Pierre Buhler Président de l'Institut Français «La langue française n'est plus la propriété de la France»

Institut Français - 16/02/2018 15:15:00


Le président de l'Institut français, Pierre Buhler, exposera, lors de la Conférence internationale pour la langue française et le plurilinguisme dans le monde, ce mercredi 14 et jeudi 15 février à Paris, les objectifs et les enjeux de ce séminaire. Entretien avec l'ambassadeur pour l'action culturelle extérieure de la France sur la promotion du français, le défi des 1 500 Instituts Confucius de la Chine et la Saison des cultures africaines en 2020.

Qu'est-ce que cela signifie d'être l'opérateur de la diplomatie culturelle de la France à l'ère numérique ?

Pierre Buhler : Cela nous expose à de nouveaux défis. Nous sommes un opérateur déjà très installé sur l'ensemble de la palette des actions dans le domaine de la culture, mais aussi de la langue française et de l'éducation. Aujourd'hui, nous sommes en train de mettre en place une plateforme numérique beaucoup plus puissante que notre site internet actuel. Elle sera opérationnelle à l'été et apportera des contenus importants et consistants et à notre réseau d'Instituts français et d'Alliances françaises dans le monde et aux professionnels des arts et des cultures numériques et au grand public. Au fond, nous essayons toujours d'être un peu sur la crête de la vague numérique. C'est une vague avec un pouvoir de transformation extraordinairement important et pour nous un outil essentiel pour projeter la France dans le monde.

Le monde bouge, la culture bouge aussi. Quel est pour vous le plus grand changement dans la cartographie de la culture dans le monde d'aujourd'hui ?

On parle toujours d'un déplacement du centre de gravité géopolitique de la planète vers l'Asie. Nous essayons évidemment d'être notamment présents dans les économies émergentes où nous voyons des classes moyennes de plus en plus nombreuses, avec des besoins culturels de plus en plus apparents. Donc, le réseau culturel et diplomatique dans son ensemble investit particulièrement ces pays comme la Chine, l'Inde, le Brésil ou l'Afrique du Sud. Aujourd'hui, il est intéressant de souligner que le premier marché pour les droits de traduction de l'édition française est la Chine : 2 000 livres français sont achetés chaque année par des éditeurs chinois à la France.

96 Instituts français existent dans le monde. Quel sera le budget et quelles seront les zones prioritaires en 2018 ?

C'est un budget agrégé qui couvre plusieurs secteurs : l'action culturelle, mais aussi une coopération scientifique universitaire... Il est difficile d'isoler la fonction strictement culturelle. S'y ajoute le budget de l'Institut français qui lui, bénéficie d'un budget de l'ordre de 32 millions d'euros par an. Ce budget s'ajoute au budget des Instituts français locaux pour conduire cette politique dans le monde qui ne se limite d'ailleurs pas à l'Institut français. Les Alliances françaises bénéficient également d'une aide importante de l'État sous forme de mises en disposition de directeurs d'Alliances, de délégué régionaux de l'Alliance et des subventions sur projet. Là aussi, on est autour de 30-35 millions d'euros par an. Ce n'est évidemment jamais assez, jamais autant qu'on le voudrait.

Y a-t-il un pays, une zone prioritaire pour 2018 ?

Ce sont plus des pays que des zones prioritaires. Dans notre contrat d'objectifs et de moyens (COM), nous avons 39 pays prioritaires pour notre action qui sont les grands pays européens, les grands pays émergents, plusieurs pays du continent africain, l'Afrique du Nord, l'Afrique subsaharienne, des pays en Amérique latine.

L'Institut français revendique 6 000 projections de films africains du fonds la Cinémathèque Afrique présentées chaque année dans le monde. Vous soutenez aussi 60 opérateurs culturels africains et caribéens dans les secteurs du spectacle vivant, de la musique, des arts virtuels. Est-ce que cela signifie que l'Afrique figure aussi parmi vos priorités ?

L'Institut français a reçu la mission qui incombait déjà aux institutions dont est issu l'Institut français. Donc nous avons hérité le programme « Afrique et Caraïbes en création ». Dans ce cadre, nous accompagnons des jeunes artistes du continent africain à cheminer sur la scène mondiale et accéder à la notoriété. Je citerais l'exemple de l'artiste africaine Angélique Kidjo qui aujourd'hui encore se réfère à cette aide initiale qu'elle a reçue.


Vous promettez de « mettre le cinéma africain au plus près du public africain ». Comment allez-vous procéder ?

