RDC, le Pape aux victimes de l'Est: «Je suis proche de vous. Vos larmes sont mes larmes, votre souffrance est ma souffrance».(VIDEO)

Vatican News - 03/02/2023 09:15:00

Le point culminant du 40e voyage apostolique en RDC a eu lieu ce mercredi après-midi 1er février à la nonciature apostolique de Kinshasa. Le Pape François a écouté quatre récits crus et déchirants de victimes d'exactions physiques et mentales dans la guerre qui ravage l'Est de la RDC. Dans un discours dense, l'évêque de Rome s'est uni aux douleurs du peuple éprouvé, s'adressant fermement aux «entités» à l'oeuvre dans cette guerre. «Cela suffit», a tancé François.


Le Souverain pontife a pris la parole après l'écoute des quatre victimes venues de différentes provinces de l'Est. Ces quatre représentants ont chacun apposé un geste fort de réconciliation, déposant au pied de la Croix les objets de leurs tortionnaires. Et c'est le sentiment du choc qu'a éprouvé en premier le Saint-Père. «Il n'y a pas de mots; il faut seulement pleurer en silence», a-t-il relevé, énumérant les noms des localités d'origines des victimes. «Bunia, Beni-Butembo, Goma, Masisi, Rutshuru, Bukavu, Uvira, des lieux que les médias internationaux ne mentionnent presque jamais.» Le Pape l'assène très clairement: «Il n'y aura pas de paix en RDC tant qu'elle ne sera pas obtenue dans la partie orientale du pays». À ces Congolais de l'Est, le Pape a souhaité insister: «Je suis proche de vous. Vos larmes sont mes larmes, votre souffrance est ma souffrance».

"Il n'y aura pas de paix en RDC tant qu'elle ne sera pas obtenue dans la partie orientale du pays."

Pardon pour la violence de l'homme sur l'homme

«À chaque famille en deuil ou déplacée en raison des villages brûlés et d'autres crimes de guerre, aux survivants des violences sexuelles, à chaque enfant et adulte blessé, je dis: je suis avec vous, je veux vous apporter la caresse de Dieu. Son regard tendre et compatissant se pose sur vous», a-t-il poursuivi, leur assurant ces paroles d'Isaïe: «Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t'aime». (Is 43, 4).

Le Pape François a condamné les violences armées, les massacres, les viols, la destruction et l'occupation des villages, le pillage des champs et du bétail qui continuent d'être perpétrés, tout comme «l'exploitation, sanglante et illégale, de la richesse du pays», ainsi que les tentatives de partition dans le but de pouvoir le gérer. Inclinant la tête, la douleur dans le coeur, le Saint-Père a demandé pardon pour la violence de l'homme sur l'homme.

«Père, aie pitié de nous. Console les victimes et ceux qui souffrent. Convertis les coeurs de ceux qui commettent de cruelles atrocités qui jettent la honte sur l'humanité tout entière! Ouvre les yeux de ceux qui les ferment ou qui se détournent devant ces abominations», a-t-il supplié. Le Pape a qualifié cette guerre de «déchainée par une insatiable avidité de matières premières et d'argent», alimentant «une économie armée laquelle exige instabilité et corruption». «Quel scandale et quelle hypocrisie: les personnes sont violées et tuées alors que les affaires qui provoquent violences et morts continuent à prospérer!», s'est-il indigné.


«Cela suffit de s'enrichir avec de l'argent entaché de sang!»
L'évêque de Rome a alors adressé un vibrant appel à toutes les personnes, entités internes et externes qui tirent les ficelles de la guerre en RDC, «en la pillant, en la flagellant et en la déstabilisant». «Vous vous enrichissez par l'exploitation illégale des biens de ce pays et le sacrifice cruel de victimes innocentes. Entendez le cri de leur sang: faites taire les armes, mettez fin à la guerre. Cela suffit! Cela suffit de s'enrichir sur le dos des plus faibles, cela suffit de s'enrichir avec des ressources et de l'argent entachés de sang!»

Pour atteindre la paix, le Successeur de Pierre a proposé quatre types d'actions basées sur deux «non» et deux «oui».

