Enjeux éthiques du vieillissement : des pistes pour l'action

CCNE - Comité Consultatif National d'Ethique - 16/05/2018 18:11:26

Comment notre société devrait-elle prendre en charge la recrudescence des situations de dépendance et de perte d'autonomie au sein d'une population dont la longévité augmente ?

Un constat s'impose : aujourd'hui le « grand âge » s'accompagne souvent de mise à l'écart, de prise en charge inadaptée, d'une souffrance des personnes elles-mêmes et de leurs accompagnants. La question du vieillissement est sociale, médicale, économique. Elle est également éthique. C'est la raison pour laquelle le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) s'est autosaisi en octobre 2016 de cette question et rend aujourd'hui son 128ème avis. Ce dernier est le fruit d'une réflexion commune au Comité, Comité qui réunit entre autres médecins, scientifiques, juristes et philosophes à l'instar de ses deux rapporteurs les Prs Régis Aubry (médecin spécialiste des soins palliatifs) et Cynthia Fleury (philosophe et psychanalyste). En déclarant qu'il est urgent de redéfinir la protection sociale, d'engager de nouvelles formes de solidarité et de mettre en place de nouvelles formes d'accompagnement, le CCNE s'inscrit certes dans une démarche éthique mais également politique. Il est temps de rendre la société davantage inclusive vis-à-vis de ses citoyen(ne)s les plus âgé(e)s.

Quel sens devons-nous donner à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des
établissements dits d'hébergement ? Cette question a été le point de départ de la réflexion du CCNE.
Elle conduit au constat que l'institutionnalisation, voire la ghettoïsation des personnes âgées, pour
assurer leur sécurité, forme par bien des aspects une forme de négation du vivre ensemble. L'avis du
CCNE rappelle ainsi que respect de l'autre et solidarité sont les deux principes qui sont le
soubassement éthique nécessaire à toute politique d'accompagnement du vieillissement. Aussi,
concernant les espaces de vie dévolus aux personnes âgées, le CCNE appelle les politiques à favoriser
et diversifier les alternatives à l'EHPAD, voire à penser l'EHPAD hors l'EHPAD : ceci pourrait se
traduire par l'intégration d'EHPAD dans les constructions nouvelles à usage d'habitation, comme cela
se fait déjà pour les logements sociaux, l'encouragement au développement de l'habitat
intergénérationnel ou encore d'habitations autogérées par les personnes âgées elles-mêmes à l'instar
d'autres pays.

Pour s'assurer du maintien au domicile, l'adaptation du logement est impérative. Et celle-ci doit se préparer à l'avance, dans une véritable démarche « préventive » pour mieux anticiper le 4e âge.

Les quatre âges relatifs de la vieillesse1

Âges Définitions
1er âge (60-75 ans) Généralement actif et en bonne santé
2ème âge (75-80 ans) Le risque d'isolement grandit ainsi que les problèmes de santé spécifiques au vieillissement
3ème âge (80-95 ans) La dépendance et le polypathologique sont généralement plus présents et posent la question d'une entrée en EHPAD
4ème âge (au-delà de 95 ans) Concerne les sujets affectés de troubles les privant plus ou moins de leur autonomie, nécessitant des soins médicaux complexes et éventuellement un hébergement en institution spécialisée

Au-delà de la question de l'hébergement, le CCNE propose des leviers qui permettraient à la société d'être plus inclusive vis-à-vis des personnes âgées. Il suggère ainsi de favoriser la création de nouvelles formes de solidarité et le renforcement des politiques d'accompagnement. Il préconise notamment la création d'un cinquième risque de la sécurité sociale pour la dépendance.

Améliorer la solidarité passe également par l'évolution du droit social et en particulier par l'évolution du droit du travail pour permettre à un proche d'accompagner une personne dépendante. Des droits nouveaux pourraient ainsi venir abonder le compte personnel activité (CPA) des aidants, ce dispositif créé par la loi travail de 2016. Il suggère également un plan « pour le répit et le soutien » des aidants, en organisant par exemple des lieux intermédiaires - non-hospitaliers - comme les « maisons de répit » ou encore « le balluchonnage »

Une politique ambitieuse et digne du respect que nous devons à nos concitoyens les plus âgés passe aussi par la mise en place d'un délégué interministériel à la protection des majeurs.

Le CCNE a finalement estimé que c'était tout le système de santé français qui mériterait d'être repensé aujourd'hui. Il prône une réforme profonde de la formation des acteurs du soin en leur assurant en particulier une meilleure valorisation de leur activité. Il s'agirait en particulier de permettre l'avènement, chez les personnels soignants, d'une clinique que le CCNE estime plus éthique en ce qu'elle serait capable de prendre en considération la singularité et la vulnérabilité de chaque patient. De nouveaux métiers pourraient être créés comme les « gestionnaires de cas », sorte de guichet unique et référent pour les personnes âgées et leurs familles, qui seraient capables de trouver les réponses aux évolutions médicales et sociales de chaque personne. Dans cet esprit, des pôles de regroupement local entre services concourant au maintien au domicile permettraient à la personne âgée en perte d'indépendance et d'autonomie de garder les mêmes repères et les mêmes aidants professionnels.
Toutes ces mesures offriraient ainsi un parcours de soin plus inclusif pour les personnes les plus vulnérables.

A l'heure de choix budgétaires toujours plus contraints et alors que persiste dans l'opinion l'idée que la vieillesse est une « charge » et a un « coût » pour la société, le CCNE relève que la Silver economy, avec la montée prévisible de la e-autonomie et l'implication du secteur du bâtiment (pour l'adaptation des logements), représente une opportunité de croissance pour la France.

A travers son avis 128, le CCNE espère inciter nos concitoyens à une réflexion sur la valeur et le sens que nous souhaitons donner à l'accompagnement de nos aînés, et par là-même nous confronter à notre propre vieillissement. Il souhaite éclairer les décideurs et les aider à répondre à l'exigence éthique que réclame la dynamique démographique de notre société. Il serait indigne que le pilier de notre démocratie sanitaire qui entend garantir à tous une égalité d'accès à la santé, entendue comme un « état de bien-être physique, mental et social », ne concerne pas une partie de la population.

1 Source : Avis n°128 du CCNE
2 Dispositif né au Québec qui permet à un professionnel de suppléer le proche aidant pour quelque temps

Avis n°128 du CCNE