Handicap : le cinéma pour tous avec les séances "Ciné Relax"

CNC - Centre national du cinéma et de l'image animée - 16/01/2023 11:45:00


Applaudir, vocaliser son ressenti ou se déplacer à sa guise dans les allées n'est traditionnellement pas admis au cinéma ou au spectacle. De fait, les personnes autistes, polyhandicapées ou, plus largement, celles dont le handicap entraîne des comportements atypiques, ont difficilement accès aux loisirs ordinaires. Avec son dispositif Ciné Relax, l'association Culture Relax (ex Ciné-ma différence) leur permet de voir des films, en salles, au côté du grand public. Amar Nafa, son délégué général, revient sur la genèse et les ambitions de ces séances partagées nées en 2005.

Comment est né ce dispositif ?

L'idée d'organiser des séances de cinéma partagées a vu le jour en 2005, à l'initiative de parents concernés par le handicap de leurs enfants. Pour se rendre au cinéma, il leur fallait affronter non pas des problèmes pratiques (existe-t-il un ascenseur ou une rampe d'accès ?) mais les comportements atypiques entraînés par le handicap de leurs enfants : ces derniers verbalisaient, vocalisaient ou avaient besoin de bouger pendant la séance. Quand ils tentaient d'aller au cinéma, ils se heurtaient à l'exaspération et au regard des autres spectateurs - des regards de pitié ou pire des regards agressifs. Ils se sont donc mis à réfléchir aux moyens d'avoir, eux aussi, le droit de faire cette sortie banale pour la plupart des gens. C'est de cette manière qu'est né Ciné-ma différence. Le dispositif (ndlr : qui a pris le nom, cette année, de Ciné Relax) a été mis en place pour la première fois au cinéma L'Entrepôt dans le 14e arrondissement de Paris. Le slogan des premières séances était alors « La norme c'est nous ». Et je trouve qu'il résumait assez bien le fait que, durant ces projections, il est explicitement dit que chacun peut vivre le film et ses émotions à sa façon. On peut donc vocaliser son ressenti, on a le droit d'applaudir, de se lever et même de marcher dans la salle.

La particularité de ces séances réside dans le fait qu'elles ne sont pas réservées aux personnes en situation de handicap...

Effectivement. Il s'agit de séances ordinaires que nous rendons accessibles aux personnes en situation de handicap. Le public habituel du cinéma peut y assister. Par ailleurs, on ne cible pas un type de handicap particulier dans le but de suivre la même logique d'inclusion. Les aménagements proposés doivent pouvoir bénéficier à tout le monde. Outre l'assouplissement des codes, ces séances reposent beaucoup sur l'accompagnement humain. Il y a un personnel d'encadrement formé au handicap. Il prévient les spectateurs des règles particulières de la séance et les accompagne selon leurs besoins (éclairer une sortie de salle, donner le bras pour s'asseoir...). Ces encadrants s'assurent que tout se passe pour le mieux.


Durant les projections, chacun peut vivre le film et ses émotions à sa façon. On peut donc vocaliser son ressenti, on a le droit d'applaudir, de se lever et même de marcher dans la salle.
Combien de séances proposez-vous par an ?

En 2019, nous avons proposé 419 séances sur l'année. On devrait atteindre à nouveau les 400 séances à la fin de ce mois de décembre. Depuis 2005, ce dispositif représente en tout près de 3 000 séances avec plus de 200 000 spectateurs.

Proposez-vous des aménagements techniques spécifiques relatifs aux handicaps des publics que vous accueillez ?

Oui. Tout d'abord, il n'y a pas de publicités ou de bandes-annonces avant le film. Tout simplement parce que certains spectateurs peuvent rencontrer des difficultés de concentration ou de focalisation. On ne propose donc que le film. Les oeuvres sont aussi diffusées en version française, puisque tous n'ont pas accès à la lecture. Enfin, le volume du son est réglé plus bas que la normale afin de ne pas gêner les personnes atteintes d'hyperacousie.


Pour les personnes en situation de handicap et leurs accompagnants ces séances ont un goût de normalité : ils vont désormais au cinéma comme tout le monde. Avec tout le monde. Ces spectateurs n'ont plus à justifier leur présence ou à s'excuser d'exister.
Quel type de film projetez-vous ?

