Entretien avec Marie-George Buffet Présidente du comité exécutif de la fondation Hand'Solidaire et ancienne Ministre des Sports

FFH - Fédération Française de Handball - 26/12/2022 17:15:00


Ministre des Sports entre 1997 et 2002, Marie-George Buffet est la présidente du comité exécutif de la fondation Hand'Solidaire qui a oeuvré au rapatriement, dimanche soir, de cinq joueuses de l'équipe nationale d'Afghanistan et de leur famille cloitrées jusqu'à présent, à Islamabad au Pakistan, après avoir fui le régime des talibans.

Comment s'est passé le rapatriement des joueuses afghanes et de leur famille, dimanche soir à l'aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle ?

Je n'étais pas sur place, mais il s'est parfaitement déroulé. Elles vont demeurer quelques jours à la Maison du Handball, puis seront ensuite hébergées à la Maison de l'Amitié de la commune de Stains. Elles vont bénéficier d'un suivi indispensable à leur adaptation. C'est difficile pour tout le monde parce qu'elles ne pratiquent pas notre langue, et que nous ne connaissons pas leurs besoins. D'ici quelques jours, elles auront envie de raconter, dire des choses, et nous pourrons alors essayer de trouver des solutions pérennes pour chaque couple. Des élus, des associations de la Seine-Saint-Denis sont mobilisés pour leur venir en aide.

Quelle a été votre implication dans ce dossier ?

Franchement, ça a été une très longue bataille. Je suis intervenue auprès du Ministère de l'Europe et des Affaire étrangères et du Ministère de l'Intérieur, du Ministère des Sports. Le ministère des sports et des JOP a été en soutien, en relais de nos demandes, depuis le début. Philippe Bana, le président de la FFHandball s'est lui aussi énormément impliqué auprès des services de l'Elysée. La situation au Pakistan est extrêmement difficile, l'ambassade en surcharge de demandes de visas, et les actions conjuguées ont demandé du temps, beaucoup de temps.

Vous êtes la présidente du comité exécutif de Hand'Solidaire qui s'engage sur les sujets sociétaux auxquels le handball peut être confronté. Quel rôle a joué la Fondation ?

Hand'Solidaire a aidé ces joueuses financièrement, elle les a soutenues, aussi, tout au long des démarches. Elles sont depuis de nombreuses semaines dans une très grande fragilité et ce soutien de la Fondation était un espoir auquel elles se sont accrochées.

Depuis combien de temps travailliez-vous sur ce dossier ?

Depuis des semaines et des semaines. Ces familles afghanes savaient que leur situation était suivie. Au total, sur 14 demandes, 13 se sont vues délivrer l''asile et la 14ème est en cours de traitement, en bonne voie. C'est un résultat inespéré au vu des nombreuses demandes qui ne peuvent malheureusement pas toutes être satisfaites. Cette issue heureuse n'aurait pu intervenir sans la convergence des bonnes volontés, tant côté Etat que du côté des associations ou encore du Parlement.
Un visa a été refusé à cause d'un passeport qui n'était pas valide. Mais le combat n'est pas terminé. D'autres sportives sont également menacées.

Le plus dur n'est-il pas à venir ?
Le plus grand défi, oui, commence aujourd'hui. Nous devons les accompagner pour réussir leur vie de femme pleinement. Pour qu'elles soient, demain, des actrices importantes de la démocratie. J'étais récemment au Sénat avec des femmes afghanes qui ont fui lors de la première prise de pouvoir des talibans entre 1996 et 2001. A l'initiative de Shoukria Haidar, elles ont créé NEGAR, une association qui soutient et encourage le combat des femmes afghanes et répond à leurs messages de détresse.

C'est votre éternel désir de justice sociale ?

Bien sûr. De justice sociale et de combat féministe. J'ai créé une association qui s'appelle Femmes ici et là-bas pour assurer la pratique sportive aux femmes, à toutes les femmes. En France, trop de jeunes filles abandonnent la pratique sportive à la puberté ou à cause de contraintes familiales. J'ai animé de nombreux débats à ce sujet lors du dernier trimestre. Il faut un encadrement des clubs, des éducateurs formés à la transformation des corps et les problématiques qu'elles génèrent.

Vous dites que chaque individu, où qu'il naisse, a le droit à la même chose, et que l'école, est le chemin pour se construire. Qu'il faut accueillir ces hommes et ces femmes qui fuient des situations de guerre ou de misère, partager avec eux les richesses produites par la France, et donner l'école publique à leurs enfants.
Bien sûr. Tout enfant a le droit, c'est même une obligation, à l'école publique. Elle seule permet aux hommes et aux femmes de s'intégrer, d'être des citoyens de notre République.

Vous dites aussi que la liberté doit être personnelle, individuelle, mais qu'elle doit se partager.
Il faut les mêmes libertés, les mêmes droits pour tous les citoyens de notre République. Droit à un toit, à la santé, l'éducation. Nous allons déposer des demandes d'asile pour que ces personnes puissent s'installer de façon durable. Certaines espèrent retourner un jour en Afghanistan. D'autres vont se reconstruire chez nous, avec nous.

L'intervention auprès de Gérald Darmanin de la députée communiste Soumya Bourouaha le 15 novembre dernier semble avoir été un élément déterminant des tractations.

