Salinisation des aquifères : deux études phares dans le Grand Ouest

BRGM - Bureau de Recherches Géologiques et Minières - 09/02/2017 16:00:00


Une étude est initiée en Bretagne pour mieux cerner les aquifères côtiers vulnérables aux intrusions salines. Une étude analogue se termine tout juste en Normandie occidentale.

L'intrusion d'eau salée dans les aquifères côtiers prend la forme d'un biseau qui plonge sous la nappe d'eau douce. D'où son surnom de biseau salé. Plus précisément, c'est un phénomène naturel qui est défini comme le déplacement et le maintien d'eau salée dans un aquifère d'eau douce. L'intensité de l'intrusion dépend de plusieurs facteurs, comme la nature du réservoir d'eau souterraine. Elle peut être amplifiée par des prélèvements d'eau souterraine, accrus sous la pression touristique par exemple, ou encore par une élévation du niveau marin dans un contexte de changement climatique. Le rapport Jouzel Changement climatique et niveau de la mer de mars 2015 précise en effet qu'avec une remontée océanique de 2 m, le biseau salé pourrait se déplacer de plusieurs dizaines de mètres à l'intérieur des terres.

Les intrusions salines ont des conséquences sur les usages de l'eau (alimentation en eau potable, agricole) et sur les milieux naturels. Il est donc nécessaire d'une part de caractériser au mieux l'interface eau douce - eau salée et de définir les paramètres qui vont influer sur l'intensité du phénomène. Il faut d'autre part définir les secteurs les plus à risques. En 2011, le BRGM a établi une première carte de vulnérabilité des aquifères côtiers à l'échelle de la France métropolitaine, mettant en évidence les zones les plus concernées. Il s'agit en premier lieu des zones méditerranéennes (côte orientale de la Corse, littoral de l'ex Languedoc-Roussillon), mais le nord de la côte du Poitou- Charentes, le nord-est de la Bretagne et la côte du Calvados sont également concernés. Cette connaissance répond aux exigences de la directive cadre européenne sur l'eau (DCE), selon laquelle les eaux souterraines ne doivent présenter aucune intrusion saline d'origine anthropique pour être déclarées en bon état. La mise en place d'un dispositif de surveillance adapté est donc nécessaire pour répondre aux exigences réglementaires.

Des aquifères concernés sur l'ensemble de la Bretagne

La Bretagne, avec ses 2700 km de côtes et sa fréquentation touristique estivale, est concernée par les intrusions salines. Lors de l'étude de 2011, le BRGM y a identifié des secteurs sensibles surtout sur la côte nord, de Brest jusqu'à la baie du Mont-Saint-Michel. Le sous-sol de la région est majoritairement constitué de roches dures, anciennes, dites de socle. Dans ce contexte, les aquifères, qui constituent les réservoirs d'eau, y sont morcelés ce qui rend le phénomène d'intrusion saline plus complexe. De plus, le phénomène de rentrant salé au niveau des estuaires et le marnage important peuvent accentuer ce phénomène.

Dans la continuité du diagnostic national de 2011, l'Agence de l'eau Loire-Bretagne, le Conseil Régional Bretagne et le BRGM se sont associés pour financer une étude spécifique sur le littoral breton. Lancé en septembre 2016 pour une durée de 18 mois, le projet vise à affiner l'état des lieux (secteurs déjà concernés par le phénomène d'intrusions salines) et l'identification des zones les plus à risques en Bretagne. Des méthodes de mesure géophysique plus pointues seront déployées sur un site test afin de mieux cartographier l'interface eau douce-eau salée et de mettre en place une procédure d'investigation adaptée dans les aquifères de socle. Des recommandations pour la mise en place de dispositifs de suivi des intrusions salines en seront l'aboutissement.

Les résultats en Normandie occidentale

Une étude analogue se termine tout juste dans les départements de la Manche et du Calvados, sur un cofinancement de la direction territoriale et maritime des Bocages Normands de l'Agence de l'eau Seine-Normandie (AESN) et du BRGM.

L'analyse des données hydrogéologiques, géologiques et hydrochimiques, dont une partie a été transmise par les partenaires du projet a mis en évidence des secteurs vulnérables aux intrusions salines voire très vulnérables. Vu la complexité du phénomène d'intrusion salines, il a été recommandé de mener des investigations complémentaires pour mieux comprendre les processus en jeu mais aussi pour anticiper l'impact du changement climatique et ainsi prévenir les usagers de l'eau.

Dans le département de la Manche, les aquifères dunaires s'étalant le long de la côte ouest, de Granville à Flamanville sont vulnérables au phénomène de biseau salé. Notons également les enjeux de prélèvements d'eau souterraine par la profession agricole et la nécessité de suivre les intrusions salines dans le val de Saire, situé à l'est de Cherbourg en Cotentin. Les zones basses topographiques peuvent être également vulnérables aux intrusions salines, c'est pourquoi il est proposé d'installer un réseau de suivi des intrusions salines dans les marais du Cotentin, lié notamment à l'élévation du niveau marin.

Un modèle maillé hydrodynamique, développé en 2013 par le BRGM en partenariat avec l'AESN et la DREAL Basse-Normandie, a été utilisé sur les côtes du Calvados, afin de simuler l'évolution des niveaux piézométriques dans les aquifères côtiers et des flux sortants en mer dans un contexte de changement climatique en faisant varier l'élévation du niveau de la mer et les variables climatiques. Sur le littoral du Calvados, les résultats de l'étude montrent que les basses vallées de l'Aure, de la Dives et de l'Orne sont des secteurs très vulnérables aux intrusions salines. L'élévation du niveau marin ainsi que l'augmentation des températures risquent d'entraîner une diminution notable des débits sortant en mer dans ces secteurs, ce qui favoriserait la pénétration du biseau salé. Dans un scénario pessimiste à l'horizon 2050-2070, l'avancée du biseau salé pourrait même atteindre plusieurs kilomètres dans ces basses vallées, tandis qu'elle ne dépasserait pas quelques centaines de mètres en dehors.