Armes à feu : Ottawa présente de nouvelles mesures jugées décevantes par des groupes

Radio-Canada - 02/05/2023 10:15:00

Le gouvernement libéral va se contenter d'une définition technique sans liste exhaustive.


Après des semaines de négociation en coulisses, le gouvernement fédéral a annoncé lundi de nouveaux amendements pour formaliser l'interdiction des armes d'assaut dans le cadre du projet de loi C-21. Des mesures qualifiées de « recul important » et de « trahison » par des défenseurs du contrôle des armes à feu au pays.

En février, le gouvernement de Justin Trudeau avait renoncé à modifier le Code criminel pour y inclure une définition exhaustive des armes prohibées accompagnée d'une liste des modèles interdits, initiative qui avait suscité des craintes chez des chasseurs et des membres de communautés autochtones.

Lundi, le ministre fédéral de la Sécurité publique, Marco Mendicino, est revenu à la charge avec une nouvelle mouture d'amendements visant à apaiser ces inquiétudes.

Cette fois, le gouvernement va se contenter d'établir une définition technique. Cela inclut les armes semi-automatiques et celles qui sont conçues, originellement, avec des chargeurs détachables pouvant contenir six cartouches ou plus.

« Cette définition technique couvrirait les armes à feu conçues et fabriquées après l'entrée en vigueur du projet de loi C-21; elle n'aurait pas d'impact sur la classification du marché existant des armes à feu au Canada. »

Une citation de Extrait du breffage technique du ministère fédéral de la Sécurité publique
Lors d'une conférence de presse, M. Mendicino a affirmé que cette définition apporte la clarté dont les propriétaires d'armes ont besoin et la protection que les militants de contrôle des armes réclament depuis longtemps.


De la déception
Quelques minutes plus tard, des survivants de fusillades et des défenseurs du resserrement du contrôle des armes à feu ont taillé en pièces les changements proposés par M. Mendicino.

Nathalie Provost, qui a survécu à la fusillade de Polytechnique, à Montréal, s'est dite extrêmement fâchée. Aujourd'hui, on a un recul important, complet, a-t-elle tranché.

« Je suis extrêmement en colère, extrêmement déçue et je me sens trahie. »

Une citation de Nathalie Provost du collectif PolySeSouvient
Le collectif PolySeSouvient critique sévèrement le fait que la définition proposée s'appliquera aux armes qui ne sont pas encore sur le marché, mais pas à celles qui y sont déjà.

Donc, les armes qui existent, qui sont sur le marché et qui n'ont pas été captées par la liste de 2020, continuent d'être en vente et accessibles, a soutenu Mme Provost.

Une personne va être capable de revendre l'arme qui est sur la liste [déjà prohibée], prendre l'argent et acheter une autre arme qui n'est pas sur la liste, a-t-elle expliqué. Dites-moi comment ça protège les Canadiens et dites-moi comment est-ce une interdiction permanente et complète des armes de style d'assaut au Canada?


Sur ce point, M. Mendicino a indiqué que le Comité consultatif canadien des armes à feu sera de retour. Ce groupe, qui avait été mis sur pied en 2017 pour aider Ottawa à réformer ses politiques en matière d'armes à feu, devra conseiller le gouvernement sur le processus de classification des différents modèles.

Mme Provost, qui a fait partie de ce comité-là en 2017, a affirmé avoir claqué la porte en 2019 parce que ça ne donnait rien. Elle se questionne notamment sur la pertinence de le remettre en place.

De son côté, Boufeldja Benabdallah, cofondateur de la mosquée de Québec qui a été visée par une attaque meurtrière en janvier 2017, s'est dit déçu et triste par les nouvelles mesures annoncées par le ministre.

« On retourne à la case départ. Le plus dur, c'est qu'on a été le dindon de la farce des partis politiques. [...] On est perdants. Je suis triste et j'aurais aimé pleurer aussi pour exprimer l'émotion d'écoeurement qui est toujours là. »

Une citation de Boufeldja Benabdallah, cofondateur de la mosquée de Québec


Autres mesures

Parmi les autres amendements annoncés par le ministre Mendicino, figurent aussi de nouvelles mesures contre les armes qui ont des chargeurs à grande capacité, ainsi que les armes dites fantômes, ou ghost guns, en anglais.

Il s'agit d'armes à feu non répertoriées, difficiles à retrouver, puisqu'elles n'ont pas de numéro de série et qu'elles peuvent être assemblées à partir de pièces achetées en ligne.

La semaine dernière, M. Mendicino avait signalé que les nouveaux amendements à C-21 forceront les fabricants d'armes à jouer leur rôle quand ils mettent, par exemple, de nouveaux modèles sur le marché.

Je pense qu'il y a moyen d'étudier un amendement qui va resserrer le projet de loi C-21 de façon à ce que les manufacturiers soient obligés de travailler avec les autorités dans la classification d'armes, y compris celles qui pourraient être visées par la définition des armes prohibées, avait-il expliqué en témoignant devant le comité de la sécurité publique.


D'ailleurs, c'est devant ce comité que les amendements présentés lundi par M. Mendicino seront déposés par des députés libéraux. L'étude article par article du projet de loi C-21 y avait été interrompue quand, il y a plus de deux mois, le gouvernement Trudeau avait fait marche arrière sur ces amendements à la source d'un tollé.


Un « manque de cohérence »

Les dispositions retirées avaient pour objectif de renforcer l'interdiction décrétée en 2020 pour environ 1500 modèles et variantes de ce type d'armes. Les libéraux ont promis d'inclure dans le projet de loi C-21 une définition des armes d'assaut qui empêchera les fabricants de contourner cette interdiction.

Le projet de loi C-21 prévoit aussi des mesures qui renforceraient le gel sur la vente des armes de poing.

La législation permettrait également de retirer les permis d'armes à feu des personnes commettant de la violence conjugale ou se livrant à du harcèlement criminel, ainsi que d'augmenter les peines maximales pour la contrebande et le trafic d'armes à feu de 10 à 14 ans.

Dans un entretien diffusé à l'émission L'heure du monde sur ICI Première, Francis Langlois, chercheur associé à l'Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand, affirme qu'il faut juger le projet de loi en fonction de l'objectif visé par le gouvernement [qui est de] réduire les probabilités d'une future tuerie de masse.

Cependant, selon lui, ces amendements manquent de cohérence, car le gouvernement libéral cherche à ménager la chèvre et le chou.

On passe des règlements sans que cela affecte les propriétaires d'armes à feu actuels. [...] C'est sûr que, si l'objectif est vraiment d'éliminer ces armes-là, il n'y a pas de logique là-dedans, déclare-t-il.