FRANCE URGENT : Dernières décisions (référés) en lien avec l'épidémie de Covid-19

Conseil d'Etat - 03/06/2020 07:40:00


Qu'est-ce qu'une procédure en référé ?

Le référé-liberté est une procédure qui permet de saisir en urgence le juge administratif, lorsqu'on estime que l'administration (État, collectivités territoriales, établissements publics) porte atteinte à une liberté fondamentale (liberté d'expression, droit au respect de la vie privée et familiale, droit d'asile, etc.).

Le juge des référés a des pouvoirs étendus : il peut suspendre une décision de l'administration ou lui ordonner de prendre des mesures particulières.
Pour cela, il doit pouvoir établir, d'une part, qu'il y a urgence à statuer, d'autre part, que l'administration - par ses actions ou son inaction - a porté une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Le juge porte son appréciation sur ce point compte tenu des mesures déjà prises par l'administration et des moyens dont elle dispose.

Le juge des référés rend ses décisions - appelées « ordonnances » - en principe sous 48h.

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Semaine du 18 mai
Matériel de protection pour les professionnels de santé - Ordonnance du 22 mai


Le recours : Le syndicat Jeunes Médecins a demandé au juge des référés d'ordonner à l'État de prendre des mesures (réquisitions, achats massifs, soutien à la production) pour assurer la fourniture de masques, sur-blouses et lunettes de protection aux professionnels de santé.

La décision du Conseil d'État : Le juge a relevé que l'ensemble des mesures prises par l'État permettent aujourd'hui d'assurer la distribution de 100 millions de masques par semaine aux professionnels exerçant notamment dans les hôpitaux et cliniques, en ville et en établissement ou service médico-social. Même s'il peut subsister des difficultés encore localement, il n'apparaît pas que cette quantité de masques soit insuffisante pour couvrir de façon globale les besoins des professionnels.

Concernant les masques FFP2 plus spécifiquement, 12 millions sont distribués chaque semaine, alors que 16 à 17 millions de masques seraient nécessaires. En raison de tension sur les approvisionnement de ces masques qui pourraient durer jusqu'à début juin, ils sont prioritairement distribués aux personnels hospitaliers et de ville qui réalisent des gestes invasifs et des manoeuvres sur les voies respiratoires. Toutefois, il n'apparaît pas que l'État néglige de prendre des mesures qui permettrait d'améliorer l'approvisionnement. En effet, l'État a déjà pu réquisitionner des stocks présents sur le territoire en mars et une nouvelle réquisition de masques FFP2 en France ne permettrait qu'une augmentation marginale des stocks. En outre, des réquisitions sur les importations risqueraient de ralentir l'entrée en France de l'intégralité des masques commandés, à l'inverse du résultat recherché.

Concernant les sur-blouses, un contexte de très forte tension de l'approvisionnement est également observé, qui empêche de fournir le nombre nécessaire aux professionnels de santé. Le juge a observé que l'État s'était toutefois efforcé d'identifier des fournisseurs et avait pu procéder à une commandé de 16 millions de blouses. Il a également recherché des alternatives au modèle à usage unique, et validé un modèle lavable que 117 entreprises se sont déclarées être en mesure de produire à raison de 700 000 blouses par semaine. Si ces mesures ne suffisent pas encore à ce jour pour résorber la pénurie, les stocks devraient être suffisants à partir du mois de juin. Compte tenu de ces différents éléments, le juge relève ainsi qu'il n'est pas possible de reprocher à l'État une carence portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

IVG médicamenteuse à domicile durant l'état d'urgence sanitaire - Ordonnance du 22 mai


