à la réforme des collectivités territoriales, dans une démarche de décentralisation ; un prélude à la réforme de la régionalisation avancée qui a été actée dans la Constitution de 2011 avec un nouveau statut des régions et le renforcement de leurs attributions propres.
Quelle est la position du Maroc vis-à-vis de l'Union Africaine (UA) ?
Le Maroc, qui avait été un des fondateurs en 1963 de l'OUA, l'ancêtre de l'actuelle Union Africaine, l'a quittée en 1984 car, en intégrant la structure fantoche qu'est la « république sahraoui » qui n'a ni le statut d'un Etat ni existence réelle, l'OUA a violé les dispositions de sa propre charte. Cependant, le Maroc, en raison de ses racines, se sent africain et est toujours resté proche des pays du Continent, concluant plus de mille conventions bilatérales et développant une relation particulièrement étroite entre sa Majesté le Roi et de nombreux chef d'états africains comme le montre les fréquentes visites Royales au cours de ces dernières années.


Depuis 1984, l'Afrique a beaucoup changé et fait face à de nouveaux défis. Le Maroc, à la demande de plusieurs pays africains, a jugé de son intérêt de poursuivre la défense de son intégrité territoriale de l'intérieur de l'organisation, comme il a estimé qu'il pouvait apporter sa contribution et mettre son expérience au service des réformes de l'UA et des grands programmes de coopération africains. Ainsi, lors du sommet de l'UA de Nouakchott en 2018, il a été réaffirmé la centralité de la démarche de l'ONU dans la recherche d'une solution politique à la question du Sahara marocain. De même, au sein de l'UA, le Maroc est actif sur les sujets de sécurité, d'immigration, de changements climatiques, de développement économique ou de coopération sud-sud. S'agissant de l'immigration, sa Majesté le Roi a joué un rôle leader pour préciser la vision de l'Afrique sur le sujet ; d'ailleurs sur sa proposition « l'observatoire de la migration africaine » a été créé et son siège est à Rabat ; de plus, le pacte mondial de l'ONU sur les migrations a été approuvé à Marrakech en décembre 2018. En matière économique, le Maroc partage son expertise et renforce sa collaboration avec d'autres Etats du continent dans les domaines bancaire et financier, industriel, minier....

Quelles sont les relations du Maroc avec l'Union Européenne, le Maroc ayant un « statut avancé » avec l'UE ?

Le Maroc est proche géographiquement de l'Europe, qui est à seulement 14 kilomètres, mais il est aussi proche de par l'histoire ou les intérêts communs, d'où les relations particulières que nous entretenons avec l'UE. Cet accord d'association vient asseoir nos relations politiques et économiques et notre collaboration en matière de sécurité, de développement, de culture et d'éducation. Les relations Maroc UE ont connu une période durant laquelle l'énergie des deux parties a été orientée vers la protection des acquis. Je rappelle que les accords agricole et de pêche conclus entre le Maroc et l'UE ont été contestés auprès de la CJUE par le Front Polisario qui soutenait que les préférences tarifaires ne devaient pas s'appliquer au Sahara marocain. Pour clarifier ce point et respecter la décision de la CJUE, un protocole additionnel à l'accord d'association ainsi qu'un nouvel accord de pêche ont été signés avec un engagement explicite en faveur du développement de cette région et de sa population et avec le consentement de ses représentants élus. Ces accords ont été approuvés récemment par le parlement européen.
Aujourd'hui, le Maroc et de l'UE travaillent à consolider leurs relations avec des discussions qui reprendront prochainement pour aller au-delà de l'accord existant.
Parmi les sujets traités avec l'UE, il y a le sujet des migrations. Le Maroc est très investi sur le sujet à l'échelle internationale, à l'échelle africaine mais aussi au niveau national. Nous souhaitons dépassionner le débat, qui en Europe prend des proportions politiques démesurées, et est devenu un des principaux thèmes des élections qu'elles soient européennes ou nationales, et le ramener à sa juste proportion. Au niveau national, le Maroc est passé d'un statut de pays d'origine à celui d'un pays de transit puis à celui d'un pays de destination. Le Maroc a régularisé ces dernières années quelques 50 000 migrants et a mené une politique d'intégration sociale de ces migrants. Le Maroc, en toute responsabilité, a mis en place un dispositif important de surveillance et de contrôle des zones littorales avec plus de 12 000 forces de sécurité sur les côtes méditerranéennes et atlantiques et a développé ses opérations de lutte contre les réseaux de trafics d'êtres humains qui opèrent à partir de son territoire. Les résultats sont là, comme en témoignent la commission européenne, les pays voisins comme la France et l'Espagne ou les pays d'Afrique subsaharienne.

