Interview de Penda MBOW Représentante du Président de la République du Sénégal auprès de l'OIF

FERAM - Forum d'échanges et de rencontres administratifs mondiaux - 01/07/2018 19:45:00


Interview de Penda MBOW Représentante du Président de la République du Sénégal auprès de l'OIF
Jusqu'il y a peu, Madame Penda MBOW présidait la Commission politique de l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF). Auparavant professeure d'histoire médiévale à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar, elle a également été Ministre de la Culture au sein du gouvernement de son pays, le Sénégal. Elle est aujourd'hui membre du Conseil d'Administration du FERAM, un réseau international majeur d'échanges sur l'efficience de la gouvernance publique.

Penda MBOW, vous présidez au sein de l'OIF la Commission de la gouvernance, chargée en partie de moderniser et de démocratiser le système de gouvernance publique. Néanmoins, peut-on aborder cette question d'un point de vue spécifiquement francophone ?
Penda MBOW
: La Francophonie des pères fondateurs qu'étaient Léopold Sédar Senghor du Sénégal, Habib Bourguiba de la Tunisie, Hamani Diori du Niger et le Prince Norodom Sihanouk du Cambodge, en s'appuyant sur le partage et la valorisation de la langue française, se structurait autour d'un certain nombre de valeurs et un humanisme. Aujourd'hui, on parle de Francophonie créative centrée autour de l'éducation, des industries culturelles, de la participation citoyenne, etc.

A ce propos, les années 1990 ont constitué un véritable tournant. On se souvient du discours de la Baule de François Mitterrand, mais aussi la demande très forte dans l'espace francophone, de plus de démocratie, du respect de l'Etat de droit et des droits de la personne (cf. les conférences nationales dans certains pays). Ce sont ces raisons-mêmes qui ont poussé l'OIF à accentuer, notamment sous le magistère du Président Abdou Diouf de 2003 à 2014, la promotion, le respect des principes démocratiques, l'importance accordée à l'organisation d'élections libres et transparentes.

Pour revenir à la commission politique, elle a surtout comme préoccupations majeures la résolution des conflits au sein des Etats membres (comme ceux du Burundi, de la RDC, de la Centrafrique, etc.) et la surveillance des élections. Bref, il s'agit surtout de renforcer la gouvernance démocratique et de mettre en exergue le rôle de la société civile.

L'OIF intervient aussi via d'autres programmes qui ont la même finalité eu égard à l'accent qui est mis sur la formation et l'enseignement. Par exemple, la formation, le renforcement des capacités constituent des axes majeurs de l'OIF et de la quasi-totalité des opérateurs (Agence Universitaire de la Francophonie, Université Senghor d'Alexandrie) de la Conférence des ministres de l'Education des pays ayant le Français en partage (CONFEMEN) ou encore de L'institut de la Francophonie Pour l'Education et Formation (IFEF).
Dans ce sillage, il convient de rappeler que la gestion transparente des ressources représente un élément significatif dans la prévention des conflits. L'OIF se fixe comme objectifs la prévention et la gestion des conflits, l'accompagnement des transitions et la consolidation de la paix. Le terrorisme a en effet déjà touché beaucoup de pays de l'espace francophone.


Abdoulaye SENE*, président du Global local forum, suggère de croiser les expériences à la française avec celles à l'anglo-saxonne. Faut-il donc partir à la croisée des concepts et des expériences ?
Penda MBOW
: Il est vrai que depuis quelques décennies, la rareté des ressources et le besoin d'efficacité et d'efficience dans le domaine de la gestion publique, des finances et du cadre réglementaire de l'économie ont partout poussé la réflexion vers de nouveaux concepts.
La bonne gouvernance, la modernisation de l'Etat, la neutralité de la fonction publique apparaissent de plus en plus comme des facteurs de l'équilibre des sociétés, de partage des pouvoirs de décisions et de l'élévation du niveau de vie. Des institutions comme la Banque mondiale et le Fonds monétaire International ont d'ailleurs exercé une forte pression sur les Etats africains pour qu'ils se tournent vers une gestion plus rigoureuse de la bonne gouvernance.

Historiquement le modèle tiré de l'administration coloniale française reposait sur une base juridique forte, une construction administrative relevant de traditions et de l'Etat jacobin, tandis que le système anglo-saxon s'identifiait plus à du pragmatisme et de l'association. Oui, on peut s'accorder avec Abdoulaye SENE et encourager le FERAM dans la voie du parangonnage. En Afrique, on a besoin de faire vite et bien pour combler les retards et déficits.


