Le maestro Valery Gergiev, proche de Poutine, sommé de condamner l'intervention russe.

Radio Classique - 25/02/2022 18:35:00

La direction de la Scala de Milan, où Valery Gergiev dirige depuis mercredi La Dame de Pique, exige que le chef d'orchestre russe fasse une déclaration officielle dans laquelle il devra prendre « une position précise » contre l'intervention militaire russe en Ukraine.

En Allemagne, le Philharmonique de Munich, dont il est le directeur musical, lui a lancé le même genre d'ultimatum et à New York, le Carnegie Hall l'a remplacé pour les 3 concerts qu'il devait diriger ce week-end.

Valery Gergiev a été hué et sifflé lors de la première de La Dame de Pique à Milan

« Nous proposons à La Scala La Dame de Pique dirigée par le Maestro Valery Gergiev qui a déclaré à plusieurs reprises sa proximité avec Vladimir Poutine. Avec le surintendant du théâtre (Dominque Meyer, ndlr) nous lui demandons de prendre une position précise contre cette invasion et s'il ne le fait pas nous serions contraints de renoncer à cette collaboration ». C'est le message que Beppe Sala, maire de Milan et président de la fondation Tetro alla Scala a adressé à Valery Gergiev

Lors de la première de l'opéra de Piotr Ilitch Tchaïkovski sur la scène de Piermarini, mercredi 23 février, quelques heures avant le début de l'offensive russe en Ukraine, une partie du public milanais a conspué le chef russe avant de laisser place au spectacle qui réunissait Julia Gertseva dans le rôle de la Comtesse, Alexey Markov dans celui du Prince Yeletsky et Asmik Grigorian, qui chantait Liza, accompagnés par l'orchestre et les choeurs de la Scala.La semaine dernière déjà, les syndicats d'employés de la Scala avaient écrit dans un communiqué : « Valery Gergiev n'a jamais perdu une occasion de réitérer sa proximité et son amitié avec le président russe Vladimir Poutine.

Il serait important que Gergiev, un homme de culture et, nous l'espérons, un homme de paix, envoie un message d'espoir et de paix à l'Italie et au monde ». La balle est désormais dans le camp de Valery Gergiev. S'il ne répond pas favorablement à cette demande il sera remplacé pour les 4 prochaines représentations prévues à la Scala du 5 au 13 mars.

Valery Gergiev face à un ultimatum à Munich et une déprogrammation au Carnegie Hall à NEW YORK


En Allemagne, Valery Gergiev risque encore plus gros. Le maire de Munich Dieter Reiter, qui supervise le Philharmonique de la ville dont le maestro russe est le directeur musical depuis 2015, menace de mettre un terme à son contrat s'il ne prend pas position d'ici le 28 février contre l'intervention militaire russe en Ukraine. À New-York, les dirigeants du Carnegie Hall ont décidé purement et simplement de remplacer Valery Gergiev le week-end prochain. C'est le chef canadien Yannick Nézet-Séguin qui le suppléera à la tête du Philharmonique de Vienne pour les 3 concerts programmés du 25 au 27 février. La participation au concert du 25 au Carnegie Hall du pianiste Denis Matsuev, membre du Conseil pour la culture auprès de Vladimir Poutine comme Valery Gergiev, a également été annulée.


QUI EST Valery GERGIEV


Valery Gergiev, à la fois chef d'orchestre et véritable bâtisseur, est un musicien hors norme. Directeur depuis plus de 30 ans du Théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, qu'il a remis au centre de l'échiquier mondial, il est, avec Simon Rattle, le chef incontournable de sa génération, ayant créé un nombre incalculable de festivals et de nouvelles salles, laissant une empreinte indélébile sur la vie musicale, notamment auprès des plus jeunes générations de chanteurs et solistes.


Valery Gergiev en 10 dates :

1953 : Naissance le 2 mai à Moscou de Valery Abisalovich Gergiev.
1976 : Finaliste du Concours Karajan de Berlin.
1981 : Devient chef principal de l'Orchestre Symphonique d'Etat d'Arménie.
1988 : Nommé directeur artistique du Kirov (renommé Théâtre Mariinski en 1991).
1995 : Chef principal de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam, poste occupé jusqu'en 2008.
1997 : Chef principal du Met de New York.
2007 : Commence son mandat comme chef principal du London Symphony Orchestra. Poste occupé jusqu'en 2015.
2010 : Préside pour la première fois le Comité d'organisation du Concours International Tchaïkovski de Moscou.
2013 : Le 2 mai, jour des 60 ans du chef, ouverture officielle du nouvel opéra Mariinski II.
Création mondiale du Gaucher, opéra de Chédrine.
Parution de son enregistrement La Walkyrie avec Jonas Kaufmann pour le label de disques « Mariinski ».
2015 : Devient directeur musical de l'Orchestre Philharmonique de Munich.


Les chefs d'orchestre Furtwängler et Mravinski sont les modèles de Valery Gergiev durant son adolescence
Valery Gergiev est né à Moscou, mais a grandi en Ossétie du nord, dans le Caucase, d'où sa famille est originaire. Il a raconté dans ses mémoires (Rencontre, Actes Sud, 2018), le souvenir « d'une nature intense, charriant une incroyable puissance », lui ayant permis de faire « des réserves d'énergie pour la vie entière ». Durant son enfance, explique-t-il encore, « tout était aigu, vivant.