Le Roi du Maroc et le gouvernement mènent de nombreuses initiatives en vue d'augmenter l'attractivité économique du pays, ce qui a amené la Banque Mondiale à faire progresser le pays dans son rapport « Doing Business ». A quoi attribuez-vous l'attractivité économique croissante du Maroc ?

La stabilité du pays, grâce à ses institutions, à sa monarchie constitutionnelle et au leadership du Roi, donnent aux acteurs économiques une visibilité à long-terme. L'approche globale du Maroc en matière de réformes a généré la confiance, les réformes institutionnelles et économiques faisant partie d'un tout, comme la réforme constitutionnelle de 2011 axée sur la démocratisation par notamment un équilibre des pouvoirs, la réforme de la justice, une plus grande participation citoyenne, la régionalisation avancée ou l'inclusion culturelle et de genre.

Des stratégies sectorielles ont permis un environnement favorable à la création de valeur ajoutée et le développement de nombreuses filières industrielles ; c'est le cas de l'automobile, le Maroc étant devenu en l'espace de quelques années, le 1er constructeur sur le continent africain, devançant l'Afrique du Sud, avec plus de 400 mille véhicules construits en 2018 ; l'objectif étant de passer le cap du million de véhicules prochainement. Nous travaillons aussi au développement de l'aéronautique, du textile ou de l'agriculture. Nos richesses minières sont grandes, par les phosphates dont nous sommes les 1ers exportateurs. Nous renforçons les infrastructures de transport, routes, ports et aéroports : le port de Tanger Med est connecté à plus de 170 ports dans le monde ; sa capacité va être multipliée par 3 par la mise en service cette année de son extension. Le réseau ferroviaire s'est aussi beaucoup transformé avec, notamment, la mise en service récente d'une ligne à grande vitesse Tanger/Casablanca et l'inauguration de nombreuses gares modernes. Nous démontrons, par nos investissements dans les grands équipements, une volonté et une pérennité économique et financière qui attirent la confiance des investisseurs étrangers et améliorent la compétitivité des projets d'investissement.
Les chiffres sont là : une croissance économique en 2018 d'environ 3%, un endettement public et une inflation maîtrisés, une hausse du pouvoir d'achat. Mais nous sommes conscients des défis encore existants : un chômage de plus de 10% qui touche surtout les plus jeunes, un taux faible d'activité des femmes et de grandes disparités géographiques et sociales. Nos efforts portent aussi sur la classe moyenne que nous souhaitons développer et aux besoins de laquelle nous voulons répondre ; c'est pourquoi le logement, la santé, l'éducation, le niveau d'emploi et les revenus sont des thèmes phares de la politique de du Maroc.

Quelle est votre politique en matière d'enseignement et quelle place a la langue française ?

L'enseignement est une priorité visant à garantir au Maroc l'accès au cercle des pays émergents. Nous menons aujourd'hui une grande réforme du système d'éducation et de formation pour rendre notre système plus performant et plus équitable avec un focus sur le préscolaire, la qualité de l'enseignement, l'apprentissage des langues et la formation professionnelle qui doit se rapprocher des acteurs économiques. Ainsi, une nouvelle génération de centres de formation professionnelle est en train de voir le jour avec le lancement des « centres régionaux des métiers et des compétences » dont le mode de gestion est innovant - ils sont constitués en sociétés anonymes avec des conseils d'administration et une forte implication des opérateurs économiques de chaque région.

