USM / Arrêtons de se mentir !

USM - Union Syndicale des Magistrats - 01/12/2017 10:20:00

"Chantiers de la Justice": : des motions votées par les magistrats pour dénoncer le simulacre de concertations.

Courrier du 27 novembre 2017 adressé par l'USM à la Ministre de la Justice

Madame la Ministre,

Le 5 octobre, vous annonciez le lancement d'un plan d'action comprenant 5 chantiers : l'amélioration et la simplification de la procédure pénale, l'amélioration et la simplification de la procédure civile, l'adaptation de l'organisation territoriale, le sens et l'efficacité des peines.

Vous souhaitez que les personnalités chargées de mener la concertation vous restituent leurs propositions le 15 janvier, afin qu'elles puissent être intégrées dans la loi de programmation pour la Justice qui serait présentée au Parlement au printemps 2018.

A la veille des vacances scolaires de l'automne, vous avez adressé plusieurs dépêches sur les consultations locales, dont les résultats doivent vous parvenir avant le 1er ou le 15 décembre, selon le chantier.

Les dépêches concernant les procédures civile et pénale et l'efficacité des peines sont accompagnées de questionnaires portant diverses thématiques, censées servir de base aux consultations locales des magistrats et greffiers.

A ce jour, les consultations n'ont pu être organisées réellement. Sauf rares exceptions, les assemblées générales, seules à même de répondre à votre demande de consultation en application de l'article R212-24 du code de l'organisation judiciaire, n'ont pas pu se réunir pour évoquer ces questions avec l'attention qu'elles méritent. Des réunions ont été organisées dans l'urgence, parfois au seul niveau de la cour d'appel.

La réalité est que les magistrats et greffiers, submergés par leurs missions habituelles dont ils ne sont pas déchargés pour s'investir dans la réflexion sollicitée, ne peuvent matériellement pas participer de manière efficace et constructive à ces concertations, de surcroît dans des délais si contraints.

Dans plusieurs ressorts, les assemblées générales ont adopté des motions pour dénoncer cette concertation de pure façade, chacun ayant le sentiment que, malgré l'affichage, les projets sont déjà arrêtés.

En effet, plusieurs éléments démentent vos affirmations selon lesquelles les projets ne sont pas déjà définis.

Ainsi, s'agissant du questionnaire sur la réforme de la procédure pénale, nombre de questions semblent directement inspirées des demandes récurrentes du ministère de l'Intérieur. Ainsi en est-il notamment des questions visant à « clarifier et étendre le régime des techniques spéciales d'enquêtes », à « développer la forfaitisation des C5 et délits » (en particulier, cette mesure a déjà été annoncée pour les infractions concernant les stupéfiants) « développer une procédure de mise en
état devant le tribunal correctionnel » ou visant à « instaurer une procédure intermédiaire entre CI/CPV et ouverture d'information par l'instauration d'une procédure de comparution différée devant le tribunal correctionnel », qui tend à réalité à écarter le juge d'instruction.

Le questionnaire relatif à la procédure civile tend à valider le développement, voire la généralisation, des modes alternatifs des règlement des différends (MARD) comme préalables à une action en justice : « comment faire des MARD un préalable efficace à une action en justice » et « comment rendre les MARD plus attractifs pour les parties ».

Le questionnaire sur le numérique comporte également des questions très orientées « en quoi le développement des outils numériques peut être un levier de rapprochement de la justice pour les publics notamment les plus défavorisés ? », « comment le numérique peut-il améliorer l'organisation et la conduite des audiences civiles et pénales pour les magistrats, fonctionnaires et professionnels du droit comme pour les justiciables ? » ou « en quoi un dossier numérique partagé
pourrait-il simplifier l'échange d'informations et de pièces entre tous les intervenants au procès civil et au procès pénal ? »

Le questionnaire sur le sens et l'efficacité des peines est quant à lui particulièrement large et porte aussi sur des thèmes pour lesquels des projets ont déjà été annoncés. Ainsi, l'intérêt de « rechercher les moyens de favoriser le prononcé de la peine de travail d'intérêt général » paraît limité dès lors que le développement des partenariats en vue d'accueillir des condamnés implique une volonté politique forte et des moyens conséquents, et que la création d'une « agence chargée de développer et encadrer les travaux d'intérêt général » a déjà été annoncée par le Président de la République.

Enfin, la consultation dans le cadre du chantier sur la réforme de la carte judiciaire est la plus biaisée. Malgré les dénégations officielles, le tribunal de première instance (TPI) départemental, sollicité avec force notamment par la conférence des présidents pour répondre à la problématique des vacances de postes, est déjà présenté comme nécessaire. La concertation porte en réalité sur les modalités de cette mise en oeuvre, au travers de chambres détachées, où les magistrats pourraient être affectés en fonction des besoins appréciés par les chefs de juridictions.
En effet, le TPI départemental était annoncé par le président de la République lors de sa campagne électorale, vous indiquez régulièrement au fil de vos rencontres ou interviews qu'aucun site judiciaire ne sera fermé et la DSJ a évidemment travaillé sur un tel projet.
Cela se traduit d'ailleurs dans « le guide du déclarant » annexé à la circulaire sur la déclaration d'intérêts mentionnant que celle-ci devra être remise au président ou au procureur du « tribunal de première instance » ?
Il est donc évident que des projets existent déjà.

Il doit être mis fin aux simulacres de concertations locales, qui aboutiront très majoritairement à l'expression des seuls avis des chefs de cours du fait de l'impossibilité matérielle pour les magistrats de s'investir dans cette nouvelle réflexion sur des thèmes déjà débattus.

L'USM vous demande de ne pas perdre un temps précieux et de diffuser les projets envisagés et d'engager de réelles consultations avec les organisations représentatives des magistrats avant le projet de loi de programmation.