L'existence semblait couler de source et [il s'est] laissé porter ». A huit ans, le jeune Gergiev débute ainsi l'apprentissage de la musique, mais ses professeurs le destinent plutôt aux mathématiques. Un drame terrible, la disparition soudaine de son père alors qu'il n'a que quatorze ans, le pousse à choisir : ce sera la musique. De Vladikavkaz, la capitale de l'Ossétie, il passe à Saint-Pétersbourg (alors appelé Leningrad).
Il souhaite devenir pianiste, mais il rencontre le meilleur professeur de direction d'orchestre de l'époque, Illya Moussine, et entre dans sa classe. Nous sommes en 1972 et Valery Gergiev est âgé de 18 ans. Au Conservatoire, il gagne sa vie en accompagnant les chanteurs au piano. Avec l'argent gagné, il achète des disques, notamment du chef allemand Wilhelm Furtwängler, qu'il vénère « pour sa fusion idéale du corps et de l'esprit ».

Il assiste aux concerts du Philharmonique de Leningrad, alors dirigé par Yvgueni Mravinski, son autre modèle.


Le Théâtre Mariinsky retrouve une envergure mondiale sous la direction de Valery Gergiev

Gergiev est en finale du Concours Karajan en 1976, et il pense alors devenir chef dans le domaine symphonique, mais, à nouveau, le destin frappe à sa porte : Yuri Temirkanov, le directeur de Théâtre Mariinski (alors appelé Kirov), lui propose d'être son assistant. Une proposition qui ne se refuse pas. En 1978, il débute dans Guerre et Paix, de Prokofiev, l'un des opéras les plus monumentaux du répertoire. « Responsabilité et démesure : mon destin était scellé », commente-t-il dans Rencontre. En 1988, Mravinsky meurt et Temirkanov prend sa succession à l'Orchestre philharmonique. La place est libre pour Gergiev, qui est nommé Directeur artistique du Théâtre Mariinsky, puis Directeur général quelques années plus tard.

Il obtient les pleins pouvoirs alors que l'URSS se désagrège. Pendant ces premières années, la situation est très difficile et l'Opéra possède à peine de quoi payer son électricité. Très entreprenant, Gergiev réforme le théâtre, créé de nouveaux cycles autour des grands compositeurs russes (Moussorgski, Rimski-Korsakov...), des festivals dont les désormais célèbres « Nuits blanches de Saint-Pétersbourg », une académie de jeunes chanteurs, et projette la troupe hors de Russie, avec un immense succès.

Lui-même, comme chef invité ou directeur musical, prend des positions importantes en Europe, en Asie et aux Etats-Unis, toujours au service du rayonnement de sa troupe et de son théâtre. A la même époque, son contrat discographique avec Philips permet au monde entier de découvrir une grande personnalité musicale. Des enregistrements tels ceux de Roméo et Juliette de Prokofiev ou de La Dame de Pique de Tchaïkovski révèlent une direction d'une grande précision, attentive aux sonorités et aux climats, porté par un sens dramatique hors du commun. Gergiev est à part et s'impose, à la suite de Mravinski, Temirkanov et Svetlanov, comme la grande personnalité musicale russe de l'après URSS.

Malgré les polémiques, Valery Gergiev poursuit son oeuvre de bâtisseur
Suite à ses triomphes au Met de New York ou au Festival de Salzbourg, en Autriche, Valery Gergiev devient dès les années 2000 une personnalité incontournable du monde musical, l'une des rares à avoir une audience réellement mondiale. Il ne laisse aucun critique indifférent. Son charisme fascine, mais on lui reproche sa suractivité et son manque de constance. Devenu l'un des symboles de la Russie de Vladimir Poutine, qu'il a connu jeune à la mairie de Saint-Pétersbourg, Gergiev dérange. En véritable tsar de la musique, il poursuit sans coup férir sa carrière de bâtisseur. Aux nombreux festivals, à Moscou, en Sibérie ou ailleurs, s'ajoutent de nouvelles salles, à Saint-Pétersbourg (Salle de concert du Mariinski, nouvel opéra Mariinski II jouxtant la salle historique), à Vladivostok ou à Munich, où il a succédé à Lorin Maazel à la tête de l'Orchestre Philharmonique de la ville en 2015.

Il créé aussi des labels discographiques pour chacun de ses orchestres. Sa discographie est pléthorique. Comme Karajan, Gergiev est devenu un empire. Il ajoute à ses fonctions la direction musicale du Festival de Verbier en Suisse, la présidence du Concours Tchaïkovski de Moscou - dont il a redoré le blason, révélant notamment les pianistes Daniil Trifonov et Lucas Debargue. Très attentif aux jeunes générations, Gergiev porte sous son aile un nombre important de solistes et chanteurs, d'Anna Netrekbo qu'il a formée, à Jonas Kaufmann avec qui il enregistre le Ring, Lang Lang, Daniel Lozakovitch et bien d'autres. L'Orchestre du Théâtre Mariinski, qu'il façonne depuis plus de 30 ans, a acquis sous sa direction une flexibilité et une beauté de son inouïe.


Avec 150 opéras à son répertoire et plus de 8000 concerts dirigés, Valery Gergiev se place d'ores et déjà comme un géant de la musique
Il restera comme un musicien hors-norme, au répertoire immense (150 opéras figurent à son répertoire). En 2021, il a déjà dirigé plus de 8000 concerts et opéras, avec 185 formations différentes, dont plus de 200 avec le Philharmonique de Vienne, 200 fois la Symphonie « Pathétique » de Tchaïkovski, plus de 350 représentations de Wagner ou une douzaine de créations du compositeur Rodion Chédrine. « Si avec le temps je me suis bonifié en quelque chose, conclut-il dans Rencontre, ce n'est pas parce j'ai gagné en âge, mais parce que j'ai passé plus de temps avec Mozart, Wagner, Tchaïkovski et Chostakovitch : en leur compagnie, je ne peux que grandir. Le public aussi ».