L'idée est de toucher tous les publics : il n'y a donc pas seulement des films pour enfants. On cherche une diversité dans les cinémas proposés même si on reste sur des propositions familiales. On essaie de montrer des films pas trop longs (peu de films au-delà de deux heures) parce que la capacité d'attention de certains de nos spectateurs est parfois limitée. Et on évite les films portés par des narrations trop complexes comme les flash-back, ou ceux qui reposent sur l'ironie et le second degré.

Quelle fut la réaction des exploitants quand vous avez décidé de proposer ces séances ?

Elle a beaucoup évolué dans le temps. Comme je le disais, les créateurs avaient lancé ces séances au cinéma L'Entrepôt à Paris. Et puis devant le succès des premières projections, il a été décidé d'exporter l'idée dans d'autres villes. Mais certains exploitants se sont révélés sceptiques. Ils craignaient notamment que ce type de séances dérange leur public habituel. Mais progressivement, au fil des changements sociétaux et à force de pédagogie, on a vu une évolution, une meilleure compréhension de la situation.

C'est-à-dire ?

L'association repose sur le travail de partenaires porteurs du dispositif. Nous, on anime le réseau et on appuie les équipes locales, principalement du point de vue matériel. Sur le terrain, ces équipes gèrent les bénévoles, la programmation en liaison avec le cinéma... Au début ce sont surtout les associations autour du handicap qui étaient motrices, et qui proposaient de démarcher les cinémas. Au bout de quelques années, les collectivités ont pris le relais. Aujourd'hui, des exploitants se manifestent pour proposer ces séances à leur public. C'est une grande victoire !

Vous insistez beaucoup sur le tarif réduit que vous proposez lors de ces séances...

Oui, surtout parce qu'il s'applique à TOUS. Ce tarif réduit est important pour les personnes en situation de handicap. La plupart des spectateurs adultes visés ne peuvent pas travailler. Forcément, leur budget culturel est limité. Mais on s'adresse aussi à des familles, qui ne savent pas si elles vont pouvoir rester pendant 10 minutes, 30 minutes ou une heure. Payer des entrées pour quatre personnes et partir au bout de 10 minutes : cela fait chère la sortie... On voulait faire bénéficier les accompagnants du tarif réduit. Et puis on s'est dit qu'il fallait que ce soit pour tout le monde pareil, même pour les spectateurs qui ne sont pas en situation de handicap. On n'a pas vocation à demander à chaque spectateur sa carte ! Proposer un tarif réduit unique, c'est une manière de respecter l'égalité entre tout le public.


Partager un film est un acte profondément inclusif [...] On voit ce qu'on a en commun avec quelqu'un quand on visionne un film ensemble !
Concrètement, que réussit à produire ce mélange entre les personnes atteintes de handicap et les autres ?

Pour les personnes atteintes de troubles et leurs accompagnants ces séances ont un goût de normalité : ils vont désormais au cinéma comme tout le monde. Avec tout le monde. Ce côté banal est vraiment important. Ces spectateurs n'ont plus à justifier leur présence ou à s'excuser d'exister. Ils savent qu'ils sont légitimes à être là et que personne ne sera surpris par leur présence. Pour les autres, c'est naturellement différent. D'abord, la plupart viennent sans savoir qu'il s'agit d'une séance particulière et leurs retours sont généralement très positifs. Ils nous disent que ces projections leur permettent d'ouvrir des discussions sur le handicap, un sujet qu'ils n'abordent pas facilement.

C'est en somme un vecteur d'intégration...

Totalement ! Paradoxalement nos spectateurs sont très visibles quand ils sont dans un lieu culturel, pourtant, ils sont encore très largement invisibles dans la société. Ce sont des gens qu'on ne côtoie pas dans l'espace du travail, qu'on voit très peu dans l'espace public. Partager un film est effectivement un acte profondément inclusif : des émotions s'expriment différemment, certes, mais les émotions sont les mêmes. Et mine de rien, on voit ce qu'on a en commun avec quelqu'un quand on visionne un film ensemble !

L'association bénéficie du soutien du CNC.