Nous avons un réseau de salles de cinéma dans les Instituts français du continent africain. Certaines sont même équipées en numérique et avec des équipements très sophistiqués. Donc nous incitons nos Instituts à projeter dans des cadres de festivals ou lors de projections uniques ces films du patrimoine cinématographique africain que nous conservons. Nous nous efforçons de le numériser, donc de le rendre encore plus facilement à projeter. Dans son discours de Ouagadougou, le président Emmanuel Macron a annoncé de mettre ces cinémathèques Afrique, ces 1 600 titres du patrimoine cinématographique africain, à la disposition de l'ensemble du continent pour découvrir ou redécouvrir des films. Nous le faisons déjà, mais cela sera sans doute fait encore plus systématique dans le cadre de la Saison des cultures africaines 2020, annoncée par le président français.

Avez-vous déjà un événement phare à annoncer pour la Saison des cultures africaines 2020 ?

Non, nous y travaillons actuellement. Nous aurons la définition de ce que sera cette Saison des cultures africaines par le discours du président de la République et nous travaillons actuellement à la conception de cette Saison des cultures africaines 2020 qui est quelque chose d'assez inédit. Cela n'a pas de précédent et demande un travail important d'élaboration, de conception, mais nous en sommes vraiment encore au tout début du dispositif.

La langue va rester aussi en 2018 au coeur du rôle de l'Institut français. Selon vous, cette projection selon laquelle, en 2050, il y aura 700 millions de francophones dans le monde, dont 85 % en Afrique, est-ce un mirage, une illusion ?

Je ne suis pas sûr qu'il faille se focaliser sur ce chiffre. C'est une extrapolation de statistiques démographiques. Ce qui est important, c'est de définir aujourd'hui un plan d'ensemble pour la promotion du français et du plurilinguisme. Un plan que le président de la République a appelé de ses voeux en août 2017 en s'exprimant devant les ambassadeurs. C'est un plan qui est en cours d'élaboration. Pour cette élaboration se déroule en ce moment même, depuis le 26 janvier et jusqu'au 20 mars, une consultation en ligne pour l'ensemble du monde où chacun est invité à déposer son idée pour le français, le 14 et 15 février une conférence internationale regroupant tous les acteurs et aussi les experts de la langue française et du plurilinguisme se réuniront à Paris pour remettre des recommandations à intégrer dans ce plan d'ensemble.

Dans ses discours, à plusieurs reprises, le président a insisté sur le fait que le français, la langue française, n'est plus la propriété de la France. C'est une langue qui est partagée par de très nombreux pays et locuteurs et au fond, elle appartient à tous ceux qui la pratiquent, qui l'enrichissent, qui la font vivre. C'est vraiment dans cet esprit dans lequel se déroule cette consultation. Nous aurons des participants qui viendront du monde entier : d'Afrique francophone, du Maghreb, du Liban, du Québec, de la Roumanie et bien sûr aussi d'autres pays européens. Et chacun aura sa pierre à apporter à cette formidable aventure qui est le français aujourd'hui.

Les Instituts Goethe souhaitent devenir de plus en plus actifs en Afrique. La Chine, depuis 2014, a ouvert plus que 1 500 instituts Confucius dans 142 pays du monde. Craignez-vous que la France se retrouve bientôt à la traîne ? Est-ce que la France donne les moyens nécessaires pour le développement culturel face à ces géants d'aujourd'hui ?

Certainement. Le plan d'ensemble pour le français et le plurilinguisme est justement conçu pour éviter que d'aucune façon la France ne soit à la traîne. Nous nous appuyons quand même sur un réseau de 160 sites d'Instituts français et 830 Alliances françaises dans le monde. Donc, on n'a à rougir de rien. C'est un réseau qui est très actif, avec beaucoup de bénévoles, de gens qui ont une passion pour le français, qui s'investissent et s'engagent. Nous nous pouvons nous appuyer sur ces bonnes volontés, sur cette envie de faire vivre la France et la culture française. La Chine est dans une démarche qui est la sienne. L'Institut Confucius partait un peu de zéro, ils étaient peu présents. Aujourd'hui, ils le sont plus. Beaucoup d'autres pays sont d'ailleurs très actifs. C'est très bien. Nous, nous avons cette mission envers tous ceux qui ont une attente vis-à-vis de la France, la langue française, pour aller au-devant de ces attentes et travailler avec eux pour faire avancer cette cause qui est le français et la culture française en partage.