Le recours : Les associations Alliance Vita, Juristes pour l'enfance et Pharmac'éthique ont demandé au Conseil d'État de suspendre l'arrêté du 14 avril 2020 du ministre chargé de la santé. Cet arrêté permet, durant l'état d'urgence sanitaire, de réaliser une interruption volontaire de grossesse (IVG) par voie médicamenteuse, à domicile et par téléconsultation, et ce, jusqu'à 7 semaines de grossesse.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés a rejeté cette demande.
Le juge a rappelé que le ministre chargé de la santé est habilité à adapter, de façon temporaire, l'organisation et le fonctionnement du dispositif de santé pour répondre à l'épidémie de covid-19, y compris en matière de médicaments (sauf ceux destinés à éradiquer l'épidémie de Covid-19 qui relèvent du Premier ministre). Il a également observé que le recours à des téléconsultations en matière d'IVG vise à contribuer à la diminution de la circulation du virus.
Les associations requérantes considéraient notamment que les femmes étaient exposées à des risques pour leur santé en l'absence d'une prise en charge de leur IVG par un hôpital ou une clinique. Le juge a toutefois relevé que le médecin ou la sage-femme conventionné qui prescrit une IVG médicamenteuse informe la femme sur les mesures à prendre en cas d'effets secondaires, lui prescrit un traitement antidouleur approprié et l'informe qu'elle peut se rendre en cas de difficulté dans un établissement de santé dont il lui communique les coordonnées. Le juge des référés a également observé que l'autorisation de réaliser une IVG à domicile après 5 semaines et jusqu'à 7 semaines s'appuie sur un protocole validé par la Haute Autorité de Santé, qui est conforme aux recommandations nationales et internationales des sociétés savantes de gynécologues et obstétriciens.


Rassemblements dans les lieux de culte - Ordonnances du 18 mai


Le recours : Plusieurs associations et requérants individuels ont saisi le juge des référés du Conseil d'État pour faire suspendre l'interdiction de tout rassemblement ou réunion au sein des lieux de culte, qui a été maintenue comme durant le confinement par le décret n°2020-548 du 11 mai 2020.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés a ordonné au Premier ministre de modifier, dans un délai de huit jours, le décret du 11 mai 2020 en prenant les mesures strictement proportionnées aux risques sanitaires encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu applicables en ce début de « déconfinement », pour encadrer les rassemblements et réunions dans les établissements de culte.

La juge a rappelé que la liberté de culte, qui est une liberté fondamentale, comporte également parmi ses composantes essentielles le droit de participer collectivement à des cérémonies, en particulier dans les lieux de culte. Elle doit, cependant, être conciliée avec l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé.

Le juge des référés a relevé que des mesures d'encadrement moins strictes que l'interdiction de tout rassemblement dans les lieux de culte prévue par le décret sont possibles, notamment compte tenu de la tolérance des rassemblements de moins de 10 personnes dans d'autres lieux ouverts au public dans le même décret. Il juge donc que l'interdiction générale et absolue présente un caractère disproportionné au regard de l'objectif de préservation de la santé publique et constitue ainsi, eu égard au caractère essentiel de cette composante de la liberté de culte, une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté.

Surveillance par drones du respect des mesures de l'état d'urgence à Paris - Ordonnances du 18 mai


Le recours : La Quadrature du Net et la Ligue des droits de l'homme ont demandé au tribunal administratif de Paris d'ordonner l'arrêt de la surveillance par drones mis en place par la préfecture de police afin de faire respecter les mesures de confinement. Leur requête ayant été rejetée par le tribunal, les associations ont fait appel devant le Conseil d'État.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés du Conseil d'État a ordonné à l'État de cesser immédiatement la surveillance par drone du respect des règles sanitaires en vigueur lors de la période de déconfinement.
La préfecture de police de Paris avait indiqué que les drones n'étaient pas utilisés pour identifier des personnes, mais uniquement pour détecter des rassemblements du public à Paris contraires aux mesures sanitaires en vigueur et pouvoir ainsi procéder à la dispersion du rassemblement ou l'évacuation des lieux (les drones survolant la ville à une hauteur de 80 à 100 mètres, en utilisant un grand angle et sans capturer d'images en l'absence de carte mémoire).
Le juge des référés a toutefois relevé que les drones utilisés sont dotés d'un zoom optique et peuvent voler en dessous de 80 mètres, ce qui permet de collecter des données identifiantes. Il a observé que les drones ne sont dotés d'aucun dispositif technique permettant de s'assurer que les informations collectées ne puissent conduire à identifier des personnes filmées, et ce, pour un autre usage que l'identification de rassemblements publics.

