Ukraine : Analyse sur les incendies dans la zone d'exclusion de Tchernobyl et les dommages infligés à l'alimentation électrique externe de Zaporizhzhya

IRSN - Institut de Radioprotection et Sureté Nucléaire - 28/03/2022 14:20:00

Ukraine : Point de situation sur les incendies dans la zone d'exclusion de Tchernobyl

Situation actuelle

L'autorité de sûreté ukrainienne SNRIU a indiqué dans un communiqué du 21 mars 2022 que des feux de forêt étaient en cours dans la zone d'exclusion de Tchernobyl depuis le 11 mars 2022, essentiellement dans les parties centre et ouest de la zone d'exclusion créée à la suite de l'accident de 1986. L'AIEA a également été informée par SNRIU (cf. Update 30 - IAEA Director General Statement on Situation in Ukraine).


Retour d'expérience


Des incendies de grande ampleur se produisent chaque année en Russie, Biélorussie et Ukraine. Certains d'entre eux affectent les territoires contaminés par l'accident de Tchernobyl. Lors de ces évènements, les masses d'air peuvent se charger en radioactivité et se déplacer vers l'Europe de l'Ouest et la France comme par exemple en 2002, 2010 et 2020.


À la suite de l'accident de Tchernobyl, le bois des arbres et la litière (couche de feuilles tombées au fil des années) sur les territoires contaminés de Biélorussie, d'Ukraine et de Russie tendent à stocker les radionucléides initialement déposés sur le sol et absorbés par les racines. En cas de combustion, ces radionucléides peuvent être pour partie libérés dans les fumées et ainsi conduire à une contamination de l'air. Ce phénomène peut concerner particulièrement le césium 137, principal radionucléide dispersé en Europe lors de l'accident de Tchernobyl et encore mesurable aujourd'hui.


Il est à noter que ces événements se traduisent jusqu'à présent par de très faibles élévations d'activité dans l'air, qui ne peuvent être mesurées en France qu'à l'aide des stations de prélèvement d'aérosols du réseau OPERA-Air de l'IRSN, dont les filtres font l'objet de mesures par des techniques de laboratoire de haute performance permettant de mesurer d'infimes traces de radioactivité. Lors de l'épisode d'avril 2020, seules neuf mesures réalisées sur ces stations en France pouvaient être considérées comme supérieures au bruit de fond habituellement constaté (de l'ordre de 0,1 µBq/m3 sur le territoire français), avec des activités néanmoins très faibles comprises entre 0,51 ± 0,20 µBq/m3 d'air (Fessenheim) et 1,31 ± 0,24 µBq/m3 d'air (Cadarache). Les autres pays européens et l'Ukraine ont également détecté à cette occasion l'impact des incendies. Dans la zone d'exclusion de Tchernobyl, les activités ont ainsi pu atteindre ponctuellement plusieurs mBq/m3 de césium 137.


Les sondes de surveillance du débit équivalent de dose (DeD) dans la zone d'exclusion, gérées par l'entreprise d'Etat ukrainienne Ecocentre, ainsi que celles à proximité des réacteurs de Tchernobyl (dont le réacteur 4 accidenté en 1986), gérées par l'opérateur du site, ne sont plus actives depuis fin février 2022 du fait du conflit en cours. Elles ne sont donc pas en mesure de fournir des données quant à la radioactivité dans la zone.


La balise du réseau national ukrainien, situées dans la ville de Tchernobyl, a quant à elle continué de transmettre des données de façon irrégulière, compte tenu des problèmes d'alimentation électrique de la zone. Jusqu'au 18 mars dernier, date de la dernière transmission pour cette balise de la moyenne horaire du DeD sur 24 h, aucune élévation anormale de la radioactivité n'était relevée.

La carte ci-dessous présente les sondes des réseaux nationaux biélorusse et ukrainien transmettant des données à la plateforme européenne EURDEP (moyenne du DeD sur 24 h) dans les 200 km autour du site de Pripyat. Ces sondes ne présentent pas non plus d'augmentation significative du DeD sur la période du 11 au 18 mars 2022, avec des fluctuations locales systématiquement inférieures à 50 nSv/h.


Carte des sondes des réseaux nationaux biélorusse et ukrainien transmettant des données à la plateforme européenne EURDEP dans l

Carte des sondes des réseaux nationaux biélorusse et ukrainien transmettant des données à la plateforme européenne EURDEP dans les 200 km autour du site de Pripyat.


SNRIU a par ailleurs informé l'AIEA que de très légères augmentations des niveaux de césium 137 dans l'air avaient été détectées à Kiev et par les surveillances radiologiques des centrales de Rovno et Khmelnitsky, à l'ouest du pays, tout en précisant que ces détections ne posaient pas de problème radiologique.


Les mesures des filtres aérosols des autres pays européens disponibles à cette heure dans la plateforme EURDEP ne mettent pas en lumière d'élévation locale significative des niveaux d'activité du césium 137 dans l'air (voir tableau ci-après).


Les filtres du réseau national OPERA-Air de l'IRSN pour la période concernée sont analysés au fur et à mesure de leur réception.