Non à la violence
Aimer son peuple, c'est ne pas nourrir de haine envers les autres. «C'est un tragique mensonge: la haine et la violence, à plus forte raison pour ceux qui sont chrétiens, ne sont jamais acceptables», a dénoncé le Pape, encourageant le peuple congolais: «Ne vous laissez pas séduire par les personnes ou les groupes qui incitent à la violence en son nom. Dieu est le Dieu de la paix et non de la guerre. Prêcher la haine est un blasphème. Celui qui vit de violence, en effet, ne vit jamais bien: il pense sauver sa vie mais il est emporté dans un tourbillon de mal qui, en l'amenant à combattre les frères et soeurs avec lesquels il a grandi et vécu pendant des années, le tue à l'intérieur».

"Celui qui vit de violence ne vit jamais bien: il pense sauver sa vie, mais il est emporté dans un tourbillon de mal"

Mais pour dire vraiment «non» à la violence, il faut en extirper les racines: le Pape a cité l'avidité, l'envie, la rancoeur. Tout en saluant le courage hors-normes des quatre témoins qui ont réussi «à désarmer leur coeur». «Je le demande à tous, au nom de Jésus qui a pardonné à ceux qui lui ont transpercé les poignets et les pieds avec les clous pour le fixer à une croix : je vous prie de désarmer votre coeur», a-t-il prié, reconnaissant que cela ne signifie pas de cesser de s'indigner devant le mal et ne pas le dénoncer, ceci est pour lui «un devoir». «Cela ne signifie pas non plus l'impunité et l'annulation des atrocités, en allant comme si de rien n'était. Ce qui nous est demandé, au nom de la paix, au nom du Dieu de la paix, c'est de démilitariser le coeur : ôter le poison, rejeter la haine, désamorcer l'avidité, effacer le ressentiment». Dire «non» à tout cela semblerait être de la faiblesse; cela rend libre, parce que cela donne la paix. «Oui, la paix naît des coeurs, des coeurs libérés de la rancoeur», a osé affirmé François.


Le texte intégral des témoignages des victimes de violence

Les témoignages des délégations de victimes de la violence dans l'Est de la République démocratique du Congo lors de leur rencontre avec le Pape François mercredi 1er février à la nonciature apostolique de Kinshasa

Message de la délégation des victimes de Butembo-Beni

Très Saint-Père,

Je m'appelle Ladislas KAMBALE KOMBI. Je suis né à Eringeti le 15 juillet 2006. Je suis agriculteur de profession. Je suis le deuxième de ma famille. Mon grand-frère a été tué dans les circonstances que nous ignorons jusqu'aujourd'hui. Mon père, lui a été tué en ma présence, à Ingwe, vers Kikungu, Territoire de Beni, par des hommes en pantalon training et chemise militaire. De ma cachette, j'ai suivi comment ils l'ont découpé en morceaux, puis sa tête tranchée a été placée dans un panier. Enfin, ils sont partis avec maman. Ils l'ont kidnappée. Nous sommes restés orphelins, moi et mes deux petites soeurs. Maman n'est jamais rentrée jusqu'aujourd'hui. Nous ne savons pas ce qu'ils ont fait d'elle.

Saint-Père, c'est horrible d'assister à une pareille scène. Elle ne me quitte jamais. La nuit, je ne sais pas dormir. C'est difficile de comprendre une telle méchanceté, cette brutalité quasi animale.

Très Saint-Père, nous vous remercions d'être venu nous consoler. Suite à l'accompagnement spirituel et psycho-social de notre Eglise locale, moi et les autres enfants qui sont ici, avons pardonnés à nos bourreaux.

C'est pourquoi je dépose devant la Croix du Christ Vainqueur, la machette identique à celle qui a tué mon père.

Moi aussi (Léonie Matumaini de l'école primaire Mbau) je dépose devant la Croix du Christ Vainqueur, le couteau identique à celui qui a tué tous les membres de ma famille en ma présence et qui m'a été remis par les bourreaux en me demandant d'aller le remettre aux militaires des forces armées de la République Démocratique du Congo.

Moi aussi, (Kambale Kakombi Fiston, 13 ans, de l'école primaire Chamboko), je pardonne aux bourreaux qui m'ont kidnappé pendant 9 mois. Je demande au Christ Vainqueur sur la Croix de toucher les coeurs des bourreaux pour qu'ils libèrent les autres enfants qui sont encore dans la brousse.

Très Saint Père, priez pour que ces enfants nous rejoignent à l'école et dans la communauté.

Nous vous remercions.

Message de la délégation des victimes de Goma

Votre Sainteté,

Je m'appelle Legge Kissa Catarina et je lis le témoignage de Bijoux MAKUMBI KAMALA qui est ici à côté de moi qui ne lit pas bien le français.

