Entretien avec Fabienne Dumont, experte des concours de Peinture, de Photographies et de Sculpture / Installation aux Jeux de la Francophonie 2023

CIJF - Comité International des Jeux de la Francophonie - 27/09/2023 16:40:00

Fabienne DUMONT est expert en arts visuels. A ce titre, elle a accompagné les jurys des concours culturels - de peinture, de photographies et de sculpture/installation - des Jeux de la Francophonie de Kinshasa 2023, un évènement du sport international qui associe sport et culture et qui a vu concourir 4000 athlètes et artistes du 28 juillet au 6 août 2023 dans la capitale de la RDC.
De retour en Belgique, elle fait part à Yasmine Taviot de ses impressions et des enseignements qu'elle en tire.


Fabienne Dumont *, en votre qualité d'expert en arts visuels, quelle est votre motivation et l'importance de votre rôle dans la promotion des talents artistiques francophones ?

Lors des Jeux de la Francophonie 2023, mon rôle était celui d'expert en arts visuels avec la mission d'observatrice et conseillère auprès des jurys sans intervention dans la prise de décision finale, ce qui rendait ma position différente de celle des précédentes éditions où j'étais membre du jury.

J'ai commencé ma participation lors des Jeux de Beyrouth en 2009 en tant que membre du jury de sculpture / installation puis présidente du même jury en 2013, à Nice. À Abidjan en 2017, j'étais responsable du catalogue des artistes qui regroupait toutes les disciplines artistiques.
Ma conviction que les Jeux de la Francophonie, dont la dimension est sportive et culturelle, sont une manifestation importante pour la jeunesse francophone, ce qui me motive. Dans cette jeunesse, je perçois une grande diversité et une grande qualité. Ces jeux peuvent être un tremplin et ouvrir des portes vers d'autres projets internationaux pour nombre d'entre eux. Les jeunes artistes ont l'opportunité de se rencontrer et de côtoyer des membres du jury venant parfois de pays inconnus d'eux jusqu'alors. Cela offre des opportunités et des perspectives. Cependant, ils doivent persévérer dans leur parcours, préparer des dossiers, les envoyer et construire un projet artistique. Là est mon rôle important et stimulant.
Les artistes ont seulement quelques jours pour créer une nouvelle oeuvre. Ils sont confrontés à des problèmes de timing et d'accrochage qui font partie intégrante du métier d'artiste. De plus, ils doivent choisir l'oeuvre qu'ils enverront aux Jeux. C'est un projet très important. J'ai pu constater que pour certains artistes venant de pays moins favorisés, cela pouvait constituer un véritable défi. Cependant, ils sont motivés et fiers de représenter leur pays.



Fabienne Dumont

Les arts visuels peuvent transcender les frontières linguistiques et culturelles. Comment avez-vous observé l'évolution et la diversification des oeuvres artistiques au fil des éditions des Jeux de la Francophonie et en quoi cela reflète-t-il la richesse de la francophonie ?

Dans mon domaine, chaque édition est différente. Nous sommes tributaires des artistes et de leurs choix. De plus, chaque État propose des artistes puis, avant les Jeux, sont créés des binômes, dont les personnalités se complètent, responsables de zones géographiques déterminées, l'Afrique, l'Europe de l'Est, de l'Ouest, l'Asie, Canada, Québec, Haïti etc. Au sein des binômes, une personne est spécialisée en art visuels tandis que l'autre l'est en art du spectacle ou de la rue. J'ai fait partie de ces binômes deux fois pour l'Europe de l'ouest et aussi pour la Grèce. A l'issue de la sélection, c'est à l'Organisation Internationale de la Francophonie (OIF)et au Comité International de la Francophonie (CIJF), à Paris de procéder avec les binômes à la sélection finale des artistes par discipline, une trentaine maximum.
La variété dans les oeuvres et les démarches artistiques est enthousiasmante. Ce qui m'a marqué ici, à Kinshasa, c'est le nombre d'artistes venus de pays du Sud qui ont été souvent récompensés. En photographie, un Français a remporté la médaille de bronze, tandis que toutes les autres médailles ont été attribuées à des artistes originaires de pays du Sud. Il y avait une présence très forte de Madagascar, puis de l'Ile Maurice, du Bénin, du Sénégal et de la République Démocratique du Congo.


