« Enfin chez moi. » Les familles autrefois associées à l'État islamique, la dernière étape du plus grand retour de personnes déplacées au monde

PNUD - Programme des Nations Unies pour le Développement - 03/04/2024 15:50:00

C'est le drame de milliers de femmes et enfants victimes de leurs conjoints ayant rejoint le terrible Etat Islamique.





Les horribles atrocités commises par l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL) lorsqu'il a envahi la Syrie et l'Irak en 2014 ont choqué le monde entier.

Les exécutions de civils, le déracinement de communautés entières, les viols massifs, la destruction aveugle de biens et le génocide de la minorité yézidie ont laissé de profondes cicatrices.

Cela a également contraint des dizaines de milliers de femmes et d'enfants à se retrouver dans des situations impossibles sur lesquelles ils n'exerçaient aucun contrôle et qui leur ont changé la vie pour toujours.


Le mari de Dunia* a rejoint l'EI peu après sa prise de possession de l'ancienne ville de Mossoul à Ninive, invasion qui a causé la destruction du patrimoine culturel le plus précieux de l'Irak, tout en écrasant et en emprisonnant ses habitants pendant trois ans.

« Aucune femme ne souhaiterait que son mari rejoigne l'EI. Moi et mes enfants n'avions pas choisi d'être liés à un militant », dit-elle.
Sara, jeune mariée, s'est retrouvée piégée dans une vie à laquelle elle ne pouvait pas s'attendre.





« Il a rejoint l'EI deux mois après notre mariage. Enceinte, je n'avais pas d'autre choix que de rester », dit-elle.
Fatima également n'a pas pu interférer dans la décision de son mari de rejoindre l'EI.






« Aucune femme ne souhaiterait que son mari rejoigne l'EI. Moi et mes enfants n'avions pas choisi d'être liés à un militant », dit-elle.
Sara, jeune mariée, s'est retrouvée piégée dans une vie à laquelle elle ne pouvait pas s'attendre.

« En tant que femme, je n'avais aucune autorité sur lui. » Et le cauchemar de Fatima n'a pas pris fin lorsque l'EI a été vaincu en 2017. Devenue veuve, elle était confrontée à des choix impossibles qui n'en finissaient pas de s'accumuler tandis que les Irakiens déchargeaient leur colère contre toute personne liée à leurs anciens oppresseurs.

« Les rumeurs laissaient entendre que mes enfants allaient être tués ou torturés », dit-elle. N'ayant aucun autre choix, elle s'est rendue à Al Hol, le camp de réfugiés au nord de la Syrie, réputé pour sa violence et ses conditions sordides et inhumaines.

C'est pour cette même raison que Clemira s'est enfuie dans le même camp.

« Nous avions peur. La situation était dure », dit-elle. « C'est mon mari qui est la cause de ces circonstances malheureuses. »
Des milliers de femmes irakiennes partagent la même histoire : forcées de faire face seules à l'éducation de leurs enfants, d'être séparées de leur famille, de vivre dans la pauvreté dans des sites de déplacements ou de réfugiés, de lutter pour se libérer de la stigmatisation liée aux crimes de leurs maris.

Ces familles non seulement étaient confrontées à de grandes difficultés, mais risquaient également de se radicaliser. Des études ont montré que les comportements extrémistes se développent lorsque des individus sont enfermés ensemble, dépourvus des ressources de base nécessaires pour mener une vie digne.

Des milliers de femmes irakiennes dont les maris ont rejoint l'EI ont été confrontées à de grandes difficultés, même après qu'il ait été vaincu en 2017. Vivant dans la pauvreté dans des camps de déplacement ou de réfugiés, les crimes de leurs maris les suivaient partout. Photos : PNUD Irak
Le parcours vers la guérison
Lorsque l'EI a été mis en échec en 2017, les dégâts s'élevaient à 80 milliards de dollars, 11 millions de personnes dépendaient de l'aide humanitaire et plus de six millions avaient été forcées de quitter leur domicile.

Le gouvernement irakien estime qu'en 2022 parmi les personnes déplacées se trouvaient 250 000 épouses, enfants ou parents perçus comme affiliés à l'EI.

Nullement intimidées par ces chiffres considérables, les autorités et les communautés irakiennes se sont activées pour réparer les blessures matérielles, et pour remédier aux traumatismes sociaux et psychologiques consécutifs au conflit.

Après la défaite de l'EI, l'Irak a dû faire face à des dégâts considérables d'une valeur de 80 milliards de dollars, à une dépendance à l'égard de l'aide humanitaire et à des déplacements de population.
Avec le soutien du PNUD, ils mettent tout en oeuvre pour ramener et réintégrer en toute sécurité les familles autrefois associées à l'EI et rétablir les communautés traumatisées par la violence.