«Je viens de Walikale. J'ai 17 ans. J'ai commencé le calvaire des souffrances en 2020. Un jour nous allions puiser de l'eau à la rivière. C'était à Musenge, dans un des villages du Territoire de Walikale. C'était en 2020. En route, nous avions rencontré des rebelles. Ils nous ont amenées dans la forêt. Chacun des rebelles s'est choisi qui il voulait. Moi, c'est le commandant qui m'a désirée. Il m'a violée comme un animal. C'était une souffrance atroce. Je suis restée pratiquement comme sa femme. Il me violait plusieurs fois par jour, comme il voulait, pendant plusieurs heures. Et cela a duré 19 mois, 1 an et 7 mois.

C'était inutile de crier, car personne ne pouvait m'entendre ni venir à mon secours. J'ai eu, avec une de mes amie, la chance de m'échapper, après 19 mois de souffrances. De cette expérience, suis revenue enceinte. J'ai eu des jumelles, qui ne connaitront jamais leur père. Mes autres amies qui étaient kidnappées avec moi ce jour-là, ne sont jamais revenues. Je ne sais pas si elles sont mortes ou si elles sont encore en vie.

Votre Sainteté, avec la présence des dizaines de groupes armés, les tueries se sont intensifiées partout, les familles se sont déplacées à plusieurs reprises, les enfants sont demeurés sans parents, se sont vus exploités dans les mines ou plutôt dans les armées rebelles ; les filles et les femmes ont commencé le calvaire de violences sexuelles de tous ordres et des tortures sans nom. D'autres populations se sont vues déplacées et n'ont plus trouvé de patrie, errant ci et là.

Votre Sainteté, en tout cela l'Eglise reste le seul refuge qui panse nos plaies et console nos coeurs à travers ses multiples services de soutien et de réconfort : les Paroisses et les services de la Caritas diocésaine restent nos lieux de recours et de secours.

Votre présence, Sainteté, nous rassure que toute l'Église nous porte à coeur. Merci beaucoup d'être venu.

Voici la natte, symbole de ma misère de femme violée. Je la dépose sous la croix du Christ afin que le Christ me pardonne pour les condamnations que j'ai portées dans le coeur contre ces hommes. Que la croix du Christ me pardonne et pardonne mes violeurs et les amène à renoncer à infliger aux personnes des souffrances inutiles. Voici aussi la lance identique à celles qui ont transpercé les poitrines de beaucoup de nos frères. Que Dieu nous pardonne tous et nous donne de respecter la vie humaine».


Message de la délégation de Bunia

Saint-Père,

Je m'appelle abbé Guy-Robert MANDRO DEHOLO et j'été mutilé des doigts de la main. Je présente le témoignage qu'avait préparé Désiré DHETSINA, avant de disparaitre il y a quelques mois, sans laisser des nouvelles.

«Je suis survivant d'une attaque du camp des déplacés de Bule, dans la chefferie des Bahema Badjere, en territoire de Djugu, dans la Province d'Ituri. Ce camp est connu sous le nom de Plaine Savo. L'attaque a eu lieu dans la nuit du 1er février 2022 par un groupe armé, lequel a fait 63 morts parmi lesquels 24 femmes et 17 enfants. J'ai vu la sauvagerie: des gens découpés comme on découpe la viande à la boucherie, des femmes éventrées, des hommes décapités.

Nous vivons dans des camps de déplacés sans espérance de retourner chez nous, car les tueries, les destructions, les pillages, le viol, le déplacement des populations, les kidnappings, les tracasseries, bref, on dirait l'exécution d'un plan d'extermination, d'anéantissement physique, moral et spirituel se poursuit tous les jours.

Saint-Père, nous avons besoin de Paix et rien d'autre que de Paix, ce don gratuit de Jésus-Christ ressuscité. Nous voulons retourner dans nos villages, cultiver nos champs, rebâtir nos maisons, éduquer nos enfants, cohabiter avec nos voisins de toujours, loin des bruits des armes! Nous voulons que le mal perpétré en Ituri s'arrête, qu'il soit puni et réparé! Nous voulons vivre en toute dignité de fils et filles de Dieu.

C'est pourquoi, nous déposons ces machettes et ces marteaux sous la croix du Christ afin qu'il nous pardonne pour le sang injustement versé. Que le Christ nous donne de revivre des moments de paix et de tranquillité où tous éprouvent des bons sentiments les uns pour les autres.