Vous avez été commissaire de nombreuses expositions, directrice du Centre d'Art Contemporain de Bruxelles et administratrice de programmes culturels, notamment chez Africalia à Bruxelles. Quelle est la particularité de l'art contemporain en Afrique et en quoi se distingue-t-il des autres mouvements, notamment en Europe ou en Asie ?


En Europe, nous voyons émerger de nombreux artistes africains en art contemporain. De grandes manifestations ont été créées, notamment la Biennale de Dakar au début des années 90, qui présente une très bonne qualité artistique. Cette Biennale a joué un rôle majeur en tant que diffuseur en Afrique, mais aussi à l'international. Tout comme les Rencontres de la Photographie Africaine de Bamako. Ces événements artistiques majeurs ont attiré, dès le début des années 2000, sur le continent africain des directeurs de lieux culturels, des conservateurs, des responsables de Biennales et des galeristes. Cela a suscité un intérêt croissant des collectionneurs pour l'art africain contemporain.
En 1989 s'est tenue à Beaubourg et aux Halles de la Villette une exposition majeure intitulée "Les Magiciens de la Terre", ainsi que plus tard l'exposition "Partages d'exotismes" conçue par Jean- Hubert Martin dans le Cadre de la Biennale de Lyon. Ces expositions ont fait bouger les milieux de l'art contemporain initialement réticents car l'oeil s'est ouvert à quelque chose de nouveau. Les artistes africains participent également à des mouvements artistiques internationaux majeurs et sont présents dans de grands musées, des galeries, collaborent avec d'autres artistes internationaux et participent à des biennales, comme celle de Venise où le pavillon africain n'existe que depuis récemment.

L'intérêt pour l'art africain passe également par les arts de la scène, tels que la danse, le théâtre, le conte, mais aussi la mode et le design, qui prennent de plus en plus d'importance. Il existe des spécificités en termes de couleur, de forme et de sujets. On trouve des écoles d'art de grande qualité en Afrique.

Les artistes africains participent également à des résidences artistiques et à d'autres événements culturels, ce qui nous permet de les faire découvrir au public européen. A la Biennale de Dakar, j'ai découvert un artiste sud-africain qui m'avait beaucoup impressionné, Willie Bester que j'ai exposé ensuite à Bruxelles au Centre d'Art Contemporain. Par la suite, j'ai présenté de nombreux autres artistes sud-africains car ils sont marqués par l'histoire de leur pays. Leur travail continue de dénoncer l'apartheid et la violence, qu'ils soient blancs ou noirs. On peut dire la même chose pour les pays en conflit politique grave dont la situation se reflète dans le travail de leurs artistes.

Nous pouvons également observer des démarches similaires à Kinshasa avec le jeune artiste venant du Congo Brazzaville. Le choix de son oeuvre n'est pas anodin. Il a sélectionné un quartier de Kinshasa où la prostitution sévit dans des conditions horribles.

Pouvez-vous partager une ou plusieurs expériences au cours desquelles vous avez été particulièrement impressionnée par une création artistique présentée aux Jeux de la Francophonie ?




L'Académie des Beaux-Arts, siège des ateliers Peinture, Sculpture/Installation, Photographie et de l'exposition des oeuvres fraiches, crées à Kinshasa.

