Fonte de masse : une nouvelle application nucléaire prédit l'avenir des glaciers

AIEA - Agence Internationale de l'Energie Atomique - 28/12/2023 13:05:00





À l'échelle mondiale, les glaciers perdent de la masse depuis les années 1970. L'équilibre entre les chutes de neige fraîche et la fonte des glaces a été rompu par le réchauffement climatique. Ces grandes structures de glace fondent, s'affaiblissent, s'effondrent et disparaissent de manière inédite dans le monde entier. Il en résulte des inondations, des sécheresses, des menaces sur l'approvisionnement en eau et un affaiblissement des économies, autant de facteurs qui contribuent aux effets catastrophiques du changement climatique. Étant donné que de nombreuses personnes dépendent des glaciers pour l'eau potable, l'agriculture, l'hydroélectricité et le tourisme, il est essentiel de prédire avec précision le devenir des glaciers et de se préparer en conséquence.

La Suisse dépend de ses glaciers, mais eux aussi fondent rapidement. Selon les Académies suisses des sciences, les glaciers du pays ont perdu plus de six pour cent de leur volume en 2022, la pire année jamais enregistrée. D'après les chercheurs, le glacier d'Aletsch, le plus grand de Suisse, pourrait perdre la moitié de son volume d'ici la fin du siècle.

Les glaciologues observent traditionnellement le mouvement des glaciers à l'aide de marqueurs, tels que tiges, photographies et peintures historiques, afin de suivre les changements de la glace au fil du temps. Des marqueurs fortuits (carcasses d'avions, par exemple) peuvent aussi révéler le mouvement des glaciers. Il existe désormais une autre méthode, plus précise, qui peut aider les glaciologues à modéliser plus exactement le comportement des glaciers et, partant, à prédire leur devenir. Les décideurs peuvent alors prendre les dispositions nécessaires en prévision du recul ou de la disparition totale des glaciers.

Nos tests avec les matières de référence de l'AIEA ont confirmé notre capacité d'analyser des concentrations de radionucléides incroyablement faibles dans l'eau un millionième de millionième de millionième de gramme par kilogramme ce qui est assez difficile à faire.
Stefan Röllin, chercheur de la Division de chimie nucléaire du Laboratoire de Spiez
À une quarantaine de kilomètres au sud de Berne, la capitale du pays, le Laboratoire de Spiez a mis au point une technique nucléaire basée sur les signatures enregistrées dans les glaces lors des essais d'armes nucléaires des années 1950 et 1960. Ces essais ont produit et rejeté dans l'atmosphère des radionucléides artificiels qui se sont déposés dans les couches superficielles des glaciers du monde entier. Comme les dates des essais sont connues, l'identification des pics de concentration de ces radionucléides, ainsi que les schémas de dispersion des radionucléides dus à l'écoulement de la glace, permettent d'établir la chronologie des couches de glace.

« Nous avons utilisé une technique existante de mesure des radionucléides dans les sols et autres matériaux solides et, pour la première fois, nous l'avons appliquée à l'eau, à la glace et à la neige », indique Stefan Röllin, chercheur de la Division de chimie nucléaire du Laboratoire de Spiez.

Détection de radionucléides dans la glace
En 2019 et 2020, des experts du Laboratoire de Spiez et des membres de l'armée suisse ont escaladé les glaciers d'Aletsch et du Gauli, dans les Alpes bernoises, afin de recueillir des données isotopiques inestimables sur l'écoulement de la glace. Ils ont prélevé environ 200 échantillons de glace de surface de chaque glacier, chaque échantillon pesant jusqu'à 1 kilogramme quantité suffisante pour détecter les faibles niveaux de radionucléides. Ils ont ensuite fondu les échantillons et appliqué des méthodes radiochimiques pour extraire et purifier les isotopes d'uranium et de plutonium, qu'ils ont analysés à l'aide d'un instrument très sensible appelé spectromètre de masse multicollecteur à source plasma à couplage inductif.

Les chercheurs ont aussi appliqué d'autres techniques nucléaires permettant de détecter la présence de radionucléides provenant des essais d'armes nucléaires dans des échantillons environnementaux, notamment la spectrométrie gamma à haute résolution, qui a permis de détecter la présence de césium, et la mesure par compteur à scintillateur liquide, qui a permis de détecter la présence de tritium.

« Ces données peuvent être utilisées pour affiner et ajuster les modèles d'écoulement des glaciers, avoir une meilleure idée de la vitesse à laquelle le glacier fond, prédire son devenir et calibrer les modèles d'écoulement de la glace pour plus de précision », déclare M. Röllin. Les méthodes élaborées par le Laboratoire de Spiez ont été validées grâce à des échantillons de référence de l'AIEA provenant de la mer d'Irlande afin d'en garantir la précision. Les échantillons de référence sont utilisés par les scientifiques pour vérifier que leurs méthodes de test donnent des résultats précis. L'AIEA met ces échantillons à la disposition des laboratoires du monde entier.

« Nos tests avec les matières de référence de l'AIEA ont confirmé notre capacité d'analyser des concentrations de radionucléides incroyablement faibles dans l'eau un millionième de millionième de millionième de gramme par kilogramme ce qui est assez difficile à faire », indique M. Röllin.

Le Laboratoire de Spiez a présenté ses recherches à la Conférence internationale sur la radioactivité environnementale (ENVIRA 2021) en Grèce en 2021, et à la Conférence internationale sur la métrologie des radionucléides techniques de mesure de la radioactivité de faible niveau (ICRM-LLRMT), en 2022, en Italie.

Le Laboratoire de Spiez est un centre collaborateur de l'AIEA depuis 2016 et, en 2020, a été désigné à nouveau comme tel jusqu'en 2025, afin de soutenir les activités programmatiques de l'AIEA. En tant que centre collaborateur de l'AIEA, il assure la formation de boursiers et accueille des cours de formation et des visiteurs scientifiques. Il participe aussi à des missions d'experts dans les États Membres de l'AIEA, afin de promouvoir l'application pratique de cette technique dans d'autres régions où les glaciers sont importants pour une politique environnementale durable et pour l'économie.

« Le Laboratoire de Spiez est un centre d'excellence qui a fait ses preuves en matière de compétence analytique et possède une grande expérience de l'échantillonnage et des mesures sur le terrain de tous les types de contaminants, en particulier des radionucléides », affirme Iolanda Osvath, chef du Laboratoire de radiométrie de l'AIEA. « Il apporte un soutien considérable en matière de formation et de développement méthodologique au réseau de laboratoires d'analyse pour la mesure de la radioactivité dans l'environnement (ALMERA) de l'AIEA. Ses activités de recherche-développement couvrent un large éventail de problèmes environnementaux avec des approches novatrices, comme en témoignent ses travaux inédits sur les glaciers. »