Dès lors, le juge des référés a estimé que l'utilisation de ces drones relève d'un traitement de données à caractère personnel et doit respecter le cadre de la loi informatiques et libertés du 6 janvier 1978. Constatant que ce cadre n'avait pas été respecté, il a par conséquent ordonné à l'État de cesser sans délai la surveillance par drone, tant qu'un arrêté ou décret ministériel n'aura pas été pris sur le sujet après avis de la CNIL, ou tant que les drones ne seront sont pas dotés d'un dispositif de nature à rendre impossible l'identification des personnes filmées.

Semaine du 11 mai
Distances d'épandage de pesticides à proximité des habitations - Ordonnances du 15 mai


Les recours : Le collectif des maires antipesticides a demandé au juge des référés de suspendre l'exécution du décret et de l'arrêté du 27 décembre 2019 précisant les distances minimales de sécurité pour l'épandage des pesticides près des habitations.
Plusieurs associations dont Générations futures et l'UFC - Que Choisir ont par ailleurs demandé la suspension d'une instruction du 3 février 2020 ainsi que d'un communiqué de presse et d'une note du 30 mars 2020 du ministre chargé de l'agriculture qui autorisent dans certaines conditions les agriculteurs à réduire les distances minimales fixées par ces deux textes.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés a rappelé qu'il avait déjà rejeté la même demande du collectif des maires antipesticides le 14 février dernier. Si les risques pour la santé de l'utilisation des pesticides sont connus, aucun élément apporté par le collectif ne permettait de démontrer que les distances minimales de sécurité fixées par le Gouvernement - sur la base d'un avis de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) - étaient insuffisantes.
Selon le juge, les nouvelles pièces soumises par le collectif lors de ce second recours ne permettent toujours pas de remettre en cause les distances retenues. L'urgence justifiant l'intervention du juge des référés n'étant pas donc pas avérée, le recours du collectif des maires a été rejeté.
Le Conseil d'État se prononcera sur le fond de ce dossier dans les prochains mois.

Concernant la demande des associations, le juge a rappelé que l'arrêté du 27 décembre 2019 permettait une réduction des distances minimales de sécurité à condition que des mesures apportant des garanties équivalentes soient mises en oeuvre conformément à des chartes d'engagement approuvées par le préfet. Il a relevé que l'instruction contestée du 3 février permet aux agriculteurs d'appliquer les distances minimales réduites lorsqu'un projet de charte a été élaboré sans attendre son approbation par le préfet. Le juge des référés a estimé que cette instruction - dont les effets prennent fin le mois prochain - ne présentait pas un risque imminent pour la santé et n'avait pas pour effet de compromettre la concertation publique. Il a ainsi rejeté la requête des neufs associations pour défaut d'urgence.
Les associations contestaient également le communiqué de presse et la note du 30 mars 2020 qui permettaient, dans le contexte lié à l'épidémie de covid-19, de procéder à un épandage selon des distances minimales réduites avant même que le projet de charte soit approuvé par le préfet et même soumis à concertation publique. Le juge a relevé que cette dérogation a pris fin avec la levée du confinement le 11 mai 2020 et que la demande des associations n'avait donc plus d'objet sur ce point.