Lors de cette édition à Kinshasa, J'ai observé l'implication et le dynamisme des artistes pendant les ateliers. Les sculpteurs étaient fascinés par le magnifique atelier de sculpture de l'académie. Ils étaient confrontés à des blocs, de bois pour la plupart, réservés en fonction de leur démarche artistique. C'était incroyable de les voir au travail et j'ai été impressionnée, notamment car je suis administratrice à Bruxelles du Centre du Film sur l'Art, où nous suivons le travail d'artistes célèbres tels que Picasso ou Giacometti dans leur environnement de création. Ici, les artistes étaient absorbés par les oeuvres qu'ils allaient créer ce qui rendait l'ambiance captivante dans ces ateliers.
J'ai aussi été impressionnée par la qualité du travail de certains, comme la jeune peintre de Madagascar. On peut clairement percevoir toute sa recherche, que ce soit dans le choix des couleurs, l'intégration de l'écriture ou la création de traces. Ils étaient tous très investis dans leur démarche artistique. Je pense que c'est ce qui a beaucoup marqué les membres du jury.

Participer aux Jeux de la Francophonie en tant qu'experte des arts visuels est une expérience unique. Comment cette expérience a-t-elle enrichi votre perspective personnelle en tant qu'historienne de l'art et comment cela influence-t-il votre propre pratique artistique en Belgique ?


J'ai réalisé l'activité frénétique de tous pour monter dans ce musée architecturalement remarquable cette exposition avec 47 artistes dont les oeuvres devaient être intégrées de manière cohérente. Toute l'équipe du musée s'est investie de même que l'équipe du scénographe. J'ai également pu observer ce qui se passait à l'académie et comment, en très peu de temps, les personnes se mobilisaient pour que le projet aboutisse et atteigne un haut niveau de qualité. L'organisation varie beaucoup d'une ville à l'autre et c'est enrichissant de le constater au fil des éditions.


* Eléments de BIOGRAPHIE
De nationalité belge Fabienne DUMONT est diplômée en Histoire de l'Art et Archéologie, spécialisation Art Contemporain (Université de Liège)
Elle a démarré sa carrière à Namur au Cacef et à la radio (RTBF) et a dirigé ensuite le Centre d'Art Contemporain de Bruxelles, de 1983 à 2004, où elle y a présenté plus d'une centaine expositions d'artistes belges dont un grand nombre en collaboration avec des institutions étrangères au Canada, Québec, France.. et en Afrique notamment.
Elle a été Commissaire de nombreuses d'expositions à Taipei et Séoul, à Paris à la Fondation Mona Bismarck, à Canterbury, à La Havane dans le cadre d'échanges et concrétisation de plusieurs partenariats avec des institutions artistiques, galeries, biennales, etc.

En 2005, elle devient Directrice Artistique de La Centrale électrique à Bruxelles.

Sous son impulsion, ce lieu semi-industriel de 1000 m2, est rénové et aménagé en Centre d'Art Contemporain à vocation internationale : elle y a présenté de nombreuses expositions majeures, telles que « Zoo », Les « Rencontres de la Photographie Africaine de Bamako », Karen Knorr « Fables », « Female Art in China », Jane Alexander « Survey » avec Pep Subiros, etc.
Depuis avril 2011, elle est commissaire d'expositions, consultante culturelle, critique d'art.

Parmi d'autres, elle a été ou est Membre AICA (Présidente de la Section Belge, 2006 - 2009), CIMAM, IKT, ICOM, AFMB. Membre du Comité Arts Plastiques - Hauts de France, Lille. Administrateur au Musée de la Photographie, Charleroi, au Centre du Film sur l'Art, Bruxelles, etc. Membre de l'AG d'Africalia et de Contretype, Bruxelles. Membre du Comité d'Organisation et d'Acquisitions d'Estampa, Madrid.

Participation à de nombreux jurys et missions de travail et d'expertise en Belgique et à l'étranger. Kinshasa 2023 est sa 4 ième participation aux Jeux de la Francophonie, après Beyrouth, Nice et Abidjan.




Au concours Atelier sculpture / installation

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Yasmine Taviot et Jean François Puech

Photo en haut de page Fabienne Dumont au FRAC des Hauts de France à Dunkerque