Réponse des magistrats de l'USM aux propositions de la CONFERENCE NATIONALE DES PROCUREURS DE LA REPUBLIQUE sur l'avenir de la justice pénale

USM - Union Syndicale des Magistrats - 25/02/2022 13:25:00

La CNPR a diffusé en décembre ses dix propositions « pour l'avenir de la justice pénale ».
Sur le statut et les prérogatives du parquet, l'USM a une réflexion très ancienne et défend particulièrement une modification ambitieuse du statut, non seulement dans ces modalités de nomination et de discipline afin d'affirmer pleinement l'unité du corps, mais aussi dans l'organisation interne du parquet, afin d'affirmer l'indépendance de ses membres.


Sur les moyens, les constats sont proches et l'USM fait trois propositions précises sur les outils numériques : disposer d'informaticiens formés en juridiction, développer des outils informatiques à la hauteur des enjeux et améliorer la qualité du parc informatique.

Vous trouverez également dans notre réponse à la CNPR nos positions sur l'enquête pénale, le rôle du parquet vis-à-vis de la victime, la communication judiciaire...

Paris, le 14 février 2022

Monsieur le président de la CNPR,
Mesdames, messieurs les membres de la CNPR,


Nous avons pris connaissance avec intérêt des 10 propositions que vous avez formulées au garde des
Sceaux en novembre dernier et souhaitons vous faire part de nos commentaires. Ces propositions
recoupent en partie des positions que l'USM soutient depuis longtemps. Elles nous semblent
cependant moins ambitieuses que celles du livre noir du ministère public que la CNPR avait publié
en juin 2017.

Vous trouverez ci-après les réflexions et observations qu'elles nous ont inspirées.
Nous souhaiterions rencontrer de nouveau des représentants de votre conférence pour évoquer ces
propositions ainsi que les suites du mouvement collectif issu de la tribune du 23 novembre 2021.
Céline PARISOT
Présidente de l'USM

Proposition n °1 : le statut du parquet.
Nous ne pouvons que regretter que la CNPR ne se positionne pas clairement en faveur d'un
alignement des conditions de nomination et de discipline de l'ensemble des magistrats du parquet sur
ceux du siège plutôt que de le réserver aux seuls procureurs.
La demande de réforme statutaire de tous les magistrats du parquet est une position historique de
l'USM. Nous pensons toutefois que pour renforcer le crédit de l'institution judiciaire, il faudrait aller
encore plus loin. Nos propositions sur l'indépendance interne sont liées à une indépendance externe
préalable.


1 - Le statut externe du parquet.
Statut.
Les procureurs devraient être nommés dans les mêmes conditions que les présidents de TJ et les
parquetiers dans les mêmes conditions que leurs collègues du siège. La discipline devrait également
être commune à tous les magistrats, alignée sur celle des juges.
La confiance dans l'institution judiciaire est liée à l'indépendance de ses membres. Le crédit de
l'autorité judiciaire repose sur la nécessaire autonomie vis-à-vis des autres pouvoirs. Il faut donc
rompre le lien entre le pouvoir exécutif et le parquet, entre le garde des Sceaux et les procureurs. Il
en va de la confiance de nos concitoyens dans leur justice. L'actualité judiciaire récente nous a encore
montré (et nous montre d'ailleurs depuis trente ans) quel poison se répand lorsque nos concitoyens
doutent qu'une décision est prise non pour la protection de l'intérêt général mais pour satisfaire le
pouvoir politique, à plus forte raison lorsque la justice connaît d'agissements de membres éminents
du pouvoir exécutif ou législatif.

Remontées d'information.
Que le garde des Sceaux soit informé de l'état de la délinquance et des mouvements de criminalité
émergents est une chose ; qu'il soit informé en temps réel d'une affaire particulière trouvant son seul
intérêt dans la personnalité du mis en cause, ou de la victime, en est une autre.
Il conviendrait donc d'interdire toute remontée d'information au garde des Sceaux dans des affaires
particulières et seulement de demander aux parquets de rendre compte de l'état de la délinquance. S'il
est légitime que le ministre de la justice puisse être informé de nouvelles formes de délinquance ou
du développement de formes existantes afin de faire travailler ses services sur ces phénomènes, rien
ne justifie qu'il soit informé d'une enquête en cours visant telle ou telle personnalité. Seuls les
mouvements de fond doivent lui être répercutés.


