Pologne : la nouvelle réforme compromet davantage l'indépendance de la justice, estime la Commission de Venise
Dans un Avis urgent publié le 16 janvier, la Commission de Venise du Conseil de l'Europe, conjointement avec la Direction générale des Droits de l'homme et de l'État de droit, conclut que les amendements aux lois sur le système judiciaire adoptés par le Sejm de Pologne le 20 décembre 2019 et en cours d'examen par le Sénat pourraient compromettre davantage l'indépendance de la justice.
La Commission de Venise a préparé cet Avis urgent à la demande du président du Sénat polonais, faisant en sorte qu'il soit prêt avant la fin de la session du Sénat (15-17 janvier 2020), lors de laquelle ces amendements doivent être examinés.
La Commission rappelle qu'elle avait déjà exprimé une profonde préoccupation dans son Avis de 2017 sur la Pologne à l'égard de la réforme du système judiciaire engagée par le gouvernement à l'époque, qui, selon elle, menaçait sérieusement l'indépendance de la justice. La réforme de 2017 a provoqué un « schisme juridique » : les « anciennes » institutions judiciaires ont refusé de facto de reconnaître la légitimité des « nouvelles », au motif qu'elles n'étaient pas indépendantes. Cependant, la Commission souligne que les amendements de décembre 2019 ne permettront pas de régler ce conflit ; au contraire, ils risquent d'aggraver les choses.
Ces amendements restreignent les libertés d'expression et d'association des juges et empêchent les juridictions polonaises d'évaluer si d'autres tribunaux du pays sont « indépendants et impartiaux » aux termes des règles européennes. Les juges polonais se retrouvent dans une situation impossible : s'ils rendent des décisions qui pourraient s'avérer nécessaires sur la base de la Convention européenne des droits de l'homme, du droit de l'Union européenne ou sur la base d'autres instruments internationaux, ils sont visés par des procédures disciplinaires. Les amendements proposent que toutes les requêtes concernant l'indépendance des juges soient traitées par la Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques de la Cour suprême, mais cette solution n'est pas viable étant donné que cette procédure semble inefficace et que l'indépendance de cette nouvelle Chambre est mise en question.
Dans cet Avis, la Commission critique également le fait que la réforme diminuerait la participation des juges à l'administration de la justice. En effet, pour les questions importantes, les organes judiciaires autonomes seraient remplacés par les collèges de présidents de juridiction nommés par le ministre de la Justice.
La Commission a également constaté d'autres insuffisances, concernant notamment les nouvelles infractions disciplinaires, qui pourraient donner lieu à des interprétations subjectives, et l'influence accrue du ministre de la Justice dans les procédures correspondantes.
En outre, la Commission se déclare préoccupée par le fait que le rôle des juges dans le processus de sélection du Premier Président de la Cour suprême pourrait être encore réduit, jusqu'à devenir purement symbolique.
Tout en reconnaissant que le système judiciaire polonais se trouve dans une situation difficile depuis la réforme controversée de 2017, la Commission de Venise recommande au Parlement de la Pologne de ne pas mettre en oeuvre les amendements proposés et de trouver d'autres solutions. Elle recommande de commencer par mettre en oeuvre certaines des principales recommandations figurant dans son Avis de 2017, à savoir :
- de revenir à l'ancienne procédure d'élection des 15 membres-juges du Conseil national de la magistrature (c'est-à-dire à leur élection non par le parlement, mais par d'autres juges) ;
- de revoir en profondeur la composition et la structure interne des deux nouvelles « super-chambres » (la Chambre disciplinaire et la Chambre de contrôle extraordinaire et des affaires publiques) et de restreindre leurs compétences, pour en faire des chambres « normales » de la Cour suprême ;
- de revenir au mode d'élection des candidats au poste de Premier Président de la Cour suprême qui était en vigueur avant 2017, ou de concevoir un nouveau modèle selon lequel chaque candidature soumise au Président de la République serait soutenue par une proportion significative des juges de la Cour suprême ;
- de restituer ses compétences à la communauté judiciaire sur les questions de nomination, promotion et révocation des juges, afin de garantir que les présidents de juridiction ne puissent être nommés ou révoqués sans une participation significative de la communauté judiciaire.
Cet Avis, préparé conformément à la procédure d'urgence, sera présenté pour approbation à la Commission de Venise lors de sa prochaine session plénière, prévue à Venise les 20 et 21 mars 2020.
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