PLUS D INFO : L INSTITUT FRANCAIS EN VIDEO PRESENTATION
L'INSTITUT FRANÇAIS, UN NOUVEL ACTEUR POUR METTRE EN oeuvre LA DIPLOMATIE CULTURELLE DE LA FRANCE
L'Institut français est l'opérateur de l'action culturelle extérieure de la France. Il a été créé par la loi du 27 juillet 2010 relative à l'action extérieure de l'État et par son décret d'application du 30 décembre 2010.

Placé sous la tutelle du ministère de l'Europe et des Affaires étrangères et du ministère de la Culture, il est chargé, dans le cadre de la politique et des orientations arrêtées par l'État, de porter une ambition renouvelée pour la diplomatie d'influence. Il doit contribuer au rayonnement de la France à l'étranger dans un dialogue renforcé avec les cultures étrangères et répondre à la demande de France dans une démarche d'écoute, de partenariat et d'ouverture. L'Institut français se substitue à l'association Culturesfrance sous la forme d'un EPIC (établissement public à caractère industriel et commercial).

Aux activités développées par Culturesfrance en matière d'échanges artistiques et d'accueil en France des cultures étrangères, s'ajoutent de nouvelles missions transférées par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères comme la promotion de la langue française, des savoirs et des idées mais aussi la formation des agents du réseau culturel français. L'Institut français revendique la liberté d'expression et la diversité dans un contexte de mondialisation, tout en affirmant sa compétence et son expertise en matière de promotion de la culture française dans le monde. Il est un outil d'influence et de coopération, et un pôle d'expertise et de conseil.

En outre, l'Institut français est au coeur des enjeux actuels du numérique. Internet et les réseaux sociaux ayant bouleversé la diffusion de la culture, l'Institut français entend s'approprier ces technologies et en faire un vecteur de l'influence française.

En travaillant en étroite relation avec le réseau culturel français à l'étranger, constitué des instituts français et des alliances françaises, l'Institut français veille à répondre aux besoins exprimés par les postes diplomatiques, tout en favorisant les initiatives qui permettent une plus grande mutualisation des projets et des économies d'échelle. Localement, son action est mise en oeuvre sous l'autorité des Ambassadeurs.


LE RÉSEAU CULTUREL FRANÇAIS DANS LE MONDE
La diplomatie culturelle de la France s'appuie sur un réseau de 96 Instituts français et plus de 800 Alliances françaises (dont 307 conventionnées par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères).
Le réseau de l institut en imap

NOS MISSIONS
L'Institut français apporte le soutien de l'action culturelle aux stratégies diplomatiques de la France selon les axes suivants :
promouvoir les échanges artistiques internationaux ;
partager la création intellectuelle française ;
diffuser le patrimoine cinématographique et audiovisuel français ;
soutenir le développement culturel des pays du Sud ;
encourager la diffusion et l'apprentissage de la langue française ;
développer le dialogue des cultures via l'organisation de « saisons », « années », ou « festivals » en France et à l'étranger ;
favoriser la mobilité internationale des créateurs, avec des programmes de résidences ;
coordonner et favoriser les actions avec les collectivités territoriales françaises à l'international ;
agir pour la diversité culturelle à l'échelle européenne via des partenariats européens et multilatéraux ;
assurer la formation et le suivi de carrière des agents du réseau culturel dans le monde.

NOTRE HISTOIRE
L'action culturelle extérieure de la France se fonde sur une longue tradition historique qui remonte à l'Ancien Régime, époque au cours de laquelle culture et diplomatie entretenaient d'étroites relations et où l'influence de la langue et de la culture françaises s'exerçait déjà partout dans le monde.

Tout au long du XIXe siècle, l'action culturelle va accompagner la diplomatie. Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France dynamise son action culturelle extérieure et crée, en 1922, l'Association française d'expansion et d'échanges artistiques, préfiguration de la future Association française d'action artistique (AFAA), réunissant différentes personnalités intéressées par la promotion de l'art français dans le monde.

Les courants d'échanges intellectuels et culturels vont considérablement se développer au XXe siècle, témoins d'une pensée et d'une vie artistique françaises florissantes.

Une nouvelle impulsion est donnée en 2006 avec la création de Culturesfrance (fusion de l'AFAA et l'ADPF - Association pour la diffusion de la pensée française) chargé, sous la double tutelle du ministère de la Culture et de la Communication et du ministère des Affaires étrangères, de soutenir l'action culturelle de la France dans le monde. L'Institut français lui succède, en janvier 2011, avec des missions élargies.