2- Le statut interne du parquet.
Indépendance des parquetiers dans la gestion des dossiers
Le procureur tire sa légitimité de la loi et a une mission constitutionnelle de garantie des libertés
individuelles. A ce titre, nul ne doit douter de son impartialité ou de sa capacité à mener des
investigations et déclencher des poursuites sans être entravé.
L'USM soutient donc une indépendance interne des magistrats du parquet. Le procureur devrait
définir les compétences des membres de son parquet selon un tableau de service (le pendant de
l'ordonnance de roulement qui régule l'attribution des affaires au siège) et attribuer les procédures en
fonction de ces compétences pré établies. Dès lors qu'un magistrat serait destinataire d'une procédure,
il la traiterait de façon indépendante sans pouvoir recevoir d'instruction de quiconque, y compris de
son supérieur hiérarchique. Le magistrat du parquet investi d'un dossier ne pourrait, en principe, se
le voir retirer par sa hiérarchie.

Le procureur serait toutefois garant de la politique pénale et pourrait rappeler à l'ordre un magistrat
de son parquet qui s'éloignerait de cette politique pénale et, selon des critères très stricts, lui retirer
alors certaines affaires. En cas de litige d'ordre interne, entre un procureur et un magistrat du parquet,
un recours approprié devant le CSM/parquet devrait être possible et organisé.
Limitation stricte des remontées d'information
C'est la conséquence de la rupture du lien avec le pouvoir exécutif. Le procureur ne rendrait alors
plus compte au parquet général que de sa politique pénale (au niveau macro) et non de certaines
affaires dites aujourd'hui signalées (niveau micro). Ce compte rendu pourrait être périodique : tous
les 6 mois ou tous les ans et illustrer la politique pénale suivie et ses conséquences.

3- Le rattachement de la police judiciaire au ministère de la justice.
Il n'est pas d'enquête indépendante si l'autorité hiérarchique de l'enquêteur n'est pas le procureur de
la République mais le ministre de l'intérieur.

Le procureur de la République fixe les orientations de politique pénale sur son ressort mais ne dispose
pas des effectifs d'enquête. Il doit pouvoir exiger de l'autorité administrative qu'elle lui octroie les
enquêteurs nécessaires dans les matières que ce magistrat aura défini comme prioritaires.
Ainsi, l'USM propose que la police judiciaire constitue un corps autonome sous la seule hiérarchie
du procureur de la République.


Proposition n °2 : Les moyens.

Cette proposition pourrait être première tant elle conditionne toutes les réformes qui pourraient être
envisagées. Sur ce point, vos propositions rejoignent celles que nous portons depuis plusieurs années.
L'alignement sur la moyenne des pays comparables au sein du Conseil de l'Europe (chiffres issus du
rapport 2020 de la CEPEJ : moyenne générale de 12 procureurs pour 100000 habitants, moyenne de
8 au sein du groupe C dont fait partie la France) nous paraît devoir être demandé comme un préalable,
surtout s'agissant du nombre de parquetiers puisque leurs attributions en France, comme vous le
relevez, sont plus nombreuses que dans bien d'autres pays européens.
La demande de 8 magistrats du parquet pour 100.000 habitants n'apparaît trop importante que si l'on conçoit l'exercice de l'action publique dans des conditions dégradées. Dans des conditions normales d'exercice, ce chiffre est adapté et devrait permettre de déployer par ailleurs d'autres actions ou de renforcer l'action des parquets dans certains contentieux délaissés.


Proposition n °3 : Efficacité et simplification de l'enquête et de la procédure pénale.
Nous partageons l'idée qu'un statut renouvelé et renforcé doit permettre d'accroître les pouvoirs des
magistrats du ministère public. Nous avons sur ce point fait des propositions dans le cadre des états
généraux de la justice.

Sans entrer dans des détails trop précis :

- Il ne nous semble pas qu'il faille abolir la distinction entre les différents types d'enquête. Ces
différents régimes sont sans doute source de complexité mais celle-ci est parfaitement
maîtrisée par les parquetiers et surtout, elle répond à une nécessité de proportionner les
réponses à des situations différentes. Ainsi, par exemple, le fait que les pouvoirs des
enquêteurs soient limités en matière d'enquête préliminaire nous paraît être une juste réponse
en matière de garantie des libertés.

