Un patient aveugle récupère partiellement la vue après une thérapie optogénétique

INSERM - 01/06/2021 11:35:00

Une équipe de recherche internationale dirigée par les professeurs José-Alain Sahel et Botond Roska, et associant l'Institut de la Vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS), l'hôpital d'ophtalmologie des Quinze-Vingts, l'université de Pittsburgh, l'Institut d'ophtalmologie moléculaire et clinique de Bâle (IOB) ainsi que les sociétés Streetlab et GenSight Biologics, a mis en évidence que la thérapie optogénétique peut partiellement restaurer la vision chez un patient aveugle atteint de rétinopathie pigmentaire à un stade avancé. Les résultats de cette étude, une première mondiale, ont été publiés dans la revue Nature Medicine le 24 mai 2021.

Jusqu'alors inédit, cet essai clinique marque une étape importante dans le développement de thérapies géniques indépendantes des mutations pour traiter les dégénérescences rétiniennes héréditaires.

« Permettre à une personne de retrouver une vision partielle par l'optogénétique n'aurait pu se faire sans l'engagement du patient, les efforts de notre équipe multidisciplinaire à l'Institut de la Vision et GenSight, et la collaboration de longue date avec Botond Roska qui est à l'origine et au coeur de ce projet », explique José-Alain Sahel, professeur à Sorbonne Université, chef de service à l'hôpital des Quinze-Vingts, fondateur de l'Institut de la Vision (Sorbonne Université/Inserm/CNRS), et professeur et directeur du département d'ophtalmologie à l'université de Pittsburgh.

« Les résultats fournissent la preuve de concept que l'utilisation de la thérapie optogénétique pour restaurer partiellement la vision est possible », déclare Botond Roska, dernier auteur correspondant, directeur fondateur de l'IOB et professeur à l'Université de Bâle.

L'optogénétique consiste à modifier génétiquement les cellules afin qu'elles produisent des protéines sensibles à la lumière appelées "channelrhodopsines" (rhodopsine canal). Si cette technique existe depuis près de 20 ans en neurosciences, ses bénéfices cliniques n'avaient, jusqu'alors, pas encore été démontrés. Une collaboration entre les équipes de José-Alain Sahel et Botond Roska a abouti aux résultats rapportés aujourd'hui qui reflètent 13 ans d'efforts multidisciplinaires.

Le but de cette recherche est de traiter les maladies héréditaires des photorécepteurs, qui sont des causes très répandues de cécité. Les photorécepteurs sont des cellules de détection de la lumière dans la rétine qui utilisent des protéines appelées opsines pour fournir des informations visuelles au cerveau via le nerf optique. Les photorécepteurs dégénèrent progressivement entraînant l'apparition de la cécité.

Afin de restaurer la sensibilité à la lumière, l'équipe de recherche a tiré parti des méthodes de thérapie génique pour exprimer des channelrhodopsines dans les cellules ganglionnaires de la rétine. Pour cette étude, elle a introduit le gène codant pour une channelrhodopsine appelée ChrimsonR. Cette opsine détecte la lumière ambrée, plus sûre pour les cellules rétiniennes que la lumière bleue utilisée pour d'autres types de recherche optogénétique. En complément, des lunettes dédiées équipées d'une caméra ont été conçues par les chercheurs. Elles permettent de produire des images visuelles projetées en images de couleur ambre sur la rétine.

Le patient ayant participé à cette étude clinique avait reçu un diagnostic de rétinopathie pigmentaire à un stade tellement avancé qu'il ne pouvait plus que percevoir la présence de lumière. Près de cinq mois après avoir reçu l'injection de ChrimsonR, laissant ainsi le temps à son expression de se stabiliser dans les cellules ganglionnaires, les tests avec les lunettes ont pu débuter. Sept mois plus tard, le patient a commencé à rapporter des signes d'amélioration visuelle. Les résultats des tests montrent qu'avec l'aide des lunettes, il peut désormais localiser, compter et toucher des objets.

« Les personnes aveugles atteintes de différents types de maladies neurodégénératives des photorécepteurs et d'un nerf optique fonctionnel seront potentiellement éligibles pour le traitement, mais il faudra du temps avant que cette thérapie puisse être proposée. La société GenSight Biologics compte lancer prochainement un essai de phase 3 pour confirmer l'efficacité de cette approche thérapeutique », conclut le Pr José-Alain Sahel.

Le déroulement des tests

Le premier test consistait à percevoir, localiser et toucher un grand cahier ou une petite boîte d'agrafes. Le patient a touché le cahier pendant 36 des 39 tests distincts (en d'autres termes, 92% des cas), mais ne put saisir la boite d'agrafes que dans 36 % des tests. Dans un second test, il était question de compter des gobelets sur une table. Le patient a réussi 63 % du temps.

Enfin, pour le troisième test, l'activité cérébrale du patient a été mesurée avec un casque d'électrodes d'électroencéphalographie (EEG). Un gobelet était alternativement posé ou enlevé de la table ; le sujet devait appuyer sur un bouton indiquant s'il était présent ou absent. Les lectures d'EEG ont montré que les changements corrélés de l'activité au cours de ces tests étaient concentrés dans le cortex visuel.

En parallèle, un logiciel de décodage a été installé pour interpréter les enregistrements d'EEG. En analysant l'activité neuronale, le décodeur pouvait dire avec une précision de 78 % si le gobelet était présent ou non dans un essai. « Cette dernière évaluation, pointe le Pr Roska, a permis de confirmer que l'activité cérébrale est bien liée à la présence d'un objet, et donc que la rétine n'est plus aveugle. »