Semaine du 4 mai 2020
Étrangers atteints du covid-19 au CRA de Vincennes - Ordonnance du 7 mai


Le recours : À la suite d'un recours de l'association « Avocats pour la défense des droits des étrangers », du Syndicat des avocats de France, du Groupe d'information et de soutien des immigrés et de quarante-sept autres requérants, le tribunal administratif de Paris a notamment ordonné à l'administration de lever la rétention des étrangers retenus au centre de rétention (CRA) de Vincennes testés positifs au covid-19 et de les orienter vers un centre de l'Agence régionale de santé (ARS). Le ministère de l'intérieur a demandé l'annulation de cette injonction auprès du Conseil d'État.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés a tout d'abord noté que des réaménagements avaient été effectués au CRA de Vincennes à la suite de la décision du tribunal administratif. Désormais, seuls deux bâtiments restent ouverts et fonctionnent de manière étanche et autonome, un des bâtiments étant désormais dédié à l'accueil des étrangers contaminés par le covid-19. Au sein de celui-ci, les personnels et les étrangers testés positifs sont dotés de matériels de protection (masques, gants, etc.) et des prestations de ménage et de désinfection sont réalisées 6 jours sur 7 (7 jours 7 jours si le nombre de personnes retenues atteint 4). À ce jour, un seul étranger testé positif y demeure en rétention. Pour le juge des référés, le maintien en nombre très réduit d'étrangers contaminés ne présente pas, pour eux, pour les personnels ou les étrangers retenus dans l'autre bâtiment, un risque supérieur de contamination à celui encouru en cas de transfert vers un centre de l'ARS.

Le juge des référés a ensuite relevé que si aucun étranger contaminé par le covid-19 ne saurait faire l'objet d'un éloignement tant qu'il demeure malade et contagieux, les prescriptives d'éloignement, une fois guéri, ne sont pas inexistantes. Il a dès lors estimé, contrairement à ce que soutenaient les requérants, que le maintien en rétention des étrangers testés positifs n'était pas dépourvu de toute justification.

Enfin, alors qu'elle n'avait pas été interrogée lors du jugement au tribunal administratif, l'ARS a indiqué qu'elle n'était pas en mesure d'accueillir des personnes susceptibles de présenter un risque de trouble à l'ordre public, en l'absence de dispositif adapté et compte tenu du risque de compromettre le bon fonctionnement des établissements existants.

Pour ces différentes raisons, le juge des référés du Conseil d'État a annulé l'injonction prononcée par le tribunal administratif de Paris.

Masques et tests de dépistage à la prison de Ducos (Martinique) - Ordonnance du 7 mai


Le recours : À la suite d'un recours de l'ordre des avocats du barreau de Martinique et d'une vingtaine de détenus, le tribunal administratif de la Martinique a ordonné le 4 avril à l'administration de distribuer des masques aux détenus de la prison de Ducos en cas de contact avec d'autres détenus ou s'ils sont employés à la distribution des repas en tant qu'auxiliaires. Le tribunal a également enjoint à l'établissement de se doter d'une quantité suffisante de tests pour y réaliser des dépistages ciblés du covid-19. Le ministère de la justice et le centre pénitentiaire ont demandé au Conseil d'État d'annuler cette décision.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés du Conseil d'État a ordonné à l'administration de fournir un masque de protection aux détenus à l'occasion de leurs contacts avec l'extérieur afin de les protéger du risque de contamination. Il a relevé en effet qu'à partir du 11 mai, les détenus seront les seuls à ne pas avoir de masque de protection lors des « parloirs avocats », de la commission de discipline ou des entretiens avec les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. En revanche, il a estimé que compte tenu des mesures mises en oeuvre par le chef d'établissement du centre pénitentiaire de Ducos pour limiter les risques de propagation du virus (limitation des contacts avec l'extérieur, réduction les mouvements à l'intérieur de l'établissement, entretien et nettoyage des locaux, respect des règles de sécurité sanitaire, etc.), l'absence de distribution de masques de protection à l'ensemble des personnes détenues ne révélait pas une carence de l'administration, et a donc annulé sur ce point l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique.

Le juge des référés du Conseil d'État a en outre relevé que le centre pénitentiaire prévoyait de doter, à compter du 11 mai, l'ensemble des détenus dits "auxiliaires" (chargés de la distribution des repas, des produits de cantine ou de l'entretien des coursives) d'un masque et d'une paire de gants jetables. Il donc estimé que la demande de l'Ordre des avocats au barreau de Martinique sur ce point était satisfaite.

