Entretien avec Bariza Khiari Représentante de la France au Conseil de l'Alliance Internationale pour la Protection du Patrimoine dans les Zones en Conflit

Jean François Puech Directeur de la Rédaction NEWS Press - 30/10/2019 20:15:00


Bariza Khiari, ancienne sénatrice, est aujourd'hui engagée dans le dialogue des cultures par ses rôles de dirigeante au sein de l'Institut des Cultures d'Islam (ICI) et au Conseil de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit » (ALIPH) Et s'entretient au Press Club de France avec Jean-François Puech, directeur général de News Press.


Bariza Khiari, quel est votre parcours ?

Je suis née en Algérie puis suis venue en France encore nourrisson. Ma conscience politique trouve ses racines dans le militantisme de mes parents qui ont luttés pour la décolonisation de l'Algérie et ont tous deux été emprisonnés en raison de leurs idées politiques. Cette histoire coloniale a marqué mon enfance. Je vais vous raconter une anecdote intéressante qui éclaire ma façon de voir la vie : un jour, mes parents ont réuni leurs enfants autour de la question de la nationalité, nous disant qu'eux avaient mené un combat, celui de leur génération, qui n'était pas contre les français, beaucoup de français l'ayant partagé, mais contre le système colonial ; ils nous ont demandé de vivre nos propres combats. Ce fil rouge de l'optimisme m'a guidée loin des ressentiments et rancoeurs. Contrairement à d'autres jeunes de même origine.
Bonne élève, j'ai obtenu une maîtrise de marketing au Cnam suivie d'un MBA de l'Institut d'Administration des Entreprises puis ai intégré la haute fonction publique, grâce à laquelle j'ai suivi la formation continue de l'Ecole Nationale d'Administration.

Comment débute votre engagement en politique ?

Très simplement : j'ai pris des responsabilités à la FCPE de Janson de Sailly où mes enfants étaient scolarisés, dans l'idée de rendre à l'école de la République ce qu'elle m'avait donné, ai adhéré à la CFDT, que j'ai toujours considérée comme un syndicat moderne et réformiste. Puis mon engagement politique de gauche m'a conduit au PS du XVIème arrondissement ; de la fonction de secrétaire de locale, je suis passée à celle de secrétaire nationale, me suis présentée aux législatives, ai été battue, le XVIème étant traditionnellement à droite, mais ai battu le FN.

J'ai ensuite été élue au Sénat au groupe du PS pour deux mandats successifs, en suis devenue vice-présidente puis juge à la Cour de Justice de la République pendant, notamment, les procès de Charles Pasqua et Christine Lagarde. Mes collègues de droite m'ont fait un beau compliment lorsqu'ils m'ont dit que je jugerai les faits, non les acteurs. Ils étaient certains de mon impartialité.
Après diverses péripéties au sein du parti socialiste qui m'ont beaucoup déçues, intriguée puis intéressée par l'apparition d'un nouveau mouvement porté par l'enthousiasme et la volonté, j'ai décidé d'intégrer l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron. Avec Gérard Collomb et François Patriat, nous sommes des soldats de la première heure et avons mené la campagne en mode commando. Avec au bout de ce chemin, le succès.


Pouvez-vous évoquer votre rôle à l'Institut des Cultures d'Islam, l'ICI ?

Je préside depuis trois ans cet établissement culturel de la Ville de Paris qui me tient à coeur.
Un problème fondamental est la transmission. Celle des valeurs et de la connaissance musulmanes aux jeunes issus de cette immigration ne s'est souvent pas faite correctement, alors que pour moi, cette transmission a été sereine grâce à l'apprentissage d'un Islam spirituel, libre et responsable qui m'a appris le dépassement pour aller vers l'autre. Ce qui laisse la place à un Islam dénaturé. Un contre discours est donc nécessaire. C'est pourquoi l'ICI présente des expositions d'art contemporain, des conférences sur le monde arabe, des cours d'arabe en milieu laïc, etc., car la langue arabe est un véhicule universel et doit être enseignée dans ce sens. Or, de nombreuses familles la considèrent uniquement comme langue sacrée du Coran, laissant ainsi place aux mosquées qui en font un socle de leur modèle économique, les parents y finançant les cours de leurs enfants et en donnent une vision dénaturée avec l'obligation de pratiquer le Coran au mot près, sans omettre le fait que l'Islam est vu uniquement au travers du prisme patriarcal. Or, il faut apprendre les figures tutélaires de l'Islam et son apport au monde pour que les jeunes soient fiers de leurs racines. Sinon, ils seront frustrés et influencés par des imams comme celui de Brest qui prêche l'interdiction de la musique sous peine de devenir des porcs alors que l'Islam aime la musique ! Quelques exemples de la force de la musique en terre arabe : la psalmodie du Coran est un chant, le premier conservatoire de musique a été inventé par un musulman.

