70ième de l'ENA : Entretien avec Christine Demesse présidente de l'Association des Anciens Elèves de l'ENA
Nous recevons Christine Demesse au Press Club de France. Christine Demesse est ancienne élève de l'Ecole Nationale d'Administration (Promotion Henri François d'Aguesseau 82). Depuis, 2011 elle préside l'AAEENA l'association des anciens élèves d'une école prestigieuse. Elle a fait une grande partie de sa carrière au Tribunal administratif de Paris et au Ministère de l'Economie et des Finances et a occupé plusieurs postes de cabinet ministériels. Christine Demesse nous fait part de la transformation de l'école et de ses perspectives nouvelles.
1. Vous fêtez les 70 ans de l'ENA. Est-ce une rétrospective ou une prospective ?
C'est pour notre école un évènement important avec de nombreuses manifestations qui se dérouleront du 20 septembre au 16 octobre prochain.
C'est aussi l'occasion de nous mobiliser, de nous rassembler pour regarder vers l'avenir. Les élèves veulent démontrer qu'ils sont en phase avec leur environnement et un monde qui change. Le 20 septembre, nous avons organisé dans les locaux parisiens de l'Ecole, à l'occasion des Journées du Patrimoine, un Salon du Livre avec la présence de nombreux anciens élèves, auteurs d'ouvrages dans des domaines les plus divers ainsi qu'une exposition des tableaux et sculptures de certains autres . Nous y avons accueilli de très nombreux visiteurs. D'autres anciens élèves iront pendant le mois d'octobre à la rencontre des étudiants des universités à Paris et en province pour expliquer leur parcours professionnel, comment on se prépare aux concours, comment on évolue à l'ENA, quels sont les métiers auxquels l'école prépare. Des rencontres ont déjà eu lieu et à cette occasion, nous avons pu constater combien il y avait d'idées reçues sur l'ENA et, je crois, que les étudiants ont été surpris du décalage entre notre réalité et les articles parus dans la presse. Le 16 octobre nous participerons au Salon des Doctorants qui se tient à la Cité Internationale Universitaire de Paris. Je suis aussi attachée à l'immersion de notre association dans le tissu social de notre pays qui est en pleine évolution. C'est pourquoi, nous sommes partenaires de l'association Passeport Avenir pour faire connaître à des jeunes étudiants de toutes disciplines et issus de la diversité, les différents métiers du secteur public .Il est essentiel d'établir des passerelles entre les secteurs public et privé auprès de la nouvelle génération de leaders de demain.
Le point d'orgue de ce 70ième anniversaire sera notre soirée annuelle, qui se tiendra à la Cité de l'Immigration qui sera animée par les anciens élèves. Enfin certains autres se produiront le 15 octobre à l'Oratoire du Louvre lors d'un concert de musique classique ouvert à tous.
Comme toutes les grandes écoles, nous sommes en perpétuel mouvement.
2. L'ENA fournit la « fine fleur » de l'administration. Ce tropisme va-t-il continuer ?
Il est vrai que l'école fournit les cadres dirigeants de l'administration française. C'est sa marque de fabrique. Elle le fait dans un cadre bien précis. En effet nous sommes une école d'application qui n'a pas de corps enseignant et dont la plus grande partie de la scolarité est constituée de stages. Les enseignements sont assurés par des praticiens en poste dans l'administration, donc aux prises avec la réalité.
Et l'école change. Nous faisons l'objet d'une réforme environ tous les cinq ans; certains trouvent cela excessif mais l'Ecole se doit de s'adapter aux évolutions de notre société qui change de plus en plus vite.
Les futurs hauts fonctionnaires de demain seront confrontés à des situations et problématiques qui n'existaient pas il y a 5 ou 10 ans. L'Ecole s'adapte donc en introduisant de nouveaux enseignements, en insistant sur de nouvelles exigences pour répondre aux attentes des futurs employeurs et aux besoins de notre société. la déontologie, la gestion de crise, la négociation, le management, font l'objet de conférences données par des personnalités françaises ou étrangères.
Les hauts fonctionnaires ne sont pas enfermés dans des bureaux, comme on les caricature trop souvent.
Ils sont de plus en plus sur le terrain au contact de la population, des représentants sociaux, des élus, des entrepreneurs et de tous ceux qui font vivre un territoire en France ou à l'étranger.
Quelles que soient ses fonctions, un responsable est confronté avec tous les acteurs de la vie économique et sociale. Il est évident, par exemple, que dans sa mission de contrôle des comptes publics des territoires, avant de rédiger son rapport, un conseiller de Chambre Régionale des Comptes va rencontrer et dialoguer avec les fonctionnaires territoriaux et les élus. De même, un diplomate est en contact permanent non seulement avec les autorités politiques mais va aussi et beaucoup à la rencontre des responsables économiques, les organisations professionnelles et les entreprises du pays où il est en poste.