Enfin, au sujet des tests de dépistage, le juge a observé que la situation avait également évolué depuis l'intervention du juge des référés du tribunal administratif. Les détenus et personnels pénitentiaires sont désormais identifiés comme personnes prioritaires pour des tests en cas de symptômes du Covid-19. Dans les prisons sans cas connu de covid-19 comme c'est le cas à Ducos, le premier détenu symptomatique est automatique testé. En cas de résultat positif, il fait l'objet d'un confinement sanitaire s'il ne nécessite pas d'hospitalisation, tout comme l'ensemble des personnes ayant été en contact avec lui. Le juge des référés du Conseil d'État a estimé que cette stratégie, qui ne prévoit pas de dépistage systématique de tous les détenus en cas de symptôme, ne révèle pas de carence de l'administration. Il a donc annulé sur ce point également l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de la Martinique.

Semaine du 27 avril 2020
Enregistrement des demandes d'asile en Ile-de-France - Ordonnance du 30 avril


Le recours : À la suite d'un recours de sept associations dont la Ligue des droits de l'Homme et le Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti) et de sept particuliers, le tribunal administratif de Paris a ordonné à l'administration le rétablissement du dispositif d'enregistrement des demandes d'asile en Ile-de-France, supprimé en mars dernier. Le ministère de l'intérieur et de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) ont demandé l'annulation de cette décision au Conseil d'État.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés a ordonné au ministre de l'intérieur et à l'OFII de rétablir dans un délai de cinq jours et dans les conditions sanitaires imposées par le covid-19, l'enregistrement des demandes d'asile, en priorité de celles émanant des personnes présentant une vulnérabilité particulière, et de rouvrir la plateforme téléphonique de prise de rendez-vous.

Le juge des référés a rappelé qu'il s'était déjà prononcé le 9 avril dernier sur la question du droit d'asile durant le confinement. Il avait alors considéré qu'il ne lui était pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale, car l'administration s'était engagée à poursuivre l'enregistrement des demandes des personnes vulnérables et à recenser les personnes qui avaient l'intention de déposer une demande. Toutefois le juge observe à présent, selon les différents éléments qui lui ont été présentés ou qu'il a demandés, que les permanences assurées dans les préfectures pour les demandes des personnes vulnérables sont insuffisantes et que le recensement annoncé n'a pas été mis en oeuvre.

Contrairement à ce qu'avançait l'administration, le juge note que la mobilisation d'un minimum d'agents est possible malgré le contexte pour rouvrir les guichets d'enregistrement en nombre suffisant. L'impossibilité d'appliquer les mesures de protection et de distanciation sociale ne peut pas non plus être invoquée selon le juge, qui observe que d'autres préfectures, notamment dans des départements particulièrement touchés par l'épidémie, peuvent les appliquer.

Pour ces différentes raisons, la carence de l'État à mettre en oeuvre l'enregistrement des demandes d'asile constitue une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile et justifie l'intervention du juge des référés.

Usage du vélo durant l'état d'urgence sanitaire - Ordonnance du 30 avril


Le recours : La Fédération Française des Usagers de la Bicyclette a demandé au juge des référés du Conseil d'État d'ordonner au Gouvernement d'indiquer expressément que le vélo pouvait être utilisé durant le confinement, de rouvrir les pistes cyclables fermées et d'enjoindre au ministère public de cesser de poursuivre les verbalisations ayant pour motif l'usage du vélo.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés a ordonné au Gouvernement d'indiquer publiquement et largement que le vélo peut être utilisé pour les déplacements autorisés durant le confinement.

Il a relevé que si le Gouvernement avait bien interprété le décret du 23 mars 2020 comme réglementant uniquement les motifs (achats de première nécessité, accès aux soins, activité physique individuelle...) et non les moyens de déplacements, plusieurs autorités publiques avaient néanmoins indiqué par différents moyens de communication que l'usage du vélo était interdit.

