Au Musée des Civilisations Noires : Continuités culturelles et déberlinisation

MCN Musée des Civilisations Noires - 15/10/2020 15:40:00


Depuis la grande vague des indépendances, dont le cinquantenaire a vécu, l'Afrique a été traversée par de nombreux conflits frontaliers et parfois par des guerres entre États-nations. Dans plusieurs cas, le tracé des frontières a été une cause récurrente de conflits armés qui a eu des conséquences incalculables sur le développement économique et humain. Il y a peut-être ici on a besoin de revisiter les marges africaines depuis la conférence de Berlin (1884-1885) qui consacre le partage du continent jusqu'aux indépendances qui ont proclamé l'intangibilité des frontières héritées de la colonisation (Charte de l'Organisation de l'Unité africaine). Aujourd'hui encore, l'objectif annoncé, lequel était d'éviter au continent d'autres souffrances, n'est toujours pas atteint. Des groupes que tout unit sont restés séparés par les frontières héritées de la colonisation, des pistes de transhumance, des complémentarités technologiques et économiques ont été rompues et des expressions culturelles, jadis florissantes, murées dans les ghettos dont les frontières dites de souveraineté. Dans un tel contexte, on ne peut que méditer avec amertume l'avertissement de Cheikh Anta DIOP qui disait en véritable visionnaire, « Vous jeunes Africains êtes condamnés à réaliser le fédéralisme sinon vous allez vivre l'enfer sur cette terre d'Afrique ». Plus jamais les continuités structurantes doivent être convoquées pour baliser le chemin d'une véritable Union du continent.

Il s'agit de montrer, à travers l'archéologie, l'histoire ancienne et récente et la production culturelle que la pérennisation de Berlin est une donnée rédhibitoire à tout projet d'unification du continent et par conséquent de son développement. Devrions-nous peut-être, enfin, explorer le laboratoire de Déberlinisation de l'artiste Mansour Ciss Kanakassy lauréat de la Biennale de 2008 ?

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Histoire du Musée des Civilisations noires

Du Musée négro-africain de Dakar au Musée des Civilisations noires
Le conseil interministériel exclusivement consacré au Musée négro-africain, présidé le 24 janvier 1974 par le Président Léopold Sédar SENGHOR, avait déclaré « d'utilité publique » ce musée qui devait être construit à Dakar, sur la corniche ouest, dans le cadre d'un Forum culturel.

Le MCN est donc avant tout l'expression d'un besoin propre à un contexte historique précis. Son origine s'ancre dans les racines idéologiques de la Négritude face à une dévalorisation des héritages, historiques technologiques et culturels des civilisations noires. À l'époque, devant les constructions théoriques qui définissaient des catégories raciales bientôt obsolètes, les stratégies communes transcontinentales prenaient forme à l'intérieur des grandes rencontres panafricaines parmi lesquelles la Conférence panafricaine de Londres (23-25 juillet 1900), le Congrès panafricain de Manchester (15-21 octobre 1945) et la Conférence d'Accra (15-22 avril 1958). Outre ces manifestations à forte teneur politique contre les inégalités, les deux Congrès des écrivains et artistes noirs (Paris 1956 et Rome 1959) marquent la naissance de discours qui ajoutent une facture culturelle et artistique à ces dynamiques déjà globales.

Cependant, malgré des études prometteuses réalisées par les plus grands experts de l'époque avec l'appui de l'UNESCO le projet sera abandonné au début des années 1980.

Le MCN est aussi l'héritier du Musée dynamique inauguré en 1966 par le Président SENGHOR pour les besoins du 1er festival mondial des arts nègres et qui organisa par la suite des expositions prestigieuses parmi lesquelles, celles de Marc CHAGALL en 1971, de Pablo PICASSO en 1972, de Fritz HUNDERTWASSER en 1973, de Pierre SOULAGES en 1974, d'Alfred MANNESSIER en 1976, d'Iba NDIAYE en 1977, etc. Les premiers salons nationaux des artistes plasticiens sénégalais y seront également organisés. Sa fermeture définitive a créé un vide considérable que le MCN se doit aussi de combler. En somme le MCN est le fruit d'un long processus, accompagné de changements majeurs depuis plus d'une cinquantaine d'années. C'est donc un projet évolutif, façonné par une riche histoire intellectuelle et culturelle qui doit célébrer les Civilisations noires dans le temps du monde.

Dimension historique et géoculturelle du Musée des Civilisations noires
Avec le MCN, le Sénégal réalise un des rêves du monde noir et ambitionne d'être le carrefour du dialogue des cultures, socle d'une paix durable dans un monde globalisé.
La dimension historique et géoculturelle très étendue du MCN doit permettre au Sénégal de renforcer sa vocation de terre de culture et de creuset des civilisations noires dans leurs diversités, leurs continuités, leurs ruptures et leurs aspirations communes au dialogue des civilisations. Il s'agit donc de promouvoir une culture de la paix fondée sur l'acceptation de l'unité plurielle de notre humanité qui ne peut se réaliser que dans la reconnaissance positive de nos différences.
Il ne sera donc pas un monument commémoratif mais un espace de célébration de l'estime de soi articulée à une ouverture permanente sur les défis de notre temps. Cette vocation en fera un laboratoire de créativité au service des communautés noires ouvert sur un espace monde devenu global et, forcément, métis.
Le MCN sera aussi un instrument de promotion des continuités culturelles, un liant des mondes noirs dont la fragmentation issue de la déportation, des frontières politiques héritées de la colonisation, ou encore des migrations anciennes et récentes doit impérativement être transcendée et dépassée. En ce sens, il sera, à travers la créativité et les échanges, un espace de redécouverte et de promotion des valeurs en partage, ce qui lui permettra d'alimenter le plaidoyer pour l'unité du continent africain et de toutes les communautés noires.
En ce sens il sera donc un espace de défragmentation de l'unité rompue d'une civilisation qui a soif de réunification dans la modernité.

BIOGRAPHIE de Mansour Ciss Kanakassy

Né à Dakar en 1957, vit et travaille à Berlin (Allemagne).

Diplômé de l'Institut National des Arts du Sénégal, il a participé à de nombreuses expositions en Afrique et en Europe. Il poursuit également ses recherches dans le design et la mode et expérimente les arts numériques, la sculpture , les installations et la photographie.

Les signes des cultures des peuples Bambara, Bobo et Dogon ont fortement influencé sa démarche artistique après un séjour au Mali. C'est à la Biennale de 2008 qu'il est co-lauréat du Grand prix Léopold Sédar SENGHOR.

« En tant qu'artiste médiatique, partisan de l'introduction des Nouvelles Techniques de l'Information et de la Communication dans le domaine de l'Art, la Biennale est le champ privilégié pour matérialiser tous mes projets artistiques. L'attribution du prix représente une motivation supplémentaire pour poursuivre la réflexion et permettre à l'Art contemporain africain une présence sur la scène internationale. En vérité, elle m'a permis de nouer des contacts avec d'autres artistes et de jeter les bases d'une nouvelle représentativité de l'Art africain à travers le monde. »