- Votre proposition sur la capacité des magistrats du parquet à ordonner des mesures coercitives
rejoint celle que nous avons formulée lors des EGJ
. Elle est, à notre sens, la conséquence du
renforcement du statut.

- L'indisponibilité de l'action publique que vous semblez vouloir (hors covid) remettre en cause
nous paraît devoir s'inscrire dans une réforme plus vaste.
Revenir sur une décision de
poursuite est une décision lourde étrangère à l'organisation du parquet à la française, qui peut
avoir des répercussions personnelles et médiatiques importantes. Changer une règle
fondamentale de procédure pénale doit, à notre avis, se faire dans le cadre d'une remise à plat
du système.

- L'USM n'est pas opposée à l'attribution d'un pouvoir de « sanction » au parquet mais fixe
trois lignes
rouges : le procureur ne doit pas pouvoir prononcer une peine ; cette mesure ne
doit pas être inscrite au casier judiciaire ; cette mesure ne doit pas pouvoir constituer un
premier terme de récidive légale.

Proposition n °4 : Pas de justice pénale sans enquêteurs.

Nous ne sommes pas opposés à vos propositions en ce domaine. Toutefois, la première d'entre elles
nous semble devoir être le rattachement statutaire, structurel d'enquêteurs au procureur de la
République (voir point 3 de la réponse à votre première proposition). La double tutelle (préfet /
procureur) sur les FSI nous est défavorable et, de fait, il est très difficile d'imposer des axes de
politique pénale si celle-ci n'est pas en adéquation avec celle du préfet, voire du DDSP ou du
commandement de groupement de GD.


Proposition n°5 : La prévention ; la lutte contre la récidive.

Nous partageons vos constats sur ce point. On ne peut pas tout demander à la justice qui n'est pas en
charge de la politique de la ville, de la politique d'insertion, de la politique de rénovation urbaine, de
la politique d'emploi des jeunes, de la politique de santé publique, etc. Il nous semble qu'il faut
prendre garde à promettre plus que ce que l'on peut offrir, même à moyens renforcés. Un magistrat
n'est ni un psychiatre, ni un éducateur, ni un enseignant même si les partenariats dans ces matières
doivent naturellement associer encore davantage l'autorité judiciaire.
L'USM porte également une demande de partenariats interministériels renforcés en détention (santé,
éducation, travail et emploi).


Proposition n°6 : Les peines

Cette proposition tend à renverser (au moins de fait) le principe qui régit l'exécution des peines.
Depuis plusieurs années, les messages contradictoires envoyés par le pouvoir politique nuisent à la
lisibilité de notre action et à son efficacité. Quel sens peut bien recouvrer à quelques mois d'écart le
vote, d'une part, des peines dites plancher et, d'autre part, du principe de l'aménagement jusqu'à deux
ans d'emprisonnement ? Comment lire et appliquer de façon efficace les voltes face de la DACG sur
cette question en fonction de l'actualité ?

Tantôt les magistrats incarcèrent trop, tantôt ils sont laxistes.
Au fond cette proposition interroge la fabrique même de la loi. Quel est le but de la rédaction d'un
nouveau texte : une communication politique ou une efficacité renforcée de la justice pénale ?
Votre proposition permet une plus grande lisibilité de l'échelle et de la nature des peines.


L'aménagement systématique des peines fermes et, plus encore, la réitération de la saisine du juge
d'application des peines dénaturent et décrédibilisent le sens de la peine.
Il est difficilement entendable pour nos concitoyens qu'une peine de prison soit systématiquement ou
possiblement aménagée jusqu'à tel quantum. En revanche il faut prévoir une possibilité
d'aménagement dans certains cas limités.


Proposition n°7 : Les victimes.

La victime a aujourd'hui une place importante dans la procédure pénale française. Peut-être convientil d'interroger cette place et les raisons pour lesquelles les victimes ont pris cette importance.
Sur la question du soutien aux victimes, nous partageons votre souci de les voir mieux accompagnées.
Mais est-ce le rôle du procureur ? Avec un statut renouvelé garantissant indépendance et impartialité,
le procureur devrait, plus que jamais, se tenir à équidistance des parties. L'accompagnement,
l'information, le soutien des victimes ne devrait donc pas dépendre de lui au risque de compromettre
son positionnement. Le rôle du JUDEVI et son assistance par un contractuel pourraient être renforcés
à cette fin.