Le juge des référés a estimé que l'utilisation du vélo relève de la liberté d'aller et venir et du droit de chacun au respect de sa liberté personnelle, et que l'absence de clarté des positions du Gouvernement y portait une atteinte grave et manifestement illégale.

Le juge des référés du Conseil d'Etat a en revanche jugé qu'il n'avait pas le pouvoir de satisfaire les autres demandes de la Fédération. S'agissant en particulier de la demande d' interrompre les poursuites engagées contre les cyclistes, le juge des référés a rappelé qu'il n'était pas habilité à ordonner des mesures à l'autorité judiciaire.

Semaine du 20 avril 2020
Protection des avocats - Ordonnance du 20 avril


Le recours : Les ordre des avocats des barreaux de Paris et Marseille ont demandé au Conseil d'Etat d'enjoindre au Gouvernement de fournir notamment des masques de protection et du gel hydro-alcoolique aux avocats dans l'exercice de leurs missions.

La décision du Conseil d'État : Le juge des référés a rappelé que les juridictions judiciaires ont été fermées le 15 mars dernier, le service ayant été uniquement maintenu pour les contentieux prioritaires en matière civile et pénale. Les règles de fonctionnement ont été adaptées pour être compatibles avec les impératifs de distanciation sociale et de limitation de la contamination : recours à des moyens de communication électronique pendant les gardes à vue, tenue possible d'audiences à distance ou à huis clos, procédures contradictoires intégralement écrites ou dispenses d'audience. Des instructionsont également été données pour que les audiences soient réalisées dans des salles suffisamment grandes et avec un renforcement des prestations de nettoyage.
Le juge des référés a également relevé que le Gouvernement, face à l'insuffisance des stocks, a décidé d'assurer en priorité la distribution des masques disponibles aux professionnels de santé ou à ceux intervenant en contact avec des personnes âgées, tout en procédant à une importation massive et une incitation de la production nationale.

Le juge des référés affirme toutefois qu'il appartient à l'État d'assurer le bon fonctionnement des services publics, et qu'il doit, lorsque les lieux ou la nature des missions conduisent inévitablement à des contacts étroits et prolongés, mettre à disposition des équipements de protection. Face à un contexte de pénurie persistante de masques, le Gouvernement doit aider les avocats, qui concourent au service public de la justice en tant qu'auxiliaires de justice, à s'en procurer en facilitant l'accès des barreaux et institutions représentatives de la profession aux circuits d'approvisionnement. Concernant le gel hydro-alcoolique, même si les avocats peuvent s'en procurer, l'État doit malgré tout en mettre à disposition lorsque l'organisation des lieux ou la nature même des missions ne permettent pas de respecter les règles de distanciation sociale.

Néanmoins, compte tenu des différentes mesures déjà prises par le Gouvernement, des moyens dont dispose l'administration et des pouvoirs du juge des référés, qui ne peut ordonner que des mesures susceptibles d'être prises à très brefs délais, le juge des référés du Conseil d'Etat a estimé que l'absence de distribution de matériels de protection aux avocats ne révélait pas une carence de l'Etat portant, de manière caractérisée, une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

Restriction des épandages agricoles - Ordonnance du 20 avril


Le recours : L'association Respire a demandé au Conseil d'État d'enjoindre au Gouvernement d'appliquer immédiatement et jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues en cas de pics de pollution, par l'arrêté du 7 avril 2016.

La décision du Conseil d'État :

L'association requérante soutenait que la pollution de l'air par les particules PM10 et PM2,5 constitue un facteur aggravant de la propagation du covid-19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections respiratoires. Elle réclamait en conséquence que le juge des référés enjoigne au Gouvernement de prendre en urgence des mesures limitant les épandages agricoles pour réduire les émissions de ces particules.

Le juge des référés a tout d'abord relevé, se fondant sur les éléments qui lui ont été remis et les précisions réclamées à l'administration lors de l'audience, que, contrairement à 2019, aucun dépassement du seuil d'alerte de pollution n'a été observé entre le 15 mars et le 14 avril 2020, période marquée par une forte réduction des pollutions issue de l'activité industrielle et des transports en raison des mesures de confinement, et que les dépassements du seuil d'information-recommandation avaient été moins importants qu'en 2019.

