Technique de pointes

FFA - Fédération Française d'Athlétisme - 09/12/2014 17:45:00


Libérer le geste, optimiser chaque mouvement au millimètre, réveiller des muscles en hibernation et redécouvrir son corps : depuis quelques années, les meilleurs athlètes français bénéficient de l'aide pointue d'une danseuse professionnelle à l'Insep. Reportage.

C'est une habitude qui prend doucement corps parmi l'élite de l'athlétisme français. Depuis quelques saisons déjà, la fine silhouette d'Armelle van Eecloo, danseuse professionnelle, glisse entre les couloirs de la grande halle de l'Insep. Les entraîneurs la sollicitent pour apporter aux athlètes ces détails qui font la différence à haut niveau, ces principes de souplesse et de maîtrise gestuelle qui ouvrent souvent la porte aux progrès essentiels. Ce matin de novembre, Jimmy Vicaut est le premier à l'oeuvre dans la grande salle Joseph-Maigrot, premier à se plier aux exercices d'Armelle. à son air, on comprend qu'il sait : la séance ne sera pas forcément de tout repos. « Cela fait un peu plus de deux ans que nous travaillons ensemble, commente son entraîneur Guy Ontanon en gardant un oeil sur les exercices du sprinteur. Jimmy était trop raide, or les danseurs ont cette compétence fine pour travailler sur la posture, associer une mobilité articulaire à un travail technique, combiner amplitude et musculation. » Avec un souci permanent : garder à l'esprit que l'athlète doit, avant tout, être performant en athlétisme - élémentaire, mais incontournable. « Le but n'est pas de juxtaposer des séances et des disciplines différentes, poursuit le coach. Armelle ne fait pas ce qu'elle veut, elle répond à des demandes de ma part, formulées à partir des observations de terrain. D'ailleurs, elle vient le voir courir, regarde des vidéos. C'est une demande précise par rapport à un souci technique individualisé. Mais Armelle va identifier des détails que je n'irais pas chercher. On est dans la frappe chirurgicale. »

Voilà pour le cadre global, donc. Les effets induits, eux, sont légion. Peu à peu, au-delà des gains de souplesse et de leur impact sur le travail technique - souvent effectué dans la foulée de cette heure de préparation, l'athlète acquiert une vraie méthodologie d'échauffement. « Au rythme d'une à deux séances par semaine toute la saison, il s'est approprié la méthode, il connaît mieux son corps », constate Ontanon. Qui voit un autre intérêt à l'affaire : « Un coach ne peut pas toujours être sur le dos d'un athlète. Là, Jimmy entend un autre son de cloche, d'autres mots, un autre discours. »

Jimmy l'entend, oui, le discours. « Allez, avec tout ce que tu fais à l'entraînement, ça c'est facile... » encourage la prof. « ça ? C'est le pire de tout ! », tranche l'athlète, à genoux, qui travaille sa capacité à générer de la puissance avec le bout de ses pieds. Car plus qu'à de simples étirements, c'est une vraie préparation physique à l'effort à laquelle s'astreint le champion de France. Une séance qui combine assouplissements mais aussi renforcement musculaire, gainage pour une mise en application technique concrète dans la course. « Penser que les danseurs ne font que s'étirer ? Un cliché », sourit Guy Ontanon. Stimulation névralgique de la voûte plantaire, travail de qualité de pied, d'amplitude des quadriceps, des ischios, du psoas, sur tapis ou sous un espalier, bâton en mains pour s'étirer au mieux vers le haut pendant la foulée ou les exercices de griffés... Certains muscles qui n'ont pas l'habitude d'être sollicités vivent un réveil douloureux.

« Je viens du monde artistique, mais j'ai très vite été intéressée par l'idée qu'on n'a pas forcément le corps adapté pour percer dans sa propre discipline, raconte Armelle alors que la séance touche à sa fin. Comment adapter ce corps ? Je suis partie à l'étranger pour me former sur le sujet : façonner son corps, son outil de travail, optimiser son geste, lui permettre une mobilité qui rende possible la performance. » Au sein de l'Unité méthodologique d'aide à la performance, une structure transdisciplinaire de l'Insep, elle apporte aujourd'hui ses lumières aux pensionnaires de l'Institut. « Mais attention, je décline tout cela en fonction des projets des entraîneurs, ce sont eux qui donnent le cadre. Ils me demandent, me donnent des indicateurs techniques, j'observe l'athlète et donne mon avis avant de commencer à travailler. Souvent, il s'agit de gommer des crispations ou des compensations à un manque de souplesse qui rendent le geste moins fluide. On est très ciblé sur la performance, et c'est un projet individualisé pour chaque athlète, car tous n'ont pas les mêmes moteurs d'action. On est dans du travail millimétré. Et il faut intégrer tout cela dans la préparation physique globale. Sinon, cela ne sert à rien. »

La halle Joseph-Maigrot se remplit peu à peu. Les spécialistes de natation synchronisée côtoient maintenant les sprinters et sauteurs. Jimmy Vicaut en termine avec sa montée de l'Everest : pied, cheville, mollet, allongement des ischios et des quadris, toutes les chaînes musculaires de bas en haut ont été passées en revue pour libérer ses mouvements, jusqu'à une mise en situation proche de la course. Au final ? « Le bilan est extrêmement positif, estime Guy Ontanon. Sur les 9''95 de Jimmy l'an passé à Paris (ndlr : lors des France 2013), on s'est aperçu qu'il y avait une nette amélioration de la longueur de sa foulée. » Sous cet angle, la transversalité des disciplines semble un beau champ d'avenir pour l'athlétisme. Pas besoin d'ailleurs de chercher à en convaincre la prochaine élève d'Armelle Van Eecloo. Après Jimmy Vicaut, c'est Antoinette Nana Djimou, spécialiste des épreuves combinées, qui approche pour apprendre à optimiser au mieux ses gestes.