Merci beaucoup d'être venu nous réconforter, Saint-Père. Merci surtout de prier pour nous».


Message de la délégation des victimes de Bukavu et Uvira

Très Saint Père,
Moi je m'appelle Aimée et je parle au nom d'Emelda M'KARHUNGULU, originaire de Bugobe, Groupement Cirunga, Paroisse de Kabare, dans l'Archidiocèse de Bukavu, au sud-ouest de cette grande ville. Emelda est à côté de moi mais ne parle pas français. Je vais lire la traduction française de son témoignage en swahili.

«Des rebelles avaient fait incursion dans notre village de Bugobe; c'était la nuit d'un vendredi, en 2005. Ils ont fait incursion dans le village, prenant en otage tous ceux qu'ils ont pu, déportant tous ceux qu'ils avaient trouvé, leur faisant porter les objets qu'ils avaient pillé. En route, ils ont tué beaucoup d'hommes par balles ou au couteau. Les femmes ils les emportèrent dans le parc de Kahuzi-Biega. J'avais alors 16 ans. J'ai été retenue comme esclave sexuelle et j'ai subi des maltraitances pendant trois mois. Chaque jour, c'est cinq à dix hommes qui abusaient de chacune de nous. Ils nous faisaient manger la pâte de maïs et la viande des hommes tués. De fois, ils mélangeaient les têtes des gens dans la viande des animaux. C'était ça notre nourriture de chaque jour. Qui refusait de le manger, on le découpait et on nous le faisait manger. Nous vivions nues pour ne pas nous échapper. Je suis de ceux qui leur ont obéi jusqu'au jour où, par grâce, je me suis échappée lorsqu'ils nous envoyèrent puiser de l'eau à la rivière. Arrivée à la maison, mes parents m'ont conduite à l'hôpital de Panzi en passant par le centre Olame où j'ai suivi des soins appropriés. Par l'animation de l'Église j'ai dû assumer et accepter ma situation. Aussi, les personnes qui avaient un regard moqueur sur moi ont changé. Aujourd'hui je vis bien en femme épanouie qui assume son passé.

Notre Province est un lieu des souffrances et de larmes. Que dire, Saint-Père, des victimes de la catastrophe de Mulongwe qui ont tout perdu dans les érosions sauvages: maison, et tous les objets de la maison. Beaucoup sont morts. La catastrophe des inondations des rivières de Mulongwe et Kavimvira, dans le diocèse d'Uvira du 17 au 20 avril 2020 s'élèvent à 60 personnes enterrées sous la boue des inondations, 45 personnes blessées, 3500 maisons détruites, 7700 ménages sans abris. Les survivants croupissent dans des camps des sinistrés où ils partagent la bâche à 3 ou 4 ménages, c'est-à-dire plusieurs dizaines de personnes, dans la même tente. C'est vraiment la promiscuité. C'est vraiment le siège de l'immoralité. La prostitution bat le plein dans ces cadres de vie. Ils n'ont même pas de conditions humaines minimales.

A cause des guerres interethniques dans les plateaux, depuis 2019, dans les Hauts plateaux des Territoires de Fizi, Mwenga/Itombwe et Uvira, plus de 346.000 personnes sont déplacées, dont 100.000 dans le territoire d'Uvira et 246.000 personnes dans le Territoire de Fizi. Beaucoup ont tout abandonné. Tout le plateau a été abandonné aux hommes armés. Beaucoup sont morts, d'autres ont fui, ne sachant même pas où trouver les leurs.

Saint-Père, c'est avec une joie immense que nous, victimes des atrocités et autres catastrophes, prenons la parole pour vous présenter notre sincère reconnaissance et nos remerciements pour avoir effectué le voyage vers nous malgré vos multiples charges. Vous nous laissez un legs, un don d'amour par ce rapprochement, par cette visite.

Nous mettons sous la croix du Christ ces habits des hommes en armes qui nous font encore peur, pour nous avoir infligé d'innombrables violences, atroces et innommables, qui continuent jusqu'à ce jour. Nous désirons un avenir différent. Nous voulons laisser derrière nous ce passé obscur et être en conditions de bâtir un bel avenir. Nous demandons la Justice et la Paix.

Nous pardonnons à nos bourreaux tout ce qu'ils ont fait et nous demandons au Seigneur la grâce d'une cohabitation pacifique, humaine et fraternelle.

Merci Saint-Père d'être venu.»