Propositions n°8 : Le périmètre du champ pénal.

Cette réflexion doit être engagée mais pas à l'aune des moyens que l'on pourrait ainsi débloquer à
effectifs constants. Il s'agit de s'interroger sur la pertinence de la pénalisation de certains secteurs
mais sans prendre comme critère l'efficacité ou l'inefficacité de la réponse pénale. Ainsi par exemple,
si la justice pénale n'est pas efficace pour lutter contre la délinquance en matière d'urbanisme, ce
n'est sans doute pas parce que ce secteur mérite d'être dépénalisé mais bien parce que les moyens
judiciaires manquent pour lutter correctement contre ces infractions.


La dépénalisation des infractions routières que vous citez s'agissant des primo-déliquants nous paraît
être une piste de réflexion intéressante. Pour notre part, nous pensons que ce contentieux pourrait être
transféré à une AAI présidée par un magistrat de l'ordre judiciaire.
Proposition n°9 : Le numérique.
Cette proposition n'est au fond qu'une déclinaison de la proposition n°2. Des moyens sont nécessaires
en général pour la justice et en particulier pour y développer le « numérique judiciaire ».
Sur cette question, nous avions fait trois propositions qui rejoignent au moins partiellement les
vôtres :

1. Les CLI doivent être de vrais informaticiens, recrutés et formés pour cela et travaillant à plein
temps au profit d'une juridiction au sein de laquelle ils sont physiquement installés et
disponibles.

Nos collègues ont en l'effet pris l'habitude devant l'absence, la lenteur ou la mauvaise qualité des
prestations informatiques fournies d'avoir recours au dépannage, à l'achat d'outils personnels afin de
pourvoir travailler. Cette situation est inadmissible, à plus forte raison lorsque l'on entame le virage
du numérique. Certains collègues attendent des mois le changement d'un ordinateur défectueux.
Parler de potentialités n'a dès lors que peu de sens...

La généralisation de la recherche de solutions aux problèmes informatiques en juridiction par la prise
de « tickets » auprès d'une assistance téléphonique qui prend la main à distance sur le matériel ne
peut constituer une bonne solution. En effet, cette assistance menée à distance ne peut pas résoudre
les innombrables petits ou grands soucis informatiques du quotidien. La rencontre physique régulière
entre le magistrat et un informaticien est la meilleure solution pour remédier, avec régularité et
application, aux problèmes rencontrés sur le terrain.


2. Des outils informatiques dédiés à l'exercice de nos fonctions doivent être développés.

Sans même qu'il soit besoin d'évoquer Word Perfect, les magistrats ne disposent pas d'outils dédiés à
la hauteur des enjeux de leur mission. Cassiopée est un logiciel inabouti et insuffisant et le traitement
des procédures numériques impose le développement d'un outil spécifique, confortable et efficace.
Ainsi dans l'optique de la dématérialisation des procédures, l'USM soutient le développement d'une
solution logicielle totalement intégrée et intuitive permettant en quelques clics seulement d'attribuer
un dossier, d'éditer un soit transmis ou une décision de poursuite incorporant la signature du magistrat
et transférant automatiquement au destinataire la procédure concernée accompagnée de la décision
du magistrat.

3. Le parc informatique doit être de bonne qualité et renouvelé tous les deux ans.


Ce taux de renouvellement limitera les pannes et les pertes de données et permettra aux collègues de
s'inscrire sereinement dans la justice numérique.


Proposition n °10 : La communication judiciaire.
Nous partageons vos constats sur ce point et encourageons la CNPR à venir au soutien de la
communication de l'USM lorsqu'elle défend l'institution ou des collègues mis en cause. Sur cette
question, l'action syndicale a plus que jamais un rôle crucial à jouer car sa parole est libre et que le
sérieux et la pondération de notre propos sont reconnus.


L'USM encourage par ailleurs les procureurs à communiquer sur les enquêtes en cours afin que la
presse ne se précipite pas vers des sources policières plus ou moins bien intentionnées. La
communication des parquets doit véritablement s'installer dans le paysage médiatique et les parquets
doivent bénéficier de moyens accrus à cette fin