« Il est vraiment douloureux de voir une famille qui fait tout ce qui est en son pouvoir pour vivre sous une tente dans ce contexte. Nous voulons faire revenir ces personnes. Le voyage de mille kilomètres commence par un premier pas », explique le général Omar Khamis, commandant de la police d'Al-Qaim, une importante ville frontalière irako-syrienne qui a été l'une des premières à être prise par l'EI.

L'ONU et ses partenaires ont fourni des abris, de la nourriture, une éducation et d'autres aides vitales. Le PNUD s'est concentré sur le soutien aux gouvernements locaux dans la reconstruction des infrastructures sociales, en travaillant avec les individus afin qu'ils acquièrent de nouvelles compétences pour trouver un emploi, démarrer des entreprises et construire la paix.

« Depuis 2017 jusqu'à l'heure actuelle, nous avons fait notre possible pour restaurer ce qui a été détruit. Des dizaines d'écoles ont été remises sur pied et de nouvelles ont été construites, ainsi que des centrales électriques et des réseaux de distribution d'eau », explique Khaled Abdullah, maire d'Al-Rummanah, l'une des dernières villes libérées.

Le dernier kilomètre


De réels progrès sont constatés. L'aide humanitaire a répondu aux besoins immédiats des nombreuses personnes déplacées, et des activités de développement ont permis très tôt durant la crise de mettre en place les conditions d'un retour volontaire.

À ce jour, plus de cinq millions de personnes ont pu rentrer chez elles, et ainsi refaire leurs moyens de subsistance et se passer de l'aide humanitaire.

En soutenant des projets d'infrastructure, des opportunités économiques et le rétablissement des services de base, le PNUD a aidé les familles déplacées à rentrer chez elles et à construire des communautés plus sûres - une étape essentielle dans la lutte contre l'extrémisme. Photos : PNUD Irak
Dunia, Fatima, Sara et Clemira, ainsi que les dizaines de milliers d'autres femmes et enfants qu'elles représentent, sont la clé du succès du programme.

« C'est sans aucun doute l'un des rapatriements les plus importants au monde. La partie la plus difficile est le dernier kilomètre, c'est à dire ramener le million de personnes encore déplacées. L'un des problèmes les plus difficiles est que bon nombre de ces familles sont ce que nous appelons des 'familles perçues comme affiliées à l'EI' », explique Auke Lootsma, Représentant résident du PNUD en Irak.

Réunifier les communautés


Lorsque Fatima et ses enfants ont finalement quitté le camp d'Al Hol, ils sont restés six mois au centre de réadaptation de Jeddah, à Ninive dans le but de faciliter leur transition. Actuellement, le PNUD les soutient pour leur retour chez eux à Anbar.

En travaillant en étroite collaboration avec le gouvernement, en établissant des réseaux locaux et en concluant des accords de paix, le PNUD a préparé les communautés d'Anbar, de Ninive, de Salah al-Din et de Kirkouk à accepter le retour dans leurs communautés de 9 000 familles autrefois associées à l'EI.

Le programme de réintégration du PNUD en Irak soutient l'acceptation par les communautés du retour de 9 000 familles déplacées à l'intérieur du pays. Le programme de stabilisation du PNUD a réhabilité plus de 35 000 maisons depuis 2017. Vidéo : PNUD Irak
« Il faut tenir compte à la fois des familles qui ont subi un préjudice direct et de celles qui reviennent, afin qu'elles ne soient pas considérées comme des ennemis. C'est une bombe à retardement qu'il faut désamorcer par l'éducation, la formation et les médias », déclare Khaled Abdullah.

« La solution doit être globale pour ceux qui sont perçus comme étant liés à l'EI, en garantissant que lorsqu'ils rentreront chez eux, ils le feront d'une manière qui sera acceptée par tout le monde et qu'ils pourront vivre une vie paisible et prospère », explique Auke Lootsma.

La réintégration dans la communauté est essentielle pour ces femmes et leurs familles afin d'éliminer la stigmatisation liée à leur affiliation perçue à l'EI due au militantisme de leurs maris. Photos : PNUD Irak


Les Irakiens sont toujours aux prises avec la pauvreté et les divisions, mais le pays sort d'un chapitre douloureux. À tel point que l'aide humanitaire est progressivement supprimée. L'accent est mis sur le développement durable afin que les communautés deviennent résilientes dans une région souvent déstabilisée par les conflits.

Le long cauchemar derrière elles, Dunia, Fatima, Sara et Clemira ont pu se réinstaller dans un logement et s'assurer une subsistance. Sara vit à Anbar depuis 2020. Elle est heureuse de retrouver ses proches.

« C'était indescriptible, surtout quand j'ai vu ma famille et mon peuple. Je me sentais en sécurité. J'avais un peu peur, mais j'étais enfin chez moi ! »