Pollution : de quelles sources proviennent les particules et contaminants du Rhône ?

IRSTEA - 23/03/2018 11:25:00

Grâce à un réseau de stations de mesure pérennes sur le Rhône et ses affluents du lac Léman à la mer Méditerranée, l'Observatoire des Sédiments du Rhône livre à l'issue de son 4ème programme (2015-2018) un bilan précis de l'origine des flux de matières en suspension et de contaminants associés. Des résultats en appui aux professionnels et élus, pour une gestion optimale des milieux aquatiques et de leurs aménagements.

Particules fines, sables, limons grossiers... Le transport des matières en suspension (MES) dans l'eau soulève des enjeux majeurs pour la gestion des fleuves et rivières. Les particules fines peuvent en effet transporter des contaminants d'origines naturelle, urbaine ou industrielle (métaux, radionucléides, polychlorobiphényles-PCB, résidus de pesticides, de médicaments,...) et transférer cette pollution vers l'aval, jusqu'à l'embouchure du Rhône. Or les gestionnaires manquent aujourd'hui de données fiables sur les flux de MES et de contaminants associés. En outre, des dépôts locaux occasionnés par des flux de sables au niveau des aménagements (écluses, barrages, usines hydro-électriques, etc.), entraînent quant à eux des coûts économiques importants liés à la navigation fluviale et à la production d'hydroélectricité.

L'agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse a ainsi sollicité l'expertise de l'OSR au sein duquel Irstea est fortement impliqué, afin de quantifier les flux de solides dans le Rhône et de déterminer leurs origines, mais aussi de mesurer les concentrations et les flux de contaminants. Des résultats indispensables pour analyser l'évolution de la pollution dans le temps et dans l'espace, du Lac Léman à la mer Méditerranée.

La Durance et l'Isère, principaux contributeurs des flux de particules fines
Les origines des flux de contaminants particulaires (mercure, PCB, AMPA[1]...) mesurés à l'embouchure du Rhône varient d'une année à l'autre, en fonction des apports de matières en suspension. Premier contributeur des flux de MES (34% entre 2011 et 2016) suivi par l'Isère (30%), la Durance a ainsi contribué à 29% des apports de mercure en 2016. A contrario, moins d'1% des flux de mercure et de PCB proviennent du Gier pourtant 4 à 30 fois plus contaminé, car il transporte moins d'1% des flux annuels de MES. À l'échelle de plusieurs années, les bilans de flux de MES sont équilibrés entre les apports des affluents et l'export à la mer. Certaines années, un stockage ou un déstockage de MES peut toutefois se produire dans le réseau hydrographique (les réservoirs en particulier) au gré de crues ou de chasses de réservoirs, sur le Haut-Rhône et la Basse-Isère notamment. Des sources de pollution entre Lyon et la mer (affluents non suivis, rejets ou ruissellement) ont par ailleurs pu être négligées dans ce bilan, c'est pourquoi le programme OSR5 (2018 - 2021) visera à mieux documenter les affluents méridionaux (Ardèche, Gardon, Drôme, etc.).

Quel est le risque environnemental à l'échelle du bassin ? La majorité des 13 stations permanentes et temporaires du réseau de l'OSR présente un risque écotoxique pour les PCB, HAP, nonylphénol, et pour certains micropolluants émergents (AMPA, biocides et résidus de cosmétique). Sur le Gier et la Bourbre les concentrations en PCB sont entre 2 et 14 fois supérieures aux valeurs seuils[2]. Dans l'ensemble, les concentrations en métaux restent en dessous de la valeur seuil « sans effet ».

Les évènements hydrologiques et sédimentaires majeurs tels que les crues et chasses de réservoirs impactent-elles alors les concentrations en contaminants ? En amont (Jons) comme en aval (Arles) du Rhône, « des différences de concentrations lors de crues et de chasses par rapport au régime de base sont observées, avec des valeurs médianes souvent plus faibles lors des crues et des chasses du fait du transport de particules plus grossières, moins chargées en contaminants que les particules fines » indique Marina Coquery, chimiste à Irstea.