Oui, parce que même si la réponse de Gérald Darmanin était un peu floue, elle était publique et elle a permis de clore favorablement la procédure. Je souhaite cependant rappeler la mobilisation de tous les acteurs, y compris du côté de l'Etat dès lors que nous les avons saisis, nos interventions ont été plus efficaces, les coups de fil plus productifs.

Dès le 21 octobre, jour de la saisine de la ministre des sports et des JOP par le Président de la FFHandball, le ministère des sports et des JOP s'est mobilisé aux côtés de la FFHandball, tant après du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères pour faire accélérer le traitement des dossiers de demande de visas, qu'auprès du ministère de l'intérieur et des outre-mer pour signaler la grande vulnérabilité de la situation des sportives afghanes, notamment du fait de leur condition de femmes, et l'importance de les soutenir au nom des valeurs d'inclusion du sport. Le MEAE et le MIOM ont tout de suite été convaincus de l'urgence de la situation et se sont efforcés d'accélérer les procédures de traitement et d'avoir une attention particulière sur le dossier.

C'est ainsi que Gérald Darmanin déjà fortement sensibilisé par le MSJOP, a donné son accord à la délivrance des visas asile des handballeuses afghanes devant le Parlement le 15 novembre dernier, suite à la question de la députée communiste Soumya Bourouaha

Emmanuel Macron, le 16 août 2021, avait promis l'aide de la France à celles et ceux qui seraient parmi les plus menacés. Pourquoi un tel délai a-t-il été nécessaire ?
Les joueuses afghanes figuraient sur une liste, l'ambassade avait enregistré leurs demandes et procédé aux entretiens de rigueur, mais il a fallu toute la mobilisation de la FFHandball, de Monsieur Philippe Bana, président, de Béatrice Barbusse, la vice-présidente déléguée, de Madame Georgine Delplanque-Kuntz, assistante du président, et du MSJOP.

Soraya Karimi, la capitaine de la sélection afghane qui avait, elle, obtenu un visa au printemps dernier a-t-elle joué un rôle ?
Pas à notre niveau, mais elle est restée en contact permanent avec ses coéquipières.

Et Fahima Kawoon, la journaliste et défenseuse des droits humains, réfugiée en France ?
Elle était en contact avec Madame Iannetta, membre du comité exécutif de Hand'Solidaire, et a apporté son soutien aux démarches.

On imagine qu'elles vivaient, avant dimanche, dans une grande précarité, dans l'anxiété permanente ?
Oui, elles vivaient dans des hôtels pas toujours salubres, dans cette incertitude déstabilisante. Je ne les ai pas encore rencontrées, mais dès que je vais rentrer à Paris, j'irai échanger avec elles pour mieux répondre à leurs angoisses.

L'Afghanistan a durci ses lois envers les femmes depuis le retour des talibans en août 2021. Le simple fait de travailler, de parler aux hommes, de se maquiller, de sortir seule, à visage découvert, est considéré comme illicite. L'accès aux salles de sport est même interdit depuis le 13 novembre dernier.
Honnêtement, la vision des talibans élimine la femme de tout espace public. La fille est destinée à être une épouse pour faire des enfants. On la réduit à un rôle primaire alors que les femmes afghanes avaient connu un moment de liberté accrue, avec l'accès aux études notamment.

Mujibul Rahmat, un prédicateur a appelé à lapider à mort les athlètes, qualifiées de femmes sans dignité. On imagine que la défenseuse des droits humains que vous êtes ne peut rester insensible.
Évidemment. Il faut d'ailleurs souligner l'immense courage de ces femmes parfois une vingtaine, une trentaine, qui continuent à descendre dans la rue pour faire entendre leurs droits. Elles me font penser à ce mouvement qui se poursuit en Iran. Arracher leur foulard, c'est une idée de liberté de leur corps, de présence dans l'espace public. Les deux combats se rejoignent.

Le 19 avril 2021, Nouria Tabesh, une autre joueuse, a été abattu chez elle à Sar-é Pol. Comment est-ce encore possible de nos jours ?
Parce que des fanatiques ont arraché le pouvoir et n'ont aucune règle, aucune limite dans leurs méthodes répressives. En Afghanistan, les talibans soulevait les robes longues pour voir si les filles portaient ou non des jeans, et les tapaient avec un bâton. On doit apporter toute notre solidarité au combat des femmes afghanes, il faut que les états se fassent entendre. Malheureusement, je trouve que la solidarité internationale n'est pas très audible aujourd'hui.

Vous ne cesserez jamais de vous battre pour changer notre société ?
Jamais. Il m'arrive parfois d'être découragée. Et puis il se passe quelque chose qui va raviver la flamme et me révolter.

La France est celle des droits des êtres humains. Mais est-elle si modèle que ça ?
Dans les valeurs qu'elle porte, oui. Mais dans leur effectivité, non. Le droit à un toit n'est pas assuré pour des milliers d'individus. Des centaines de milliers de personnes n'ont plus de médecins traitants et aucun accès à la santé. Le droit des femmes, avec des formes de violences qui s'exercent toujours, une domination patriarcale notamment, n'est toujours pas acquis. Il faut une mobilisation des mondes syndical, politique, associatif, parce que le combat doit être permanent.

Service communication de la FFHandball.