Afin de croiser les regards et les expériences au sein de l'administration, ne faudrait-il pas davantage promouvoir, la mobilité des fonctionnaires entre Etats-membres de l'OIF ?
Penda MBOW
: Je pense que la mobilité peut réellement faciliter la circulation des savoirs et engager vers la voie du renouveau. Il s'agirait alors, à travers une approche novatrice, d'éviter de former des castes de fonctionnaires, ce qui ne fait à terme que favoriser les lobbies et transformer les privilèges en droits. C'est effectivement un facteur de développement de la gestion publique, de diversité de l'approche des problèmes. Voir les problématiques sous des angles différents permet de consulter les solutions apportées dans tel ou tel pays, d'éviter des écueils et de trouver ou d'adapter des bonnes pratiques.


Bien qu'elles constituent la majorité de la population des pays francophones, force est de constater que les femmes sont moins nombreuses au sein des différents Conseils d'administration. Quels moyens proposez-vous pour qu'elles puissent être réellement les moteurs de « la gouvernance publique »?
Penda MBOW
: Malgré tous les efforts fournis par les Etats et la communauté internationale en matière de promotion des droits de la femme, les changements se font à un rythme peu satisfaisant ; les pays francophones sont encore en deçà des attentes. Rares sont les pays francophones où les femmes atteignent le dernier palier des responsabilités. Même au niveau des organisations internationales, les exemples de Madame Lagarde au FMI et Madame Jean à l'OIF restent encore très isolés.

Madame Penda MBOW a été élue au Conseil d'Administration 2018 du FERAM
Propos recueillis par Yvonne Kimbembe Déléguée à la francophonie du FERAM 2016 - 2018
NEWS Press Jean François Puech Directeur de la rédaction et Membre du CA 2019.

Biographie en anglais
Penda Mbow is an associate professor of history at Cheikh Anta Diop University in Dakar, Senegal, and the President's personal representative to the International Organization of La Francophonie. She served as Senegal's Minister of Culture and has received numerous academic awards, including a Fulbright grant and a Rockefeller Foundation Award. Her expertise lies in African intellectual history, Islam and gender studies.

Biographie en français de Madame la Professeur Penda MBOW
Professeur Penda Mbow, Département d'Histoire, Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Ministre Représentante personnelle du Chef de l'Etat à la Francophonie
Professeur Penda Mbow enseigne l'Histoire du Moyen âge musulman et Occidental à l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Sa thèse de doctorat soutenue en 1986 à l'Université Aix Marseille I a porté sur une étude comparée entre l'aristocratie militaire des mamelouks d'Egypte entre les XIVes et XVes. Elle a en outre travaillé sur l'esclavage dans le Proche orient de la mort du Prophète à la fin de l'empire abbasside (XIes).
Ses publications pour l'essentiel portent sur l'histoire intellectuelle dans le monde musulman, le soufisme, la problématique femme/Islam, le dialogue interreligieux, les castes, la démocratie multiculturelle, etc.
Madame Penda Mbow a, en outre bénéficié de nombreuses bourses parmi lesquelles on peut citer : la Bourse FAC (1982-1986), le senior fulbright à MSU en 1992-93, Rockefeller Fondation à Bellagio en 1996, ISITA à Northwestern et le fellowship du National Endowment for Democracy à Washington pour le projet : "Citizenship and the Secular State in Muslim countries: Bringing Africa into the Debate."
En collaboration avec plusieurs institutions, comme le CODESRIA dont elle a dirigé le Gender Institute en 1998, en 2009, OSIWA, Gorée Institute, Trust Arica ou West Africain Resarch Center, Mme Mbow dispose d'une grande expérieance dans la réflexion sur les questions de démocratie, citoyenneté et bonne gouvernance en Afrique. Elle a participé à plusieurs études pour l'UNIFEM, le PNUD, le FUNUAP, le CRDI...
Elle est en outre membre des Conseils d'administration d' African Monitor, BEFORE qui s'occupe de paix dans le monde
Engagée dans la société civile depuis plus de 20 ans, Penda Mbow a crée le Mouvement citoyen qu'elle dirige et qui est centré sur le leadership intellectuel et politique des jeunes. Elle fut brièvement Ministre de la Culture en 2001 et candidate à la mairie es HLM en 2002.
Mme Mbow est membre de plusieurs sociétés savantes et a obtenu plusieurs décorations; en effet, elle est commandeur de l'Ordre national du mérite, chevalier de la Légion d'Honneur française, Docteur Honoris Causa de l'université de Uppsala (Suède) et Femme pionnière, prix Jean Paul II pour la paix, Docteur Honoris Causa de l'Université de Cluj en Roumanie.