Le juge des référés a estimé que les trois principales études sur lesquelles l'association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l'audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires. L'étude chinoise, publiée en 2003 et portant sur le SRAS, portait sur la pollution de l'air en général, notamment au dioxyde de carbone, qui est actuellement fortement réduite en raison de la diminution des transports, et pas seulement sur la pollution aux particules PM10 et PM2,5. L'étude américaine, datant d'avril 2020, porte bien sur l'exposition aux particules PM2,5, mais se fonde sur une exposition de long terme (plusieurs années minimum), ce qui ne permet pas d'apprécier les conséquences d'une exposition limitée à quelques semaines, délais correspondant aux mesures urgentes et provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d'ordonner. Enfin, l'étude italienne datant également d'avril 2020, qui s'intéresse à l'exposition aux particules PM10, porte sur des dépassements des seuils de pollution qui, lorsqu'ils surviennent en France, donnent lieu à des mesures de restriction des activités polluantes conformément à ce que prévoit l'arrêté du 7 avril 2016.

Le juge des référés a toutefois rappelé qu'il incombe à l'administration de faire preuve d'une vigilance particulière dans le contexte actuel d'état d'urgence sanitaire, en veillant à prendre, au besoin de façon préventive, des mesures pour éviter la survenance de pic de pollution ou au minimum d'en limiter la durée. C'est sous la réserve que l'État assure strictement ses obligations, au besoin de manière préventive, que le juge des référés a rejeté la demande de l'association.

Semaine du 13 avril 2020
Fermeture des entreprises de la métallurgie - Ordonnance du 18 avril


Le recours : La Fédération des travailleurs de la métallurgie CGT (FTM-CGT) a demandé au Conseil d'État d'ordonner au Gouvernement de dresser la liste des entreprises de la métallurgie « essentielles à la Nation », de fermer les autres et de prendre des mesures particulières de protection au sein des entreprises poursuivant leurs activités.

La décision du Conseil d'État :

Le juge a observé que le choix du Gouvernement de ne pas procéder à la fermeture des entreprises du pays (sauf celles accueillant du public), accompagné de l'obligation pour les employeurs de prendre toutes les mesures d'hygiène et de distanciation nécessaires, était fondé sur l'analyse de ce qu'une telle mesure était suffisante pour combattre l'épidémie, le confinement dans sa forme actuelle commençant à produire des effets positifs.
Le juge a en outre relevé que la démarche de l'administration était motivée par l'extrême difficulté de distinguer les entreprises indispensables de celles qui ne le sont pas, dans un tissu industriel où les activités sont étroitement intriquées.
Le juge des référés a également rappelé l'obligation générale de sécurité qui incombe aux employeurs en vertu du code du travail, et relevé que, pour prendre en compte les risques spécifiques pour les travailleurs des entreprises, notamment de la métallurgie, l'administration avait déjà adopté un ensemble de mesures. Ces mesures ont notamment permis aux services déconcentrés de l'État (DIRECCTE) d'adresser une vingtaine de mises en demeure à des entreprises, aux services d'inspection du travail de saisir le juge judiciaire en référé, aux élus du personnel et délégués syndicaux d'utiliser leur pouvoir d'alerte et aux services de santé au travail d'accroître leurs prérogatives.
Enfin, s'agissant enfin de la demande du syndicat de mettre à disposition vingt masques de protection par salarié et par semaine, le juge a rappelé la stratégie du Gouvernement d'assurer en priorité la fourniture des masques disponibles aux professions les plus exposées. Il a en outre relevé que deux nouvelles catégories de masques à usage non sanitaire ont été créées et notamment pour les professionnels ayant des contacts avec d'autres personnes dans le cadre professionnel, dont il a été précisé à l'audience que la production avait commencé, afin qu'ils soient mis le plus rapidement possible sur le marché.