Grotte de la Licorne, le récit d'une découverte exceptionnelle

Roselyne Bachelot - Ministère de la Culture - 01/04/2022 16:30:00

C'est au cours d'une simple opération de voirie que quatre spéléologues mettent à jour un réseau de cavités datant de l'âge du Bronze. Récit d'une découverte archéologique exceptionnelle : la grotte de la Licorne.

« Tu vois ce que je vois ? » Lorsque Michaël Courtois et Danielle Doucet, deux des quatre spéléologues de l'association de recherches spéléologiques de La Rochefoucauld-en-Angoumois, une petite commune de Charente (Nouvelle-Aquitaine), racontent leur découverte - une grotte datant de l'âge du Bronze - on partage leur émotion. Une émotion comparable, toute proportion gardée, à celle des inventeurs d'une cavité mythique inscrite dans la mémoire collective : la grotte de Lascaux.

Une banale opération de voirie

Tout commence par une banale opération de voirie dans la commune de La Rochefoucauld, zone connue pour ses phénomènes karstiques (affaissements, voire effondrements, provoqués par l'érosion de parois friables). « Un soir, je suis passé après le travail, se souvient Michaël Courtois, président de l'association, un courant d'air sortait d'une fissure dans la roche, ce qui est un signe annonciateur d'un tel phénomène. Le lendemain, la mairie nous a autorisés à faire des recherches. Nous avons commencé par désobstruer la cavité. On était loin d'imaginer ce qui nous attendait au bout... »

« Nous étions dans une petite diaclase [une fissure de terrain], reprend Danielle Doucet, bouchée au fond par de la calcite. On a agrandi un passage et on est arrivé dans une cavité qui avait l'air un peu plus vaste. C'était un balcon en haut d'une salle. De là où nous étions, on voyait que la salle avait de belles proportions. Puis, on entend les exclamations d'un collègue, qui était descendu sur une corde : il avait vu des ossements, puis des poteries. La suite est tout simplement incroyable ».

Michaël Courtois reste, aujourd'hui encore, impressionné par l'état de conservation exceptionnel des vestiges : « Il y avait des poteries et des sépultures entières. Nous étions littéralement scotchés, nous passions par tous les états ». Y compris, à côté de la joie et de la sidération, par de l'inquiétude. « Nous avions peur d'en faire trop », reconnaît-il. Aveu qui fait rejaillir le souvenir de cette séquence de Fellini Roma quand le percement du métro de Rome dévoile soudain des fresques qui apparaissent aussi rapidement qu'elles disparaissent à cause de l'air qui entre dans la cavité.

Un premier spéléologue aperçoit des ossements, puis des poteries. La suite est tout simplement incroyable...

Une découverte fortuite
Sitôt sortis, les quatre spéléologues s'empressent de faire une déclaration de découverte fortuite. Une déclaration collective, au nom du club de spéléologie, et « non de tel ou tel », précise Michaël Courtois. Après la découverte, ils ne cessent, les jours suivants, de se parler au téléphone ou en visioconférence. « Nous n'avons pas vu immédiatement que l'on était en présence d'un trésor », reconnaît Danielle Doucet, mais en raison de la quantité de vestiges sur leur chemin - os, crânes humains, poteries, charbons... - tout allait dans ce sens jusqu'à ce point de bascule : la découverte de la salle du porche. « Quand on est arrivés en haut et qu'on a vu la sépulture avec tous ces petits pots en bulbe, cela ne faisait plus de doute ».

Pour autant, la découverte la plus impressionnante - et la plus émouvante - reste, pour cette passionnée de spéléologie, celle des « petits pas ». « Nous avons vu de nombreuses traces de pas inscrites à même le sol sous forme de concrétions. Vu leur nombre relativement important, nous avons décidé de poser nos pas sur ces traces, ce qu'on ne fait jamais, naturellement. Je venais d'entrer dans un diverticule, quand soudain, me retournant, j'ai baissé les yeux : j'avais les traces à mes pieds. Pour ne pas risquer de les endommager, j'ai posé mes pieds sur la paroi. C'était des traces de pieds d'enfant », dit-elle.

Préserver le site

Aujourd'hui, la nécessité de préserver le site marque - temporairement, bien sûr - le coup d'arrêt de son exploration. Les deux spéléologues, bien qu'un peu « frustrés », le comprennent parfaitement. L'essentiel est ailleurs. « Nous sommes heureux d'avoir participé à une découverte de cette ampleur, dit Michaël Courtois, ce que nous souhaitons à présent, c'est continuer à être mis dans la boucle des informations, à être impliqués dans le processus ». Danielle Doucet abonde : « Il y a encore des choses à faire dans la cavité, les archéologues ont besoin de nous, comme nous avons besoin d'eux, je sais que nous allons continuer à travailler ensemble ». Et ils peuvent à présent parler de leur extraordinaire découverte : « Au départ, c'était motus et bouche cousue. J'ai un fils de dix ans, je peux enfin en parler à la maison », dit Michaël Courtois.

Héloïse Bricchi-Duhem, conservatrice du patrimoine en charge de la Charente au service régional de l'archéologie à la Direction régionale des affaires culturelles de Nouvelle-Aquitaine, a découvert la grotte aux côtés des deux spéléologues lors de la première mission d'expertise. « C'est irréel de voir un vestige archéologique dans cet état, s'enthousiasme-t-elle. On a le sentiment que les gens qui fréquentaient cette cavité sont partis il y a deux semaines. C'était formidable d'échanger avec les spéléologues. Ils revivaient, à travers nos yeux de scientifiques, leur émotion de découvreurs ».

« Pour que l'on découvre une telle grotte en si peu de temps, c'est que tous les voyants étaient au vert, que tout était aligné, c'était notre jour », conclut Michaël Courtois.

Un réseau de grottes occupé à l'âge du Bronze
La découverte d'un réseau impressionnant de cavités dans la commune de La Rochefoucauld-en-Angoumois, en Charente, a révélé l'existence d'une des plus vastes grottes sépulcrales connues à ce jour en France : le réseau de la Licorne.

Une première expertise a été diligentée début avril 2021 par le Service régional de l'Archéologie (SRA) de la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC) de Nouvelle-Aquitaine. Les premières constatations confirment l'importance de la découverte et sa très probable datation à l'âge du Bronze (2 200 - 800 avant Jésus-Christ). Une seconde expertise réunissant des protohistoriens s'est déroulée en juin 2021 pour documenter l'impressionnant contenu archéologique découvert et confirmer sa datation.

Cumulant plus d'un kilomètre linéaire de galeries sous presque vingt mètres de profondeur, cette découverte revêt un caractère exceptionnel. La priorité pour le ministère de la Culture est de préserver ce site d'une très grande fragilité. Cela suppose de comprendre les conditions environnementales qui ont permis la conservation de ce site vieux de 3 à 4 millénaires, afin d'être capables de les maintenir.