Dispositions prévues en cas de perte totale des alimentations électriques externes de la centrale de Zaporizhzhya en Ukraine

Les six réacteurs de la centrale électronucléaire de Zaporizhzhya sont des réacteurs de conception russe de type VVER 1000. Sur la base des informations disponibles auprès de l'AIEA, l'état des réacteurs est le suivant :

les réacteurs 2 et 4 fonctionnent ;
le réacteur 1 est à l'arrêt pour maintenance depuis le 27 février 2022 ;
le réacteur 3 est en arrêt à froid1 depuis le 4 mars 2022 ;
les réacteurs 5 et 6 sont en arrêt à froid depuis le 25 février 2022.

Les coeurs des réacteurs en arrêt à froid n'ont pas été déchargés.

La centrale est actuellement connectée au réseau électrique ukrainien par deux des quatre lignes de 750 kV prévues. En effet deux lignes sont actuellement indisponibles à la suite des combats ; une troisième a été temporairement indisponible mais réparée le 18 mars 2022 dans la soirée. La centrale est également reliée au réseau ukrainien de 330 kV, sur lequel sont connectées, à proximité, la centrale thermique de Zaporizhzhya et les centrales hydroélectriques de Dnipro et Kakhovka. Cette ligne de 330 kV est actuellement disponible.
La centrale électronucléaire de Zaporizhzhya fournit de l'électricité au réseau électrique ukrainien mais lorsque ses réacteurs sont à l'arrêt, le réseau électrique ukrainien lui fournit l'alimentation électrique nécessaire à ses systèmes de surveillance et de sauvegarde. La disponibilité de ces alimentations électriques externes présente donc un enjeu important pour assurer la sûreté des réacteurs.

Moyens de gestion d'une perte totale des alimentations électriques externes

En cas de perte totale du réseau électrique externe (750 kV et 330 kV), les réacteurs en fonctionnement pourraient continuer à produire l'électricité nécessaire aux six réacteurs de la centrale de Zaporizhzhya, sous réserve qu'un réacteur au moins réussisse un « transitoire d'ilotage »2.

En cas d'échec de l'ilotage de tous les réacteurs du site, chaque réacteur dispose de trois groupes électrogènes de secours (6,6 kV). En effet, chaque réacteur dispose de trois trains de systèmes de sauvegarde, indépendants, un seul train étant suffisant pour stabiliser le réacteur. Ainsi, un seul groupe électrogène est suffisant pour maintenir le réacteur dans un état sûr. La redondance des groupes électrogènes apporte une certaine garantie sur la stabilisation des réacteurs. En outre, deux groupes électrogènes, protégés contre les agressions et les actes de malveillance (bunkerisés), sont également présents sur le site.
Chaque diesel dispose d'un réservoir de carburant lui procurant une autonomie estimée à une semaine par l'exploitant du site. Au-delà, les réservoirs de carburant devront être réalimentés.

Cette situation favorable ne doit pas occulter les risques de défaillance intrinsèque de certains groupes électrogènes dont le fonctionnement long terme dépasserait vraisemblablement le cadre de leurs tests périodiques (sans doute quelques heures) et pourrait générer des problèmes non connus de l'exploitant.
La défaillance de plusieurs groupes électrogènes de secours ne pourrait donc pas être exclue avant épuisement des réserves de carburant. Pour éviter cette situation, la restauration d'une alimentation électrique externe (330 kV ou 750 kV) serait activement recherchée par les équipes du site.

A la suite des tests de résistance européens (stress tests) réalisés après l'accident de la centrale de Fukushima Daiichi, chaque réacteur possède également des équipements mobiles pour gérer la défaillance totale des alimentations électriques internes et externes, notamment :
une pompe thermique mobile autonome (camion) assurant une alimentation en eau des générateurs de vapeur qui sont capables de refroidir le coeur du réacteur, à partir de réserves d'eau multiples ;
une pompe thermique mobile autonome (camion) assurant une injection d'eau dans la piscine d'entreposage des assemblages de combustible pour compenser les pertes d'eau par ébullition, à partir de réserves d'eau multiples ;
un groupe électrogène mobile (camion) permettant l'alimentation électrique de certains équipements : instrumentation, contrôle-commande, pompes d'injection d'eau borée à haute pression dans le circuit primaire, pompes du circuit de refroidissement de la piscine de désactivation du combustible, système d'air comprimé, conditionnement thermique de la salle de commande, organes de contrôle de la pression des circuits primaire et secondaire.

Ces équipements ont une autonomie en carburant de trois jours. Cette autonomie s'ajoute à l'autonomie de sept jours apportée par les équipements fixes. Les équipes du site ont été entrainées à la mise en oeuvre de ces moyens mobiles.

Conclusion

Sur la base des informations disponibles à l'IRSN, les moyens prévus sur la centrale de Zaporizhzhya permettraient aux équipes du site, en cas d'échec du transitoire d'ilotage, de faire face à une situation de perte totale des alimentations électriques externes pour une durée d'au moins 10 jours. Cette conclusion est sous réserve de la fiabilité des équipements mis en oeuvre, de leur approvisionnement initial en carburant, de la disponibilité des équipes et de l'absence d'autres facteurs qui pourraient aggraver la situation.


1 Les réacteurs 3, 5 et 6 pourraient être redémarrés si le réseau électrique ukrainien avait besoin de plus de puissance. La consommation électrique en Ukraine est actuellement réduite du fait du conflit en cours.
2 Après le transitoire d'ilotage, l'alimentation électrique d'un réacteur est assurée directement par son alternateur principal et non plus par le réseau électrique externe.