Grâce un suivi mené depuis plus de 5 ans sur les stations de Jons et Arles, les scientifiques de l'OSR dont Irstea, ont pu déterminer l'évolution de la pollution du bassin entre 2011 et 2016. À Jons, la pollution aux PBC et HAP a généralement diminué. À l'embouchure du Rhône les concentrations en PCB ont également diminué et celles en mercure, HAP et glyphosate/AMPA se sont stabilisées. La pollution des MES du Rhône en métaux n'est plus d'actualité. Il n'en reste pas moins que les évènements hydrosédimentaires engendrent des flux importants vers l'aval.

Pièges à particules, hydroacoustique... : des outils et approches innovants
Pour assurer le développement du réseau d'observation sur le long du fleuve et à l'aval de ses principaux affluents, des méthodes originales de prélèvements, de mesure et d'analyse ont été élaborées dans le cadre du programme OSR4.

C'est par exemple le déploiement et la validation des pièges à particules passifs pour le prélèvement de MES. « Peu coûteux et intégratifs dans le temps, ces outils fournissent des échantillons représentatifs et en quantités suffisantes, même en période de crue où les prélèvements s'avèrent compliqués en raison de l'intensité des débits des cours d'eau » précise Marina Coquery.

« Il est de plus très facile de manquer le sable en suspension lors des échantillonnages car il est davantage concentré en profondeur, mais également lors des analyses de concentrations et de la granulométrie en labo[3] » indique Jérôme Le Coz, hydraulicien à Irstea. Pour pallier ces difficultés spécifiques, des protocoles de prélèvement adaptés et des méthodes indirectes de mesure des sables ont été proposées. Les scientifiques ont notamment analysé les signatures acoustiques des particules en suspension. « À l'aide de sonars, nous avons observé les variations de l'intensité acoustique rétro-diffusée qui dépend de la concentration et du diamètre des particules présentes dans la colonne d'eau. Nous sommes ainsi parvenus à détecter la présence de sable en suspension graduée près du fond ». Cette méthode hydroacoustique est actuellement à l'étude dans le cadre de la thèse d'Adrien Vergne, doctorant à Irstea[4].

Pour estimer les origines des flux de MES, une approche transposable a de plus été développée, reposant sur des flux mesurés en temps réel via les stations, des flux simulés par le modèle hydro-sédimentaire 1D (dont le code de calcul ADIS-TS a été conçu à Irstea), et sur des mesures de concentrations en éléments chimiques dans les particules[5]. À partir du modèle 1D construit du lac Léman à la mer avec la représentation des 21 aménagements hydro-électriques, scientifiques et professionnels peuvent également simuler les dépôts de sables derrière les barrages du Rhône selon différents scénarios, en vue de mieux qualifier ces interactions et anticiper la gestion des aménagements.

Et demain ? Dans la perspective de ces résultats, dont les données sont disponibles sur la base BDOH développée par Irstea, le programme OSR5 travaillera à la mise en cohérence du réseau d'observation du bassin et au suivi des affluents cévenols non équipés, pour une analyse plus fine de l'origine des MES. L'acquisition de données sur les flux de sables encore difficilement mesurables, est aussi un enjeu crucial pour établir des bilans interannuels et mieux caractériser leurs impacts.


[1] Métabolite du glyphosate
[2] Valeurs seuils environnementales disponibles dans la littérature (PNEC sédiments)
[3] Un travail démontré dans la thèse de Guillaume Dramais, ingénieur d'étude et doctorant à Irstea "Estimation et modélisation des flux sableux des grands fleuves" (2016 - 2020)
[4] "Mesure hydro-acoustique des gradients de sables en suspension dans les grands cours d'eau" (2015 - 2018)
[5] Ces travaux se poursuivent notamment dans le cadre de la thèse de Céline Begorre, doctorante à Irstea : "Origine des sédiments et des contaminants associés sur le Rhône : historique des apports et réactivité des contaminants" (2017 - 2020)