Justement, vous abordez l'économie. Dans un monde de plus en plus uniformisé les normes juridiques notamment dans le droit des affaires, les usages de la vie publique, les modes de fonctionnement des organisations internationales et des grandes entreprises s'inspirent du modèle anglo-saxon.
Comment l'ENA intègre t'elle cette uniformisation ?
C'est un défi pour notre système éducatif dans son ensemble et pas uniquement pour les élèves issus de l'ENA !
Il est d'autant plus important pour que nous gardions sur le plan international une influence en matière politique, économique et juridique dans ce monde en mouvement.
Il faut s'y adapter.
Et cela commence d'abord par la maîtrise de la langue. C'est pourquoi il a été acté dans la récente réforme des concours que l'anglais serait la seule langue obligatoire à l'entrée. Pendant la scolarité d'autres langues seront proposées comme précédemment.
Mais ceci répond à la nécessité de maitriser parfaitement une langue qui est un outil de travail au même titre que les outils informatiques.
Cette obligation ne posera d'ailleurs aucun problème aux candidats actuels qui ont effectué pour une grande partie d'entre eux des séjours universitaires à l'étranger et très souvent dans des pays de langue anglaise.
Les systèmes d'échanges existants permettent ainsi à tous ceux qui le souhaitent, y compris aux étudiants de milieux modestes, de suivre un cursus à l'étranger.
Je pense que cela passe aussi par une plus grande culture de l'entreprise.
A cet égard les stages en entreprises effectués par les élèves en scolarité sont essentiels. Un haut fonctionnaire doit connaître parfaitement aujourd'hui les enjeux mais aussi les problèmes auxquels sont confrontées quotidiennement les entreprises de notre pays. Mais il faut aussi souligner que les analyses et le regard porté par le stagiaire sur l'entreprise sont souvent appréciés par le maitre de stage et ses collaborateurs. Ces échanges sont très enrichissants et formateurs.
Ces stages ont lieu dans des grandes entreprises comme dans des PME, des start-up, des entreprises de haute technologie qui ont en quelque sorte » l'esprit Silicon Valley ». Ainsi que dans des structures de type associatif.
Les anciens élèves de l'ENA se sont aussi tournés vers le secteur privé. Ce sont près de 900 « ENA » qui travaillent en entreprises et ce dans l'ensemble des régions du monde.
L'ouverture à l'international est aussi pour l'association une priorité. La confédération des associations française et étrangères, qui réunit autour de l'AAEENA les associations étrangères dont les membres ont suivi une scolarité à l ENA avec leurs camarades français compte 41 pays Faut-il le rappeler : 30 élèves de nationalité étrangère issus de tous les continents suivent la scolarité avec leurs 80 camarades français.
On ne le dit pas assez. Nous avons une expertise française en matière d'administration publique qui est reconnue. C'est ce qui a permis à l'Ecole de multiplier des accords de coopération avec des universités du monde entier. Puisque nous parlons du monde anglo-saxon l'Ecole a développé des relations au Canada avec lEFP. Aux Etats Unis des projets se mettent en place avec l'Université de Pennsylvanie et des rencontres ont eu lieu avec Columbia et John Hopkins.
3) Quels sont les véritables enjeux de demain pour l'école et pour ses prochaines générations d'élèves ?
L'enjeu principal c'est notre capacité à nous adapter à un environnement qui évolue de plus en plus vite tout en gardant ce qui fait notre force.
Nos atouts : ce sont les valeurs de l'école : un recrutement exigeant sélectionnant une haute fonction publique intègre, neutre politiquement prenant en compte toutes les composantes de la société française au service de l'intérêt général.
C'est aussi sa capacité à former des responsables de haut niveau pouvant assumer des fonctions dirigeantes très diverses, dans l'administration de notre pays, bien sûr, mais aussi dans les organisations internationales, les ONG, les entreprises, etc.
Son rôle d'ascenseur social qui est unanimement reconnu.
Son ingénierie dans l'organisation et la gestion des services publics.
C'est cette constance qui nous permet d'appréhender l'avenir avec sérénité. Nous le devons à tous les élèves c'est la raison pour laquelle sont régulièrement modifiés les contenus, les formations, les intervenants. Une place déterminante est accordée à l'international, avec des échanges de formations, d'enseignements, avec des écoles et des universités qui reflètent les changements du monde.
Nous redynamisons à l'association notre réseau international d'anciens élèves pour en faire un outil d'écoute et de promotion de la différence française. Mais, nous sommes de moins en moins hexagonaux et beaucoup plus Européens. La mondialisation n'est pas un repli mais une chance à qu'il nous faut saisir chaque jour et nous sommes prêts à le faire !
C'est ce message que je souhaite faire passer à l'occasion de notre anniversaire.
Entretien avec Jean François Puech Directeur de la rédaction de NEWS Press jfpuech@newspress.fr