ICI permet de lutter contre les intégrismes, d'ouvrir l'esprit par la culture et de faire émerger la richesse de jeunes artistes talentueux. Nous sommes aujourd'hui reconnus par nos pairs et par les médias. Il y a encore beaucoup de travail. Il faut continuer.

Quels autres contre-pouvoirs aux intégristes de l'Islam mettez-vous en avant ?

Je suis musulmane sunnite du courant malikiste et de tradition soufie dont l'objet est l'élévation spirituelle, l'ouverture et la place de l'homme dans la Cité. Mon livre « Le Soufisme : spiritualité et citoyenneté » démontre l'absence de contradiction de l'Islam avec la vie citoyenne.
Cette place dans la Cité, elle est recherchée par la Fondation de l'Islam de France, alors dirigée par Jean-Pierre Chevènement et au conseil d'orientation de laquelle j'appartiens.
Dans le même esprit, le projet Aladin, présidé par Eric de Rotschild et Leah Pisar et dont je suis vice-présidente, me tient à coeur. Il promeut l'amitié judéo musulmane par la traduction en arabe d'oeuvres telles que « le Journal » d'Anne Franck, par la promotion d'auteurs juifs et arabes, par des actions concrètes comme un concert autour d'un orchestre composé de chants en hébreu accompagnés de musiciens marocains ou une exposition sur le couscous « Sacrée Graine ». Notre objectif est de montrer ce qui nous rassemble. Le projet, lancé à l'Unesco en 2009, est fondé sur une déclaration de principe « l'Appel à la Conscience » qui débute ainsi : « Nous, responsables politiques, hommes de Foi, historiens et intellectuels, venus de tous les horizons, affirmons que la défense des valeurs de Justice et de Fraternité, pour difficile qu'en soit le chemin, doit prévaloir sur l'intolérance, le racisme et les conflits ».

Vous êtes vice-présidente et représentante du Président de la République au sein de l'ALIPH, l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones en conflit ».Quel est son rôle et sa spécificité ?

Alors encore sénatrice, j'ai été émue par la destruction de patrimoines tels que Palmyre, Mossoul ou des mausolées de saints musulmans à Tombouctou, Mali, et ai souhaité, via une tribune de Médiapart, que la France s'occupe du trafic d'oeuvres d'art, par une résolution de l'ONU, par la création d'un droit d'asile pour ces oeuvres, plaidant pour des lieux de stockage.
C'est ainsi que Jack Lang, sur demande de François Hollande, a été en charge des dons internationaux et de la mise en place de la Fondation dont les deux pays fondateurs, France et Emirats Arabes Unis, assurent la vice-présidence ; la présidence est confiée à Thomas Kaplan, président de la Fondation Kaplan qui, à côté de la Fondation Gandur, joue un rôle majeur. Le Maroc, l'Arabie Saoudite, le Luxembourg et la Chine nous ont rejoints. Aujourd'hui, la réhabilitation d'un monastère près de Mossoul, détruit par Daesh en raison des prières conjointes des chrétiens, des musulmans et des yézidis, est quasiment terminée. Les manuscrits portant sur les débuts de la chrétienté qui y étaient cachés seront restaurés, numérisés et ouverts à tous les experts du monde.

Notre champ d'action est celui des zones de conflit. Nous prendrons en charge la réhabilitation d'un mausolée en Afghanistan en collaboration avec l'UNESCO, et avons vocation à intervenir pour des sites yéménites, pays récemment dévasté, libanais ou syriens quand ce sera envisageable.
Un des projets emblématiques à venir est « Mosaïque » pour la restauration du centre de Mossoul (mosquées, synagogue et maison ottomane). Cependant se posent des problèmes de déminage qui bloquent pour le moment toute intervention.

L'appel à projets lancé par l'ALIPH a eu un francs succès. Sur plus de 70 projets proposés, 14 ont été sélectionnés. Un nouvel appel à projets est en cours sur la plateforme dédiée.
Notre organisation se veut réactive, efficace, aux coûts de fonctionnement limités. C'est pourquoi nous l'avons créée en mode start-up, avec une petite équipe fonctionnant en réseau et avons intégré un dispositif d'urgence permettant de répondre sous un mois au besoin de protection d'oeuvres.

Afin d'enrichir les connaissances sur le sujet, l'ICI et l'IMA ont contribué à une exposition itinérante aujourd'hui en Arabie Saoudite, « Cités Millénaires », où sont projetés des sites antiques en 3D dont les images ont été captées par des drones, sur la base de technologies de la société Iconem.
Via notre action, nous présentons la richesse du patrimoine de l'humanité et sa nécessaire protection. Sont affirmées les identités multiples de l'Islam ; sont présentées les civilisations qui lui sont antérieures.


Si on sait d'où l'on vient, on sait où l'on va.

Jean François Puech JFPUECH@newspress.fr