Au collège Lübeck, les enfants ukrainiens oublient les horreurs de la guerre en apprenant le français

Diocèse de Paris - 18/07/2022 09:05:00

Les professeurs de l'établissement du XVIe arrondissement de Paris ont retroussé leurs manches pour permettre aux enfants ukrainiens de poursuivre leur cursus éducatif. Ce, malgré la barrière de la langue et les mauvais souvenirs.

Cela fait presque trois semaines qu'ils sont là. Une quinzaine d'élèves ukrainiens est arrivée au collège de l'Assomption-Lübeck, dans le XVIe arrondissement de Paris. Fuyant la guerre russo-ukrainienne, les enfants ont été accueillis par des familles, qui les ont redirigés vers cet établissement privé, afin qu'ils puissent poursuivre leur scolarité. «Nous avons une grande habitude de recevoir des élèves de nationalité différente, précise M. Legal, le directeur du collège. Avec la particularité d'avoir déjà reçu des enfants qui avaient fui le Liban, au moment de l'explosion en 2020, ou la Syrie.»

En ce mardi matin d'avril, six petits ukrainiens, tous collégiens de 12 à 13 ans, se réunissent après la récréation du matin pour prendre une heure de cours de français. Car c'est l'un des défis premiers de l'équipe enseignante: comment permettre à ces élèves de poursuivre leur cursus scolaire alors que la plupart ne parlent pas un mot de français?

La fatigue après les sourires des premiers jours
Sitôt que la décision de les accueillir a été prise par le conseil de direction, les enseignants ont retroussé leurs manches. Des professeurs de langue étrangère, dont certains sont russophones, se sont portés volontaires pour donner des cours de français à ces élèves. Mme Gabbai, professeur d'anglais depuis de nombreuses années dans l'établissement, et qui a enseigné dans le passé le Français Langue Étrangère à Londres, en fait partie. «J'ai appris le russe il y a longtemps, ce qui facilite mes échanges avec ces enfants. Même si je ne suis plus capable de le parler aujourd'hui, cela m'aide à comprendre quelques mots d'ukrainien.» Aujourd'hui, elle apprend à ses élèves à se présenter. Et fait face à une difficulté: aucun des élèves présents ce matin ne comprend l'anglais. «Ça va être un peu corsé mais on va s'en sortir», sourit-elle.

«Comment tu t'appelles?», demande-t-elle à chacun d'entre eux. Coup de chance, Hélène, une des élèves ukrainiennes, parle très bien le français. Elle seconde à merveille l'enseignante, en traduisant patiemment les questions auprès de ses camarades. Les élèves sont concentrés. La professeur mime avec force de gestes ce qu'elle leur apprend. Ils répètent tous en choeur: «Coucou! Comment ça va?» Petro, un élève en classe de 3e, ne participe pas beaucoup. Le visage fermé, les yeux baissés, il suit silencieusement la classe. C'est sans compter sur la gentillesse et la joie de vivre de Mme Gabbai, qui réussit peu à peu à le détendre en lui proposant de s'entraîner avec sa jeune voisine. «Je les ai trouvés très souriants quand ils sont arrivés la première semaine. Depuis quelques jours, ils sont plus fatigués, certains ont les traits tirés. Je pense qu'ils emmagasinent beaucoup de choses. Il faut leur laisser du temps.»

Un programme de cours très chargé
Car en plus de leurs leçons de français, qu'ils ont plusieurs fois par semaine, et leurs cours avec les élèves français, les élèves continuent d'assister en visio-conférence à ceux donnés par leurs professeurs ukrainiens. Ce qui leur fait des journées assez chargées. «On privilégie toujours les cours de leur école ukrainienne. Dès qu'ils en ont un, on les sort de classe et on leur trouve un endroit pour qu'ils poursuivent le cursus de leur pays», souligne M. Legal. La consigne est surtout de ne jamais leur demander ce qu'ils ont vu en Ukraine. Pas plus que de leur poser des questions sur leur situation familiale. La discrétion est de mise pour ces enfants qui ont pu être confrontés à des scènes innommables. Autre détail: chaque professeur a sa propre technique d'enseignement. À chaque fin de cours de français, ils font un point entre enseignants pour éviter d'être redondants. Leur arrivée a été tellement précipitée qu'ils n'ont pas eu le temps d'établir un programme précis.


Ekaterina P*, professeur d'allemand de nationalité russe, s'est reconvertie en enseignante de français auprès des élèves ukrainiens. «Je suis le moins académique possible avec ces enfants. Pour le moment, j'ai fait leur connaissance en essayant de les mettre à l'aise.» Elle ne leur pose aucune question sur la situation de leur pays et ne cherche pas à savoir d'où ils viennent précisément, du fait aussi de sa nationalité. «Les enfants savent que je suis Russe, mais il n'y a eu aucun problème.» Pendant son heure de cours, plutôt que de leur enseigner les (terribles) rudiments de la grammaire, elle leur parle de Paris, de la France, et de sa culture. «Le but de mon cours, c'est surtout qu'ils puissent aller dans la boulangerie en étant capables d'acheter leur pain. Je suis le plus ludique possible, car ce sont des enfants. Il faut aussi les amuser.» L'enseignante leur apprend les noms des rues de Paris pour qu'ils puissent se repérer, mais aussi ceux des chaînes de télévision, etc.

Fait amusant, quelques parents ukrainiens ont adressé une requête à Ekaternia: que leurs enfants aient plus de travail et que leurs professeurs soient plus exigeants avec eux. Car en Ukraine, selon l'enseignante russophone, le système éducatif est davantage fondé sur l'excellence qu'en France. Ce qui explique peut-être leur très bon niveau en mathématiques... À Lübeck, une petite ukrainienne de sept ans a déjà battu à plate couture aux échecs un «grand» du collège!

(*) Le nom a été modifié à la demande de l'établissement