L'enseignement supérieur se développe pour répondre à la forte demande nationale mais aussi une demande croissante d'étudiants d'Afrique subsaharienne. De nombreuses Ecoles et universités, notamment françaises (ESSEC, EM Lyon, Dauphine, Polytechnique, Ponts et Chaussées, INSA) ont créé leur propre campus au Maroc ou ont développé des partenariats avec des établissements marocains. Le français est présent au Maroc ; il fait partie de notre histoire et de la réalité économique. Les réformes en cours du système d'éducation devraient renforcer l'ouverture sur les langues étrangères et donc sur la langue française à coté d'autres langues comme l'anglais ou l'espagnol. Le Français est désormais enseigné tout au long du cursus scolaire dès le CP et peut dans certains cas devenir une langue d'enseignement en particulier dans les matières scientifiques. Le Français est aussi pensé comme un levier pour le dialogue des cultures et des religions, ce qui a conduit à l'organisation à Fès en 2018 d'une rencontre internationale sur ce thème sous l'égide de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), dont le Maroc est membre. De même, le Maroc a organisé cette année à Marrakech, la rencontre des ministres de la jeunesse et des sports du monde francophone, la CONFEJES. La volonté de partage de la langue, des valeurs et des intérêts du monde francophone génère une coopération active sud/sud et une coopération tripartite fructueuse pour toutes les parties.

Quel est le statut de la femme au Maroc ?

Sa Majesté le Roi est très investi sur la place de la femme dans la société marocaine. Ce qui a conduit à la réforme du Code de la Famille et du Code de la Nationalité en 2004 avec des droits accrus pour les femmes. La Constitution de 2011 a clairement affirmé l'égalité entre les hommes et les femmes et la lutte contre toutes les formes de discrimination, comme elle a fixé un objectif qui est celui de la parité femmes-hommes. Le Maroc a institué par la loi une approche budgétaire sensible genre et a promulgué récemment une loi luttant contre la violence faite aux femmes.
Le Maroc a toujours veillé à ce que les grandes réformes de société se réalisent sans fracture sociale, et cela en organisant des débats préalables et en recherchant un large consensus avec en dernier recours des arbitrages Royaux. Les droits des femmes en matière d'héritage sont examinés à cette aune et font l'objet actuellement de débats au sein de la société civile. La question de l'égalité hommes-femmes n'est pas qu'une affaire de textes réglementaires ; pour que cela soit effectif, il faut faire évoluer les mentalités au sein de la société, d'où l'importance du travail de sensibilisation à différents niveaux. Je rends hommage aux acteurs de la société civile qui font un travail pédagogique remarquable et développent un plaidoyer qui contribue aux avancées positives constatées.

Quelle est l'interférence entre le système politique et le monde religieux ?

La place du Maroc en matière religieuse est spécifique, sa Majesté le Roi étant chef d'Etat et commandeur des croyants. Il est donc un référent et une autorité religieuse pour les marocains ; ce qui a permis ces dernières années l'organisation du champ religieux au Maroc. Ainsi, le Conseil des Oulémas, théologiens de l'Islam, a été réorganisé, des textes pour encadrer le fonctionnement et le financement des mosquées ont été adoptés, les imams et les encadrants dans les mosquées sont formés par un Institut relevant de l'Université Al Quaraouiyine. L'objectif est de préserver l'Islam modéré et de tolérance, tel qu'il a toujours été pratiqué au Maroc ; un islam ouvert sur le monde qui met en avant la spiritualité et le soufisme et privilégie une interprétation des textes qui n'est pas littérale mais fonction du contexte. De cette façon, le Maroc résiste à la diffusion d'interprétation et d'application extrêmes provenant d'autres régions du monde. Le Maroc est fortement engagé dans la lutte contre ce phénomène nouveau qu'est l'extrémisme et le fanatisme qui mènent au terrorisme.
Les sphères religieuses et politiques sont de par la loi séparées : les partis politiques ne peuvent être organisés sur une base religieuse ; l'Islam appartient à tous les marocains et ne peut être l'exclusivité de certains.
Sa Majesté le Roi est sensible au dialogue interreligieux. D'ailleurs, Sa Sainteté le Pape a été reçue récemment à Rabat par sa Majesté le Roi ; une occasion d'échange sur ce qui unit les deux religions et sur la nécessaire lutte contre l'ignorance qui est souvent la source du rejet de l'autre.
Le Maroc est attentif aux autres communautés. La communauté juive est ainsi très présente et bénéficie d'une attention particulière pour protéger son patrimoine matériel et immatériel marocain. Ainsi, au cours des dernières années, de nombreuses synagogues ont été réhabilités, des cimetières restaurés, des projets de musée juifs lancés... Le Maroc entend faire face aux défis de quelque nature que ce soit et trouver les réponses nécessaires aux progrès de son économie et de sa société.

Entretien avec Jean François Puech au Press Club de France directeur de rédaction de NEWS Press jfpuech@newspress.fr 0607351598